dice, &c. que la guérifon de la bleffure qu’ un fer-
pentlui avoit fait, accident comme on le verra plus
bas , oifla Mujique eft. extrêmement efficace. Quelques
philofophes n’ont pas laide d’adopter tout le fabuleux
de cette hiftoire, & de prendre l’allégorie
pour la réalité ; ils n’ont pas cru la Mufique incapable
de produire des merveilles auffi grandes , & Fabius
Paulinus prétend qu’Orphee a pu les operer par
fept moyens principaux. Mais en nous éloignant de
ces tems obfcurs & fabuleux, que nous ne connoif-
fons prefque que par les récits des poètes, nous
pouvons confulter des hiftoires véridiques, nous y
verrons des faits à-peu-près femblables qui confiaient
l’aâion de la Mufique : i° fur les corps bruts :
2° fur les animaux : 30 fur l’homme confideré dans
fes rapports avec la Morale ou la Medecine. Parmi
le grand nombre d’obfervations qui fe préfentent,
n,ous choifirons celles qui font les mieux conftatées,
appuyées fur des témoignages authentiques ; nous
en avons allez de cette efpece pour pouvoir négliger
celles qui pourroient fournir le moindre fujet
de doute : nous ferons même obligés d’en palier
beaucoup fous filence, pour fatisfaire a la brievete
qu’exigent le tems & l’ordre prefcrit dans ce Dictionnaire.
Le leôeur curieux pourra confulter le
traité de Plutarque fur la Mufique, les excellens ouvrages
des peres K-ircher &c Merfenne , l’hiftoire de
la Mujique par M. Bourdelot ; nous le renvoyons
fur-tout à une thefe loutenue & compofée aux écoles
de Médecine de Montpellier, par M. R o y e r ,
Teflamcn. de vi foni & muficce in corpus humanum,
autor.. Jofcph. Ludov. Royer, dont nous avons tiré
beaucoup de lumières. Nous pouvons l’affurer, que
cette thefe renferme , outre une abondante collection
des faits curieux & intéreffans fur l’a&ion de la
Mujique, un traité phyfique très-bien raifonné fur le
fon & la Mujique,qui a été particulièrement approuvé
& admiré des connoiffeurs. Qu’il eft gracieux de
pouvoir payer un foible, mais légitime tribut à l’amitié,
en rendant un jufte hommage à l’exacfe vérité!
- ' ■
i ° L’aâion du fon & de la Mujique fur l’air ,n a
pas befoin de preuves ; il eft affiez démontré quel eft
le principal milieu par lequel ils fe communiquent.
Le mouvement excite dans 1 air par le fon , eft teL
qu’il pourroit parcourir 1038 prés dans une fécondé
s’il étoit dirett ; il furpafi'e ainfi la viteffe du vent
le plus furieux qui, félon le calcul de M. Derrham
qui a porté cette force le plus loin, ne parcourt dans
le même tems que 66 pies 1 mais comme fon aélion
n’eft pas continue, & qu’il n’agit que par des vibrations
fucceffives , il ébranle plutôt qu’il ne renver-
fe. Un fécond effet de la Mujique confiderée comme
fon fur l’air , eft de le raréfier ; cet effet s’eft ma-
nifefté dans des grandes fêtes, lorfque les peuples
pouffoient de fortes acclamations, on a vu tomber
les oifeaux qui traverfoient alors l’air. On s’eft fer-
vi anciennement de cette obfervation pour attraper
les pigeons que deux villes affiégées, dont on avoit
coupé la communication par terre, s’envoyoient
pour s’inftruire de leur état mutuel. On voit de même
tous les jours les nuages diffipés, & le tonnerre
détourné des églifes & des camps , par le fon des
cloches & le bruit du canon : ces mêmes précautions
deviennent funeftes fi on les prend trop tard,
lorfque les nuages ne font plus hors de la fphere du
fon. Voye{ Son. L’air porte aux corps environnans
l ’impréflion de la Mujique, & fait dans les églifes ou
falles de concert, ofcilier en mefure la flamme des
bougies, la fumée & les petits corps qu’on voit s’élever
de terre dans la direâion des rayons du foleil.
Si on met dans une petite diftance deux violons
montés à l’uniffon , & qu’on joue de l’un , l’autre
rendra le même fon y fi on remplit plufieurs verres
femblables en capacité, & faits à l’uniffon, d’eau
ou de liqueurs différentes, & qu’on racle avec les
doigts le bord d’un feul, la liqueur trémouffera dans
tous les autres; & dans cette expérience que Kii-
cher a le premier tentée , on remarque que les liqueurs
hétérogènes fautillent d’autant plus dans ces
verres, qu’elles font plus fubtiles ; de façon que
l’efprit-de-vin feroit beaucoup ému, le vin beaucoup
moins, l’eau très-peu, &c. Cette expérience
appliquée au corps humain, peut donner la folution-
de plufieurs problèmes. On voit auffi, quand on
chante ou qu’on joue de quelqu’inftrument près de
l’eau , une crifpation très-marquée fur lafurface :
on remarque la même chofe fur le vif-argent. Le P.
Kircher dit avoir vu un rocher que le fon d’un tuyau
d’orgue mettoit en mouvement. Le pere Merfenne
affure qu’à Paris il y avoit dans une églife des religieux
de S. François , une orgue dont le fon ébran-
loit le pavé de l’églife. M. Bourdelot raconte qu’un
muficien s’étant mis à chanter dans un cabaret,tous
les verres & les pots réfonnerent à l’inftant, furent
agités & fur le point de fe caffer. Il y a plufieurs
exemples de muficiens qui ont mis en pièces, par le
chant Ou parle fon de quelque infiniment, des vitres,
| des glaces, '&c. Veyeç la thefe citée , partie II. ch. ij.
pag. 6c). Il y a une expérience très-connue à ce fujet
, d’un gobelet de verre qu’on fufpend avec un fil,
j & qui s’en va en éclats par le ton unijfon de la voix
humaine. Le P. Merfenne, S. Auguftin & quelques
autres peres de l’Eglife, penfent que la chute des
murs de Jéricho eft un fait tout naturel, dû au fon
des inftrumens dont Gédeôn avoit fait munir, par
ordre de Dieu, les lfraélites.
20 Les effets de la Mujique font encore plus fré-
quens & plus fenfibles dans les animaux : voyez avec
quelle attention, avec quel plaifir le canari écoute
les airs de fermette qu’on lui joue : il approche la tête
des barreaux de fa cage, refte immobile & muet
dans cette fituation jufqu’à ce que l’air foit fini ;
après cela il témoigne fon contentement en battant
des ailes ; il tâche de répéter la chanfon & de s’accorder
enfuite avec forimaître. Le P. Kircher parle
d’un petit animal qui, pendant la nuit, fait entendre
diftin&ement les fept tons de mujique, ut, ré, mi,
f a , &c. en montant & en defeendant ; on l’appelle
communément haut ou animal de la parejfe, parce
qu’il eft deux jours pour monter au fommet des arbres
où il va fe percher : Linnæus lui a donné le nom
expreffif de bradypus. Il y a des auteurs qui prétendent
que tous les animaux ont de l’attrait pour la
Mujique ; l’analogie , le rapport d’organifation avec
l’homme, favorilent cette opinion ; ils penfent auflî
que chaque animal a une efpece de prédile&ion pour
certains fons, & qu’en le-choififfant avec habileté,
on viendroit à-bout de les apprivoifer tous. Cette
idée eft fondée fur ce que l’on a obfervé que les
Chaffeurs attiroient adroitement les cerfs en chantant
, les biches au fon de la flûte; que l’on calmoit
avec le chalumeau la férocité des ours ; celle des
éléphans parla voix humaine. Il eft certain auffi que
tous les oifeaux font attirés dans les pièges par des
apeaux appropriés: c ’eft une des rufes les plus ordinaires
& les plus efficaces de ceux qui chaffent au
filet. On fe fert auffi quelquefois & dans certains
pays de la mujique pour la pêche, qu’on rend par ce
moyen beaucoup plus heureufe.
L’hiftoire du dauphin qui porta Arion, ce célébré
joueur de flûte , eft une allégorie fous laquelle on a
voulu repréfenter l’amour de ces poiffons pour la Mu-
Jique , connu, dans d’autres occafibns. Il y a des animaux
qui témoignent par leurs mou vemens, cadences
, & leurs fauts en mefure, l’impreffion & le
plaifir qu’ils éprouvent par la Mujique. Aldrovande
affure avoir vû un âne qui danfoit fort bien au Ion
des
des inftruihens. M. Bourdelot rapporte la même
chofe de plufieurs rats qu’un homme avoit apportés
à la foire Saint-Germain, il dit qu’il y en- avoit huit
entr’autres quiformoient fur la corde une danfe très-
compofée qu’ils exécutoient parfaitement bien.
Olaus Magnus & Paulus Diaconus racontent que les
troupeaux mangent plus long-tems& avec plus d’a-
vidité au fon du flageolet -, ce qui a fait dire aux Arabes
que la Mujique les engraiffoit ; & c’eft peut- être
de cette obfervation qu’a pris naiffance l’ufage ordinaire
des bergers dejouer de cet inftrument. Les chameaux
, au rapport de Thevenot & autres qui ont
voyagé dans l’orient, fupportent fans peine lès plus
pefans fardeaux, & marchent avec la même aifance
que s’ils n’étoient point chargés lorfqu’on joue des
inftrumens. Dès qu’on ceffe , leur force diminue,
leur pas fe rallentit, & ils font obligés de s’arrêter.
Peut-être pend-on, pour la même raifon, une grande
quantité de clochettes au col des mulets qui font de
longues routes avec des pefans fardeaux. On a auffi
obfervé des animaux qui démontroient le pouvoir
de la mujiqüe par une averfion , une efpece d’antipathie
qu’ils avoient pour elle ou pour certainsTons ;
Baglivi fait mention d’un chien qui pouffoit des hur1
lemens, gémiffoit, devenoit trifte toutes les fois qu’il
entendoit le fon d’une guittare ou de tout autre inftrument.
Ces exemples ne font pas rares : le fait que
raconte Mead , & qu’il tient d’un témoin oculaire,
irréprochable , eft plus fingulier : un muficien s’étant
apperçu qu’un chien étoit fi fort affeâé d’un certain
ton, que , toutes les fois qu’il le jouoit, cet
animal s’inquiétoit, crioit, témoignoit un mal-aife
par des hurlemens ; il effayaunjour, pours’amufer
& pour voir ce qui en rélulteroit , de répéter fou-
vent ce ton & de s’y arrêter long-tems ; le chien,
après avoir été furieufement agité, tomba dans les
convuifions & mourut.
30. C ’eft principalement fur les hommes plus fuf-
ceptibles des différentes imprefîions , & plus capables
de fentir le plaifir qu’excite la Mufique , qu’elle
opéré de plus grands prodiges, foit en faifant naître
& animant les paffions, foit en produifant fur le
corps des changemens analogues à ceux qu’elle
ppere fur les corps bruts. La mufique des anciens
plusfimple, plus imitative, étoit auffi plus pathétique
& plus efficace ; ils s’attachoient plus à remuer le
coeur, à émouvoir les paffions, qu’à fatisfaire l’ef-
prit & infpirer du plaifir; leurs hiftoires font auffi
plus remplies de faits avantageux à la Mufique que
les nôtres, & qui prouvent en même tems que cette
fimplicité n’eft peut-être rien moins qu’une fuite de
l’imperfe&ion prétendue de leurs inftrumens, & du
peu de, connoiffance qu’on leur a attribué des principes
:de l’harmonie. Ils avoient diftingué deux airs
principaux, dont l’un , appelle phrygien j âvoit le
pouvoir d’exciter la fureur, la colere , d’animer le
co u r a g e ,^ , l’autre, connu fous le nom d’air dorique
(modus doricus) , infpiroit les paffions oppo-
fées, geramenoit à un état plus tranquille les elprits
agités. Galién rapporte qu’un muficien ayant , avec
l ’air phrygien, mis en fureur des jeunes gens ivres,
changea de ton à fa priere, joua le dorique, & dans
l’inftant iis reprirent leur tranquillité. Pythagore,
au rapport de Quintilien, vqyant un jeune.homme
furieux, prêt à mettre le feu à la maifon de fa maî-
treffe infidelle; pria un muficien de changer la mefure
des vers & de chanter un fpondcc, auffi-tôt la
gravité; de cette mufique calma les agitations de cet
amant méprifé. Plutarque raconte qu’un nommé Ter-
panter, muficien, appelle par un oracle de 1 île de
Lesbos'à Lacédémone, y calma par la douceur de
fa voix une violente {édition. Il y a beaucoup
d’exemples de perfonnes qui ont été portées par la
Mufique à des violens accès de fureur, au point de
Tom e X .
fe j'etter fur les affiftans ; on raconte ce fait d’Alexandre
, du roi Ericus furnommé le Bon, d’un doge de
Venife, &c. Voyeç la thefe citée part. II. cap. iv. pag.
100. & feq. Les inftrumens de Mufique i flûtes ,
trompettes, tambours, timbales, ou autres femblables,
ont toûjours été en ufage dans les armées ; on
y failoit même autrefois entrer des choeurs de muficiens
qui chantoient des hymnes à l’honneur de
Mars, de Caftor & de Pollux, &c. Cette mufique
fervoit non-feulement à infpirer de la fermeté, du
courage , de l’ardeur aux guerriers , mais on en re-
tiroit encore le précieux avantage de prévenir le
defordre & la eonfufion ; on s’en fert encore aujourd’hui
pour faire marcher le foldat en mefure , pour
augmenter ou diminuer fa vîteffe, & pour diriger
-toutes les évolutions militaires, on pourroit ajouter
auffi, pour diminuer les fatigues d'une marche pénible*
Get effet quoique peu fenti eft très-réel ; nous pourrions
rappeller ici l’exemple des chameaux dont
nous avons parlé ci deflus : mais ne voyons-nous
pas tous les jours arriver la même chofe dans nos
bals? telle perfonne qui ne danferoit pas une heure
fans être d’une laffitude extrême, s’il n’y avoit ni
voix,ni inftrumens, q u i, animée & foutenue par
une bonne fymphonie, paffera la nuit entière à dan-
fer fans s’appercevoir qu’elle fe fatigue * & même
fans l’être. Un vieillard, mordu par une tarentule,
à qui l’on joue un air approprié , Ce ieve & danfe
des heures entières avec la même facilité qu’un jeune
homme de quinze ans ; en même tems qu’on voit
dans ce cas les effets bien marqués de la Mufique, on
peut appercevoir l’origine & les raifons de fon introduction
dans la danfe. De même la vertu qu’elle
a de calmer les fureurs , d’appaifer la colere, dé
prévenir & d’arrêter les emportemens qu’entraîné
l’ivreffe, a peut-être donné lieu aux chanfons qui
fe chantent pendant le deffert, qui eft la partie du
repas où l’on mange le moins & où l’on boit davantage
, & fur-tout de vins différens. Il n’y a point d’u-
fage, quelque ridicule qu’il paroiffe, qui n’ait été
fondé fur quelque raiion plus ou moins apparente
d’utilité.;, il n’y a point de paffions que les anciens
ne cruffent pouvoir exciter par leur mufique, ils la
regardoient fur-tout, comme l’a remarqué M. Rdl-
lin , comme très-propre « à adpucir les moeurs , ÔC
» même humaniler les peuples naturellement fauva-
» ges & barbares >»< Polybe, dit M. Rollin, hifto-
rien grave & férieux , qui certainement mérite
quelque créance, « attribue la différence extrême
» qui fe trouvoit entre deux peuples de l’Arcadie ;
» les uns infiniment aimés & eftimés par la douceur
» de leurs moeurs, par leur inclination bienfaifante,
» par leur humanité envers les étrangers & leur
» piété envers les dieux ; les autres , au contraire ,
» généralement décriés & haïs à caufe de leur féro-
» cité & de leur irréligion: Polybe, dis-je , attribue
» cette différence à l’étude de la Mufique , cultivée
» avec foin par les uns,, & abfolument négligée
» par les autres ». Rollin, Hiß. anc. tom. IK pag*
638. Enfin, cette meme Mufique qu’on a rendu aujourd’hui
fi douce j f i voluptueufe, fi attendriffante,
& qui paroît n’être faite que pour captiver les
coeurs , pour infpirer l ’amour, étoit fi bien variée
par les anciens , qu’ils s’en fërvoient comme d’un
préfervaîif contre les traits de l’amour, & comme
d’un remede affuré pour la continence : les maris
abfens, au lieu de ces affreufes ceintures fi fort à la
mode & peut-être fi rtéceffaires dans certains pays ,
laiffoient à leurs femmes des muficiens qui leur
jouoient des airs, capables de modérer les.defirs
qu'elles n’auroient pû fatisfaire qu’aux dépens de
leur honneur ; & on affure qu’Egifte ne put vaincre
les refus de Clytemneftre, qu’après avoir fait
mourir Démodocus, muficien, qu’Agamemnon avoit