On dit, que les bramines ont commencé à cultiver
la Médecine , .en même -;tems que les prêtres égyptiens
; mais ce qu’il y._a de sûr , c’eft que depuis, tant
,de liecles ils n’en ont pas avancé les progrès. Jean-
Erneft Grudler danois , qui fit le voyage, du Malabar
en 1708, nous apprend que toute la médecine
cde ces peuples étoit, contenue dans un ouvrage misérable
, qu’ils appellent en leur langue yagadafajli-
rum. Le peu qu’ils ont de théorie eft. plein d’erreurs
& d’abfurdités. -Ils diviÉent, les maladies en huit ef-
j)eces.différentesj & comme c’eftpoureuxune étude
immen(e , chaque médecin fe doit borner à un
venre de maladie, & s’y livrer tout entier. Le premier
ordre des médecins eft compofé de .ceux qui
traitent les enfans ; le fécond , de ceux qui guérif-
/ent de la morfure des animaux venimeux ; lejroi-
jfieme , de ceux qui fav.ent chaffer les démons, & dif-
Spcr les maladies de l’efprit ; :le quatrième , de peux
qu’on confulte dans le cas d’impuiffance , & dans ce
qui concerne la génération ; le cinquième, pour lequel
ils ont une vénération particulière, eft compofé
„de ceux qui préviennent les maladies jlefixieme, de
ceux qui foulagent les malades par l’opération de la
main ; le feptieme ., de ceux qui retardent les effets
-de la vieilleffe, & qui entretiennent le poil & les
pheveux ; le huitième , de ceux qui s’occupent des
maux de tête, & des. maladies de l’oeil. Chaque ordre
fL fon dieu tutélaire, au nom duquel ,les opéra-
lions font faites , & les remedes adminiftrés. .Cette
cérémonie eft une partie du culte qu’on, lui rend. Le
yept préfide.aux maladies des enfans ; l’eau à,celles
qui proviennent de là morfure des animaux venimeux
; l’air à i’exorcifme des démons ; la tempête à
j ’impuiffance ; le foleil aux maladies.de 4a tête &
des yeux.
La faignée n’eft guere d’ufage chez eux , & les
clyfteres leur font encore n)pins connus. Le médecin
ordonne & prépare les remedes, dans lefquels il
fait entrer de la -fiente & de l’urine de vache ,. en
cpqfétjuençe de la vénération profonde que leur religion
leur preferit pour cet animal. Au refte., personne
ne peut exerçer la Médecine fansetr.einfcrit fur
le regiftre des bramines, & perfonne ne peut paffer
d’une branche à qne autre. Ileft à préfumer, fur l’attachement
prefqu’invincible que tous ces peuples
marquent pour leurs ^coutumes , qu’ils ne changeront
pas fitôt la pratique de leur médecine pour en
adopter une meilleure , malgré la communication
qu’ils ont avec les Européens.
Je ne puis finir l’ hiftoire de la médecine des peuples
éloignés , fans obferver que de tous ceux dont les
moeurs nous font connues par des relations authentiques
, il n’y en a point chez qui cette fcience ait
été traitée avec plus, de fageffe , fans fcience , que
chez les anciens Américains.
Antonio de Solis affitre, en parlant de Montézu-
ma, empereur du Mexique, qu’il avoit pris des foins
infinis pour enrichir fes jardins de toutes les plantes
que produifoit ce climat heureux ; que l’étude des
médecins fe bornoit à en fa voir le nom & les vertus ;
qu’ils avoient desiimples pour toutes fortes d’infirmités
, & qu’ils opéroignt des cures furprenabtes,
foit en donnant intérieurement les fucs qu’ils en ex-
primoient, foit en appliquant la plante extérieure-r
ment. Il ajoute quple^oidiftribuoit à quiconque en
qyoit befoin , les fifupjesque les:malades faifoient
demander ; & que fatisfait de procurer la guérifon à
quelqu’un , ou perfuadé qu’il étoit du devoir d’un
prinçejde veiller à la fanté de.fes fujets, il ne man-r
quoit point de s’informer 4e l’effet des remedes.
Les n «me auteur raconte que dans la maladie de
Cortès,, les médecins amériquans appelles,, uferent
d’abord de fimpjesdoux & rafraîchiffans pour fuf-
pendre ’ inflatnroatiou:, & qu’enfuite ilsen employérent
cBautres pour mûrir la plaie, & cela avec tant
d’intelligence , que, Cortès ne tarda pas à être pa-
faitement guéri. Quoi qu’il en foie,c’eft des Améri-
quains. que nous tenons deux de nos remedes les plus
efficaces, le quinquina & l’ipécacuanha, tandis que
nos fuhtils phyficiens ne connoiffent guere de la vertu
des plantes qui croiffent en Europe , que ce qu’ils
en ont lu dans Diofcoride.
Mais il eft tems de rentrer en Grece pour y reprendre
l’hiftoire. de la Médecine , où nous l’avons
iaiffée.,je veux dire au fiecle d’Hippocrate, qui, de
l’aveu de tout le monde, éleva cette fcience au plus
haut degré de gloire. On fe rappellera fans doute que
ce grand homme naquit à Cos, la première année de
la 8o* olympiade , 30 ans avant la guerre du Pélo-
ponnefe, & environ 460 ans avant la naiffance de
Jefus-Chrift.
Conferver aux hommes la fanté , foit en préve-'
nant, foit en écartant les maladies , c’eft le devoir
du médecin ; o r , le mortel capable de rendre noblement
-ce (fervice à ceux qui l’invoquent , honore fou
état, & peut s’affeoir à jufte titre entre les fils d’Apollon.
Quelles que foient les idées du vulgaire, les' per-
fonnes inftruites n’ignorent point combien il eft difficile
d’acquérir le degré de connoiffance néceffaire
pour exercer la Médecine avec fuccès.
Le chemin qui conduit, je ne dis pas à la perfection
, mais à une intelligence convenable dans l’art
de.guérir, eft rempli de difficultés prefque infurmon-
tables. Ceux qui lé pratiquent font fouvent dans une
grande incertitude1 lür la nature des maladies ; leurs
caufes relatives font cachées dans une obfcurité
qu’il fera bien difficile de jamais découvrir : mais y
parvînt ** on un jou r , une connoiffance fuffifante de
la vertu des remedes manqueroit encore : d’ailleurs
chacune des parties de la Médecine eft d’ une étendue
fupérieure à la capacité de l’efprit humain ; cepen--
dant le parfait médecin devroit les poffeder toutes.
. Eft-ce à l’expérience, eft-ce au raifonnement que
la Médecine doit fes plus importantes découvertes ?•
Qui des deux doit-on prendre pour guide ? Ce font
des queftions qui méritent d’être agitées, & qui l’ont
été luffifamment. Il s’eft heurerfement trouvé des
hommes d’un mérite fupérieur qui ont montré la né-
ceffité de l’une & de l’autre, les grands effets de leur
confpiration , la force de ces deux bras réunis, &
leur foibleffe lorfqu’ils font féparés.
Avant que la Médecine eût la forme d’une fcience }
& fût une profeffion, les malades encouragés par la
douleur, fortirent de l’inaâion, & cherchèrent du
foulagement dans des remedes inconuus ; les fymp-
tomes qu’ils avoient eux-mêmes éprouvés, leur apprirent
à reconnoître les maladies. Si par hafard, ou
par une réunion de circonftànces favorables, lesex-
pédiens auxquels ils avoient eu recours avoient produit
un effet falutaire , l’obfervation qu’ils en firent
fut le premier fondement de cet a r t , dont on retira
dans la fuite de grands avantages. De-là vinrent &Ç
la coutume d’expofer les* malades fur les places publiques
, & la loi qui enjoignoit aux paffans de les
vifiter, & de leur indiquer les remedes qui les avoient
foulages en pareil cas.
La Médecine fit ce fécond pas chez les; Babyloniens
& chez' les Chaldéens, ces anciens fondateurs de
prefque toutes les fciences ; de-la, paffant en Egypte
, elle fortit entre les mains de fes habitans induf-
trieux de cet état d’imperfeôion. Les Egyptiens couvrirent
les murs de leurs temples de deferiptions de
maladies & de recettes ; ils chargèrent des particuliers
du foin des malades : il y eut alors des médecins
de profeflion ; & les expériences qui s’étoientfaites
auparavant fans exactitude, & qui n’avoient point
été rédigées, prirent une forme plus commode pour
l’application
l’application qu’on en pouvoit faire à aes cas fem-
blahles. . ■ „ , c
Cependant les hommes convaincus que 1 obierva-
tion des maladies & la recherche des remedes ne füffi-
•foient pas pour perfectionner la Médecine avec une rapidité
proportionnée au befoin qu’ils en avoient,eurent
recours à cette raifon dont ils avoient reconnu long-
tems auparavant l’importance dans la diftinaion &
la cure des maladies ; mais on préféra , comme il
n’arrive que trop fouvent en pareilcas,les conjeaures
rapides de l’imagination à la lenteur de 1 expérience,
& l’on fépara follement deux chofes qu’il falloit faire
marcher de pair , la théorie & les faits. Qu en arriva
t-il? C ’eft que fans égard pour la sûreté de la pratique
, on établit la Médecine fur des fpéculations
fpécieufes & fauffes , fubtiles & peu folides. k ,
L’éloquence des rhéteurs & les fophifmes dés phi-
lofophes ne tinrent pas long-tems contre les gémiffe-
mens des malades; l’art de preconifer la méthode
n’en prévint point les fuites fatales : après qu on
avoit démontré que le malade devoit guérir , il ne
laiffoit pas de mourir. L’infuffifance de la raifon n e-
tonnera point ceux qui confiderent les chofes avec
impartialité. La fanté & les maladies font des effets
néceffaires de plufieurs caufes particulières, dont
les aftions fe réunifient pour les produire ; mais 1 action
de (es caufes ne deviendra jamais le fujet d une
démonftration géométrique , à moins que 1 effence
de chacune en particulier ne foit connue, on
n’ait déduit de cette comparaifon les propriétés &
les forces réfultantes de leur mélangé. G r , 1 effence
& les propriétés de chacune ne fe manifeftent que
par leurs effets ; c’eft par les effets feuls que nous
pouvons juger des caufes ;la connoiffance des effets
doit donc précéder en nous le raifonnement. Mais
qui peut affurer un médecin, de quelque profondeur
de jugement qu’il foit doue , qu?un effet eft 1 entière
opération de telle & telle caufe ? Pour en venir-là ,
ilfaudroit diftinguer & comparer une infinité de cir-
conftances, pour la plûpart fi déliées, qu’elles échappent
à toute la fagacité de l’obfervateur. D ’ailleurs,
telle eft la variété pro.digieufe des maladies , tel eft
le nombre des fymptomes dans chacune d elles, que
la courte durée de la vie , la foibleffe de notre ef-
prit & de nos fens , les difficultés que nous avons à
furmonter les erreurs dont nous fommes capables,
& les diftraûions auxquelles nous fommes exppfés,
ne permettent j amais de raflembler affez de faits pour
fonder une théorie générale, un fyileme qui s’étende
à tout. ,
Il s’en fuit de-là, qu’il faut fe remplir des connoif-
fances des autres, confulter les vivans & les morts,
feuilleter le.s ouvrages des anciens, s enrichir des de-
couvertes modernes, & fe faire de la vérité une réglé
inviolable & facrée. Le vrai médecin ne s’inftruira
qu’avec ceux qui ont fuivi la nature, qui 1 ont peinte
telle qu’elle eft , qui avoient trop d honneur pour
appuyer une théorie favorite par des faits imagines,
& que des vues intéreffées n’engàgerent jamais à altérer
les événemens, foit en y ajoutant, foit en en
retranchant quelque circonftance. Voilà les fontaines
facrées danslelquelles il ne defeendra jamais trop
fouvent. _ , ,
Depuis que la Médecine eft une fcience, tel a ete
le bonheur du monde, qu’elle a produit de tems à
autre quelques mortels eftimables, qui nont goûte
que la lumière & la vérité. Elle ne faifoit que de
naître lorfqu’Hippocrate parut ; & maigre 1 eloi-
gnement des tems, elle eft encore toute brillante
des lumières qu’elle en a reçues. Hippocrate eft
l’étoile polaire de la Médecine. On ne le perd jamais
de vûe fans s’expofer à s’égarer. Il a repréfente les
chofes telles qu’elles font. Il eft tpbjowrs concis &c
çlair. Ses deferiptions font dç§ images fideles des
Tome X.
maladies, grâce au foin qu’il a pris de n’en point
obfcurcir les fymptomes & l ’évenement : il n’eft
queftion chez lui , ni de qualités premières , ni
d’êtres fiftifs. 11 a fü pénétrer dans le l’ein de la nature
, prévoir & prédire fes opérations, fans remonter
aux principes originels de la vie. La chaleur innée
& l’humeur radicale, termes vuides de fens, né
fouillent point la pureté dé fes ouvrages. Il a cara-
âérife les maladies, fans fe jetter dans des diftinc-
tions inutiles des efpeces, & dans des recherches
fubtiles fur les caufes. Ceux qui penfent qu’Hippo-
c'rate a donné dans les acides, les alkalis, & les
autres imaginations de la Chimie, font des vifion-
naires plus dignes d’être moqués que d’être réfutés:
cet efprit aulu folide qu’élevé, méprifa toutes les
vaines fpéculations.
Non moins impartial dans fés écrits qu’én'ergiqué
dans fa diêtion & v if dans fes peintures, il n’obmet
aucune circonftance, & n’affure que celles qu’il a
vîtes. Il expofe lés opérations de la nature; & lé
defir d’accréditer bu d’établir Quelque hypothefe,
ne les lui fait ni altérer ni changer. Tel eft le vrai ;
l’admirable, je dirois prefque le divin Hippocrate;
Il n’eft pas étonnant que fes expofitions des chofes,
& fes hiftoires dés maladies > aient mérité dans tous
les âges l’attentiort & l’eftime des favans.
On peut joindre à ce grand homme , Arétée dé
Cappadoce, & Rufus d’Ephèfé, qui, à fon exemple,
ne fe font illuftrés dans l’art de guérir, qu’en obfer-
vantinviolablement les lois de la vérité. Prefque tous
leurs fucceffeurs, jufqu’au tems de Galien, abandonnèrent
cette voie facrée; Quand on vient à pefer*
dans la même balance , les travaux des autres médecins
de la Grece avec ceux d’Hippocrate, qu’oit
les trouve imparfaits & défeûueux! Les uns dévoués
en aveugles à des ie&es particulières, en
épouferent les principes, fans s’embarraffer s’ils
étoient vrais ou faux. D ’autres le font occupés à dé-
guifer les faits, pour les faire quadrer avec les fyf-
tèmes. Plufieurs plus finceres, mais fe trompant également,
négligèrent les mêmes faits, pour courir
après les caufes imaginaires des maladies & de leurs
fymptomes.
Ce n’eft pas affez que de la pénétration dans un
médecin, & de l’impartialité dans fes écrits, il lui
faut encore-un ftyle fimple & naturel, une diâion
pure & claire. Il lui eft toutefois plus important
d’être médecin qu’orateur. Toutes les phrafes brillantes,
toutes les périodes, toutes les figures de la
rhétorique, ne valent pas la-fa me dun malade. S attacher
trop à polir fon dilcours, c’eft trop chercher
à faire parade de fon efprit dans des matières de
cette importance. Un ufage affecté de termes extraordinaires,
une élocution pompeufe, ne font capables
que d’embrouiller les chofes, & d’arrêter le lecteur.
Un étalage d’érudition, une énumération des
fentimens tant anciens que modernes, les recherches
fubtiles des maladies, & la connoiffance des antiquités
médicinales, ne conftituem point la Médecine:
Ce n’eft point avec ce qui peut plaire à des gens de
lettres, qu’on fixera l’attention d’un homme, dont
le devoir eft de conferver la fanté, de prévenir
les maladies, & qui ne lit que pour apprendre les dif-
férens moyens de parvenir à fes fins. Plein de mépris
pour les produftions futiles de l’éloquence &C
du bel efprit, lorfque ces talens déplacés tendront
moins à avancer la Médecine , qu’à briller à fes dépens
, il aura fans ceffe fous les yeux le ftyle fimple
d’Hippocrate. Il aimera mieux entendre & voir là
pure nature dans fes écrits, que de fe repaître des
fleurs d’un rhéteur, ou de l’érudition d’un favant :
le mérite particulier du grand médecin de C o s , c eft
le jugement & la clarté.
La plûpart des auteurs qui l’ont fuivi ne font que