
grandeur extraordinaire. Foye[ Médaillon.
Il y a une fi grande quantité de médailles de bronze
, qu’on les fépare en trois grandeurs, qui forment
ces trois différentes fuites dont les cabinets lont remplis
, le grand bronze, le moyen bronze & le petit
bronze : on juge du rang de chacun par fon volume,
qui comprend en même tems l’epailîeur & 1 etendue
de la médaillé , la groffeur & le relief de la tête ;
de forte que telle médaille qui aura 1 epaiffeur du
grand bronze, pour n’avoir que la.tete au moyen »
ne fera que de la fécondé grandeur. Telle autre cpi
n’aura prefque point d’épaiffeur, pour avoir la tete
affez groffe, fera rangée parmi celles de la première
grandeur. L’inclination du curieux y fait beaucoup ;
car ceux qui préfèrent le grand bronze y font entrer
beaucoup de médailles qui dans le vrai ne font que de
moyen bronze, y placent des médailles qui devraient
être mifesdans le grand, particulièrement pour avoir
des têtes rares , qu’on a peine à trouver dans toute
forte de grandeur. Ainfi l’Othon de moyen bronze ,
l ’Antonia , le Drufus, le Germanicus, fe mettent
dans le grand bronze ; & d’autres têtes du petit
bronze fe placent dans le moyen, fans que perfonne
fe foit opiniâtré à faire un procès fur cela aux curieux*
pour les contraindre à déranger leurs cabinets.
Chacune de cés grandeurs a fon mérite : la première,
qui fait le grand bronze, excelle par la déli-
cateffe & la force du relief, & par les monumens
hiftôriques dont les revers font chargés , & qui y
parôiffent dans toute leur beauté : la fécondé , qui
eft le moyen bronze, fe fait confidérer par la multitude
& par la rareté des revers , fur - tout a caufe
d’une infinité de villes grecques & latines, qii’on ne
tjouve prefque point en grand bronze : la troifieme,
qui fait le petit bronze, eft eftimable par lanéceflité
dont elle eft dans le bas empire, où le grand^ & le
moyen bronze abandonnent les curieux, & où l’un
& l’autre, quand ils fe rencontrent, paffent pour
médaillon.
Il faut favoir , pour ne pas fe donner une peine
inutile, que la fuite complette du grand bronze ne
s’étend point au-delà des Pofthumes, parce qu’il eft
infiniment rare de trouver dans le bas empire des
médailles de ce volume : celles qui fe rencontrent depuis
Anaftafe n’ont communément ni l’épaiffeur, ni
le relief, ni la groffeur de tête fuffifante ; cependant
fans paffer les Pofthumes, on peut, comme nous
l ’avons dit, pouffer la fuite au-delà de trois mille.
La fuite de moyen bronze eft la plus facile à former
& la plus complette, parce que non-feulement
elle va jufqu’aux Pofthumes , mais jufqu’à la décadence
de l’Empire romain en Occident & même en
Orient jufqu’aux Paléologues. A la vérité , depuis
Héraclius, il eft difficile de les trouver toutes : on
eft forcé d’interrompre la fuite ; mais cela peut venir
du peu de foin qu’on a eu de les conferver , à
caufe qu’elles font fi groffieres & fi informes , qu’il
femble que la gravure ne fait plus alors que gratter
miférablement le métal ; & rien ne prouve mieux la
défolation de l’Empire que la perte univerfelle de
tous les beaux-arts, qui paroît fi fenfiblement dans
celui de la Gravure.
La fuite de petit bronze eft affez aifée à former
dans le bas empire , puifqu’on a de ces fortes de
médailles depuis les Pofthumes jufqu’à Théodofe ;
mais depuis Jules jufqu’aux Pofthumes, il eft très-
difficile de la remplir ; & depuis Théodofe jufqu’aux
Palélogues, avec qui l’empire des Grecs a fini, il
eftabfolumentimpoffible d’y parvenir fans le fecours
de l’or & de l’argent, & même de quelques moyens
bronzes : car ce n’eft que de cette maniéré queM. du
Cange, un des favans hommes du dernier fiecle dans
l’Hmoire, nous a donné cette fuite dans fon livre
des familles, qu’il nomme byzantines, parce qu’elles
ne font venues à l’empire qu’après la fondation de
Conftantinople , dite auparavant Byzance , dont
Conftantin fit une nouvelle Rome. Auffi a-t-elle fait
gloire d’oublier fon ancien nom pour prendre celui
de fon reftaurateur.
Il ne faut donc point efpérer d’avoir aucune fuite
complette de chaque métal en particulier, ni de
chaque grandeur différente, mais on ne doit pas pour
cela les gâter par le mélange des différens métaux ;
cependant on permet, pour la fatisfaâion de ceux
qui veulent avoir une fuite des plus complettes, de
mêler le petit bronze avec le moyen, afin de fe voir
fans interruption notable conduits, depuis la république
romaine, qui perdit fa liberté fous JulesCé-
far , jufqu’aux derniers empereurs grecs, qui furent
détrônés par les Turcs l’an 1453* Ainfi la fuite des
médailles nous trace pour ainfi dire l’hiftoire de plus
de quinze fiecles.
Des fuites de médailles par les têtes & parles revers
On peut encore compofer des fuites fort curieufes
par les têtes des médailles, en rangeant par ordre les
médailles tes rois, des villes,des familles romaines,
des empereurs & des déités : ce font autant de claffes
fous lefquelles on diftribue toutes les différentes fuites
de médailles, comme nous l’expliquerons fort au
long au mot Suite , Art numifmatique.
Quant aux revers qui rendent les médailles plus
ou moins curieufes, nous en détaillerons le mérité
au mot Revers ; mais dès qu’on eft parvenu à former
les fuites de médailles d’un cabinet, il s’agit de con-
noître l ’état de chaque médaille, parce que c’eft delà
que dépend particulièrement leur prix & leur
beauté.
De l'état & de la beauté des médailles. Les antiques
médailles ne font les plus belles & les plus précieu-
fes que lorfqu’elles font parfaitement confèrvées ;
je veux dire lorfque le tour de la médaille & le gre-
netis en font entiers, que les figures imprimées fur
les deux côtés en font connoiffables, & que la légende
en eft lifible.
Il eft vrai que cette parfaite confervation eft quel-:
quefois un jufte fujet d’avoir la médaille pour fuf-
peéle, &qu e c’eft par-là que le Padouan & le Par-
méfan ont perdu leur crédit. Cependant ce n’eft
point une preuve infaillible qu’elle foit moderne,
puifque nous en avons quantité d’indubitables, de
tous métaux, & de toutes grandeurs, que l’on appelle
fleur de coin, parce qu’elles font auffi belles ,
auffi nettes, & auffi entières que fi elles ne faifoient
que de fortir de la main de l’ouvrier.
Le prix delà médaille antique augmente encore par
une autre beauté que donne la feule nature, & que
l’art jufqu’à préfent n’a pu contrefaire, c’eft le vernis
que certaine terre fait prendre aux médailles de bronze,
& qui couvre les unes d’un bleu turquin, prefque
auffi foncé que celui de la turquoife ; les autres d’un,
certain vermillon encore inimitable ; d’autres d’un
certain brun éclatant & poli, plus beau fans compa-
raifon que celui de nos figures bronzées, & dont
l’oeil ne trompe jamais, ceux même qui ne font que
médiocres connoiffeurs, parce que fon éclat paffe
de beaucoup le brillant que peut donner au métal le
fel armoniac mêlé avec le vinaigre. Le vernis ordinaire
eft d’un vert très-fin , qui fans effacer aucun
des traits les plus délicats de la gravure, s’y attache
plus proprement que le plus bel émail ne fait aux
métaux où on l’applique. Le bronze feul en eft fuf-
ceptible ; car pour l’argent, la rouille verte qui s’y
attache ne fert qu’à le gâter, & il faut l’ôter foi-
gneufement avec le vinaigre ou le jus de citron,
lorfqu’on veut que la médaille foit eftimée.
Quand donc vous trouverez une médaille frufte
ordinaire, c’eft-à-dire à laquelle il manque quelques-
unes des chofes uéçeffaires, foit que le métal foit
écorné
écorné ou rôgné, le grenetis effleuré, les figures «
biffées, la légende effacée, la tête méconnoiflable ;
ne lui donnez point de place dans votre cabinet :
mais plaignant le fort malheureux des grandeurs
humaines, laiffez aller ces princes qui ont autrefois
fait trembler la terre, mollir fur l’enclume âe l’or-
févre, ou fous le marteau du chaudronnier.
Si néanmoins c’étoient de certaines médailles fi rares
, qu’elles pufl'ent paffer pour uniques, ou que l’un
des deux côtés fût encore entier, ou que la légende
fût finguliere ou lifible, elles mériteroient fort d’être
gardées, & ne laifferoieht pas d’avoir leur prix.
En effet, on voit peu de cabinets où il n’y en ait
quelqu’une de mal confervée, & l’on eft trop heureux
quand on peut avoir, même avec imperfeûion,
certaines têtes rares, pourvu qu’elles foient tant-foit-
peu connoiffables ; il ne faut pas fur-tout fe rebuter
pour Une légende effacée, quand le type eft bien
confervé, puifqu*il y a des favans qui les déchiffrent
à merveille, témoins M. Vaillant & M. Morel,
qui par un peu d’application, rappelloient les mots
les plus inyifibles, & réfufeitoient les caraâeres les
plus amortis.
Il eft bon de favoir que les bords des médailles,
éclatées par la force du coin, ne paffent pas pour
un défaut qui diminue le prix de la médaille, quand
les figures n’en font point endommagées ; au contraire,
c’eft un ligne que la médaille n’eft point moulée
; ce ligne néanmoins ne laiffe pas d’être équivoque
, à l’égard de ceux qui auroient battu fur l’antique
, car cela ne prouveroit pas que la tête ou le
revers ne fût d’un coin moderne, & peut-être tous
les deux.
Prenez garde auffi à ne pas rebuter les médailles
d’argent dont les bords font dentelés, & qu’on nomme
numifmata ferrata, parce que c’eft encore une
preuve de la bonté & de l’antiquité de la médaille.
Mais il fe trouve certains défauts qui nuiient à la
beauté des médailles, & qu’on ne peut attribuer qu’à
la négligence des monnoyeurs ; par exemple, lorfque
le coin ayant coulé forme deux têtes pour une,
deux grenetis ou deux légendes ; lorfque les lettres
de la légende font ou confondues ou fupprimées,
ou déplacées, comme on en voit communément
fur les médailles te Claude-le-Gothique, & des trente
tyrans, ce font des monftres dont il ne faut point
faire des miracles ; car quoique cela n’empêche pas
que la médaille ne foit antique, cependant le prix
au-lieu d’en augmenter en diminue notablement.
Quant à certaines médailles qui ont une tête d’empereur
avec quelques revers bifarres, ou avec des
revers qui appartiennent à un autre empereur que
celui dont elles portent la tête, il n’en faut faire aucune
eftime, puifque ce n’eft qu’un effet de l’ignorance
ou de la précipitation du faux monnoyeur.
Enfin il arrive quelquefois que ce monnoyeur oublie
de mettre les deux quarrés, & laiffe ainfi la
médaille fans revers : on nomme ineufes ces fortes de
médailles. Foye{ MÉDAILLE INCUSE.
C ’eft ici le lieu de parler des contre - marques,
que les jeunes curieux pourroient prendre pour
aesdifgraces arrivées aux médailles, dont elles entament
le champ, quelquefois du côté de la tête,
d’autres fois du côté du revers, particulièrement
dans le grand & moyen bronze, affez femblables à
ces marques qui fe voyent fur nos fous, que le peuple
nomme tappés, à caufe que I’impreffion du coup
qu’ils ont reçu, quand on leur a fait cette marque,
Y eft demeurée : cependant ce font des beautés pour
les favans, qui recherchent les médailles où font des
contre-marques.
On en trouve fur les médailles tes rois & des
villes grequès, fur celles des colonies, & fur. les im-
PeriaJ®s* Il y a quelquefois plus d’une contre-mar-
Tomç X ,
qué fuï la même médaille> mais les Antiquaires n’en
ont jamais vû au-delà de trois. Rien n’eft moins informe
que ces contre marques, même fur les médailles
latines : le pîiis fouvent ce font des letrres
hees enfemble, qui expriment Amplement le nom
de l’empereur; quelquefois ce font les lettres S. C.
Senatus Confulto, fur les médailles frappées dans'les
monrioies de Rome, D. D. Decreto Decurionum; fur
les médailles des colonies, comme fur une de Sa-
gunte, & fur une autre de Nifmes, ou enfin N. C.
A. P. R. que Golthius expliquoit avec Angeloni '
Vicus & Manuee , par Nobis Concefjum A Populo
Romano, formule qu’on peut peut être mieux interpréter
par Nummus Cufus, Aucloritate Pôpuli Romani;
d’autres fois ces contre-marques font des types
, tantôt accompagnés de lettres , comme fur une
médaille de Jules-Céfar, frappée à Bérite ; où l’on
voit au contre - marque une corne d’abondance au
milieu de deux G ; & tantôt fans lettres, comme
une petite roue, qui porte fur les têtes d'Augufte
& d’Agrippa, dans une médaille de la colonie de
Nifmes; &c une tête de taureau gravée fur le cou
de Domitien, dans une médaille de ce prince. Le
malheur eft que d’un côté les Antiquaires.ne conviennent
pas de la lignification de plufieurs contre-
marques, & que de l’autre ils favent encore moins
les raifons qui les ont fait naître, comme nous lé
dirons au mot Médailles contre-marquées.
Quant au relief des médailles, voye^ RehëF il
fuffit d’obfefver ici que c’eft une beauté, mais qui
n’eft pas une marque indubitable de l'antique.
Des fourberies en médailles. Non-feulement il eft
facile d’attraper les nouveaux curieux, par de faufi-
fes médailles, auxquelles on donne du relief > mais il
eft encore aifé de les furprendreà plufieurs autres
égards, principalement Jorfqu’ils font dans la première
ardeur de leur paffion pour les médailles, &
qu’ils fe trouvent affez opulens pour ne pas appréhender
la dépenfe. On les voit tous les jours fe livrer
à la mauvaife foi & à l’avarice des trafiquans,
qu’on nomme par mépris brocanteurs, faute d’en
foupçonner les artifices. Ils font trompés d’autant
plus aifément , que les meilleurs connoiffeurs le
trouvent partagés fur de certaines médailles, que les
uns croyent antiques & les autres modernes; les uns
moulées, les autres frappées, à peu près comme il
arrive par rapport aux tableaux, où les yeux les
plus favans ne laiffent pas de prendre quelquefois
un original pour une copie, & une copie pour l’original.
Le danger eft encore devenu plus grand pour
les amateurs des médailles, depuis que parmi les
Médailliftes il s’eft trouvé un Padouan & un Parmé-
fan en Italie,qui ontfu imiter parfaitement l'antique.
Pour dévoiler tout ce myftere, il faut commencer
par indiquer les maniérés différentes de fallîfier
les médailles, & le moyen de reconnoître la falfifi-
cation, afin que le mal ne demeure pas fans remede.
La première & la plus groffiere, eft de fabriquer
des médailles c\m jamais n’ont exifté, comme celle
de Priam, d’Enée, de Cicéron , de Virgile , & femblables
perfonnages illuftres, pour qui le Parméfan,
& quelques autres ouvriers modernes, ont fait des
coins tout exprès, afin de furprendre les curieux j
animés du defir d’avoir des médailles fingulieres.
C ’eft avec la même mauvaife foi, & par le même
motif d’intérêt, que l’on a fabriqué-des revers extraordinaires,
& capables de piquer la curiofité;
par exemple, un Jules-Céfar, avec ces mots, Feni,
vidi, vici ; un Augufte avec ces d eux -c i, Fejiina
lente ; car quoique ce bon mot foit effe&ivement
d’Augufte, cependant on ne s’étoit pas avifé d’en
conferver la mémoire fur le métal.
Il eft aifé à ceux qui ne font pas novices dans
l’infpeâion des médailles, de reconnoître rimpof-
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