O n lit dans l’hiftoire de l’académie des fcientes de
Paris, qu’un muficien fut guéri d’une violente hevre
par un concert qu’on fit dans fa chambre. 7
Les fons agiffent même fur les corps înammes.Mor-
hoff fait mention d’un certain Petter hollandais, qur
brifoit un verre par le fon de l'a voix. Kircher parle
d’une grande pierre qui frémiffoit au Ion d un certain
tuyau d’orgue. Le P. Merfenne parle auffi d’une
forte de carreau que le jeu de l’orgue ébranloit comme
auroit pu faire un tremblement de terre. Boile
ajoute que les lièges tremblent fouvent au fon des1
orgues ; qu’il lès a fenti plufieurs fois frémir fous 3g
main’à certains tons de l’orgue ou delà voix ,& q u on
l’a affuré que tous ceux qui étoient bienfaits frémif-'
foient à quelque ton déterminé. Cette derniere expérience
eit certaine , & chacun peut la vérifier
tous les jours. Tout le monde a oui parler de ce fameux
pilier d’une églife de Reims, (S. Nicaife), qui
s’ébranle très-fenfiblement au fon d’une certaine cio-*
che tandis que les autres piliers demeurent prefque
immobiles. Mais ce qui ravit au Ion l’honneur du
merveilleux, c’eftque ce pilier s’ébranle également
quand on ôte le batant de la cloche.
Tous ces exemples dont la plûpart appartiennent
plus au fon qu’à la Mufique, & dont la Phyfique peut
donner quelques explications , ne nous rendent pas
plus intelligibles ni plus croyables les effets merveilleux
& prefque divins que les anciens attribuent à la
Mujîquc. Plufieurs auteurs fe font tourmentés pour
fâchef d’en rendre raifon. Wallis les attribue en partie
à la nouveauté de l’a r t , & les rejette en partie
fur l’exagération des anciens ; d’autres en font honneur
feulement à la Poéfie ; d’autres fuppofentque
les Grecs, plus fenfibles que nous parla conftitution
-de leur climat, ou par leur maniéré de vivre, pou-
voient être émus de choies qui ne nous auroient nullement
touchés. M. Burette même en adoptant tous
•ces faits prétend qu’ils ne prouvent point la perfection
de la Mufique qui les a produits ; il n’y voit rien
que des mauvais racleurs de village n aient pu faire,
félon lu i, tout aufli-bien que les premiers muficiens
du monde. La plûpart de ces fentimens font fondés
fur le mépris que nous avons pour la mufique ancienne.
Mais ce mépris e f t - il lui-même aufli-bien
fondé que nous le prétendons ? C eft ce qui a ete examiné
bien des fois , & qui, vu i’obfcurité de la matière
, & l’infuffifance des juges, auroit peut-être
befoin de l’être encore. .
La nature de cet ouvrage , 6c le peu de lumières
qui nous reftent fur la mufique des Grecs , m’interdi-
fent également de tenter cet examen. Je me conten-,
terai feulement, fur les explications-mêmes que nos
auteurs , fi peu prévenus pour cette ancienne mufique
, nous en ont données, de la comparer en peu de
mots avec la nôtre. . *
Pour nous faire de la mufique des anciens 1 idee la
plus nette qu’il eft poffible, il la faut confidérer dans
chacune de fes parties ; fyfiemes , genres, modes ,
rhythme 6c melopée. Voyez chacun de ces mots.
Le réfultat de cet examen fe peut réduire à ceci :
î®. que le grand fyftème des Grecs , c’eft-à-dire l’é-
tendue générale qu’ils donnoient du grave à l’aigu à
tous les fons de leur mufique , n’excédoit que d’un
ton l’étendue de trois oftaves. Voye^ Les tables grecques
que Meibonius a mifes à la tête de l’ouvrage
d’Alypius. A
2. . Que chacun de leurs trois genres , & meme
chaque efpece d’un genre étoit compofée d’au moins
fei2e fons conlêcutifs dans l ’étendue du diagramme.
Que de ces fons il y en avoit la moitié d’immobiles
qui étoient les mêmes pour tous les genres ; mais que
ï’accord des autres étant variable 6c différent dans
chaque genre particulier, cela multiplioit confidéra-
^lement le nombre de« fon« 6c des intervalles.
30. Qu’ils àvoient au moins fept modés ou tfônS
principaux fondés fur chacun des fept fons du fyftème
diatonique, lefquels, outre leurs différences du
grave à l’aigu recevoient encore , chacun de fa modification
propre , d’autres différences qui en màr-
quoient le caradere.
4°. Que’le rhythme ou lamefure varioit chez eu x,
non-leulement félon la nature des pies dont les vers
étoient compofés , non-feulement félon les divers
mélanges de ces mêmes pies 9 mais encore félon les
divers tems fyllabiques, 6c félon tous les degrés du
vite au lent dont ils étoient fufcéptibles.
. s y°. Enfin quant au chant ou à la melopée, on peut
juger de la variété qui de voit y regner, par le nom-*
bre des genres 6c des modes divers qu’ils lui afli*
gnoienr , félon le cara&ere de la poéfie , 6c par la
liberté de conjoindre ou divifer dans chaque genre
les djtférens tetracordes, félon que cela convenoit
à l’expreflion 6c au cara&ere de l’air.
D ’un autre côté, le peu de lumières que nous pouvons
recueillir de divers paffages épars çà-&:là dans
les auteurs fur la nature 6c la conftru&ion de leurs
inftrumens,fuftifent pour montrer combien ils étoient
loin de la perfeftion des nôtres. Leurs flûtes n’a-
voient que peu de trous , leurs lyres où cythares
n’avoient que peu de cordes. Quand elles en avoient
beaucoup , plufieurs de ces cordes étoient montées
à i’uniffon ou à l’odave , 6c d’ailleurs la plûpart de
ces inftrumens n’ayant pas de touches, on n’en pou-
voit tirer tout-au-plusqu’autant de fons qu’il y avoit
de cordes. La figure de leurs cors & de leurs trom-*
pettes fuffit pour montrer qu’ils ne pouvoient égaler
le beau fonde ceux d’aujourd’hui : & en général, il
faut bien fuppofer que leur orcheftre n’etoit guère
bruyant, pour concevoir comment la cythare , la
harpe 6c d’autres inftrumens femblables pouvoient
s’y faire entendre : foit qu’ils en frappaffent les cordes
avec le pledrum, comme nous faifons fur nos
tympanons, foit qu’ils les pinçaflent avec les doigts,
comme leur apprit Epigonius, l’on ne comprend pas
bien quel effet cela devoit produire dans leur mufique
, qui fe faifoit fi fouvent eh plein air. Je ne lai fi
cent guittares dans un théâtre tel que celui d’Athènes
pourroient le faire entendre bien diftinftement.
En un mot, il eft très-certain qiie l’orgue feule , cet
inftrument admirable , 6c digne par fa majefté de
l’ufage auquel il eft deftiné , efface abfolument tout
ce que les anciens ont jamais inventé en ce genre.
Tout cela doit fe rapporter au caradere de leur mufique;
tout occupés de leur divine poéfie, ils ne fon-
geoient qu’à la bien exprimer par la mufique vocale ;
ils n’eftimoient l’inftrumentale qu’autant qu’elle faifoit
valoir l’autre ; ils ne louffroient pas quelle la
couvrît, 6c fans doute ils étoient bien éloignés du
point dont je vois que nous approchons, de ne faire
fervir les parties chantantes que d’accompagnement
à la fymphonie.
Il paroît encore démontré qu’ils ne connoiffoient
point la mufiqueà plufieurs parties , le contre-point,
en un mot l’harmonie dans le fens que nous lui donnons.
S’ils employoient ce mot, ce n’étoit que pour
exprimer une agréable .fucceffton de fons. ÿoye£ fur
ce lujet les différtations de M. Burette dans les mém.
de l'académie des belles-lettres.
Nous l’emportons donc fur eux de ce côté-là , &
c’eft un point confidérable, puifqu’il eft certain que
y l’harmonie eft le vrai fondement de la mélodie 6c de
la modulation. Mais n’abufons-nous point de cet
avantage ? c’eft un doute qu’on eft fort tenté d’avoir
quand on entend nos opéra modernes. Quoi ! ce
chaos, cette confufion de parties , cette multitude
d’inftrumens .différens, qui femblent s’infulter l’un
l’autre , ce fracas d’accompagnemens qui étouffent
la voix fans la foutenir ; tout cela fait - il donc les
véritables beautés de là Mufique ? Ëft - ce de - ïà
qu’elle tire fa force & fon énergie? II faudroit donc
que la Mufique la plus harmonieufe fût en même-tems
la plus touchante. Mais le public a affez appris le
contraire. Confidérons, les Italiens nos contemporains
, dont la mufique eft la meilleure, ou plutôt la
feule bonne de l’univers , au jugement unanime de
tous les peuples, excepté des François qui lui préfèrent
la leur. Voyez quelle fobriété dansjes accords,.
quel choix dans l’harmonie ! Ces gens - là ne s’avi-
ient point de mefurer au nombre des parties l’eftime,
qu’ils font d’une mufique ; proprement leurs.opéra ne
font que des duos, & toute l’Europe les admire & les
imite. Cen’eft certainement pas à force de multiplier
les parties de leur mufique que les François parviendront
à la faire goûter aux étrangers. L ’harmonie eft
admirable difpenfée à propos ; elle a des charmes
auxquels tous les hommes font fenfibles ; mais elle
ne doit point abforber la mélodie, ni le beau chant.
Jamais les plus beaux accords du monde n’intéreffe-
ront comme les inflexions touchantes & bien ménagées
d’une belle voix ; & quiconque réfléchira fans
partialité fur ce qui le touche le plus dans une belle
mufique bien exécutée, fentira, quoi qu’on en puiffe
dire, que le véritable empire du coeur appartient à
la mélodie.
Enfin , nous l’emportons par l’étendue générale
de notre fyftème, qui, n’étant plus renfermé feulement
dans quatre ou cinq octaves , n’a déformais
d’autres bornes que le caprice des muficiens. Je ne
fai toutefois fi nous avons tant à nous en féliciter.
Etoit-ce donc un fi grand malheur dans la mufique
ancienne de n’avoir à fournir que des fons pleins 6c
harmonieux-pris dans un beau medium ? Les voix
chantoient fans fe forcer, les inftrumens nemiau-
loient point fans ceffe aux environs du chevalet ;
les fons faux 6c lourds qu’on tire du démanché,les gla-
piffemens d’une voix qui s’excede, font-ils faits pour
émouvoir le coeur ? L’ancienne mufique favoit l’attendrir
en flattant les oreilles ; la nouvelle, en les
écorchant, ne fera jamais qu’étonner l’efprit.
Nous avons comme les anciens le genre diatonique
6c le chromatique ; nous avons même étendu
celui-ci : mais comme nos muficiens le mêlent, le
confondent avec le premier , prefque fans choix 6c
fans difeernement, il a perdu une grande partie de
fon énergie , & ne fait plus que très-peu d’effet. Ce
fera bientôt un thème d’écolier que les grands maîtres
dédaigneront. Pour l’enharmonique, le tempérament
l’a fait évanouir ; & que nous ferviroit de
l ’avoir, fi nos oreilles n’y font pas fenfibles , 6c que
nos organes ne puiffentplus l’exécuter ?
Remarquez d’ailleurs que la diverfité des, genres
n’eft point pour notre mufique une richeffe réelle ; car
c ’eft toujours le même clavier accordé de la même
maniéré ; ce font dans tous les genres les mêmes fons
& les mêmes intervalles. Nous n’avons proprement
que douze fons, tous les autres n’en font que les octaves
; & je ne fai même fi nous regagnons par l ’étendue
du grave à l’aigu , ce que les Grecsgagnoient
par la diverfité de l’accord.
Nous avons douze tons ; que dis-je ? nous avons
vingt-quatre modes. Que de richeffes par deffus les
Grecs, qui n’en eurent jamais que quinze, lefquels
encore furent réduits à fept par Ptolomée ] Mais ces
modes avoient chacun un caradere particulier ; le
degré du grave à l’aigu faifoit la moindre de leurs
différences : le caradere du chaqf , la modification
des tétracordes, la fituation des femi-tons, tout cela
les diftinguoit bien mieux que la pofition de leur
tonique. En ce fens nous n’avons que deux modes ,
& les Grecs étoient plus riches que nous.
Quant au rhy thme, fi nous voulons lui comparer
la mefure de notre mufique, tout l’avantage paroîtra
encore de notre côté : car fur quatre différens
rhythmes qu ilspratiquoient, nous avons au-moins
douze fortes de mefures ; mais fi leurs quatre rhythmes
faifoient réellement autant de genres différens
, nous n’en finirions dire autant de nos douze
mefures, qui ne lont réellement que des modifications
de durée de deux feuls genres de mouvement,
fovoir à deux 6c à trois tems. Ce n’eft pas que notre
mufique n’en pût admettre autant que celle des Grecs;
mais fi 1 on fait attention au genie des profeflëurs
de cet art, on connoîtra aifément que tout moyen
de perfectionner la Mufique, qui en a- plus befoin
qu’on' ne penfe, eft déformais entièrement impof-
fible. v
Nous joignons ici un morceau de chant dans la
mefure fefquialtere, c ’eft-à-dire à deux tems inégaux
, -dont le rapport eft de deux à trois ;• mefure
certainement aulii bonne & auffi naturelle que plufieurs
de celles qui font en ufage, mais que les Muficiens
n’adOpteront jamais , car leur maître ne la
leur a pas apprife. Voye^ Les PL. de Mufique.
Le grand vice de notre mefure, qui eft peut-être
Un peu celui de la langue, eft de n’avoir pas allez
de rapport aux paroles. La mefure de nos vers eft
une choie , celle de notre mufique en eft une autre
tout-à-fait différente, 6c fouvent contraire. Comme
la profodie de la langue françoife n’eft pas aufiî fen-
fibie que l’étoit celle de la langue grecque, & que
nos muficiens la têté uniquement pleine de fons ne
s’embarraffent point d’autre chofe, il n’y a pas plus
de rapport de leur mufique aux paroles ,, quant au
nombre & à la mefure , qu’il y en a quant au fens 6c
a 1 exprelîion.Ce n eft pas qu’ils ne fâchent bien faire
une tenue aux mots calmer ou repos ; qu’ils ne foient
fort attentifs à exprimer le mot ciel par des fons
hauts , les mots terre ou enfer par des fonà bas , à
rouler fur foudre 6c tonnerre y à faire élancer un monftre
furieux par vingt élancemens de voix , & d’autres
femblables puérilités. Mais pour embraffer l’ordonnance
d’un ouvrage , pour exprimer la fituation de
l’ame plûtôt que de s’amufer au fens particulier de
chaque mot ; pour rendre l’harmonie des vers, pour
imiter, en un mot, tout le charme de la poëfie par
une mufique convenable 6c relative, c’eft ce qu’ils
entendent fi peu , qu’ils demandent à leurs poètes
de petits vers coupés, profaïques, irréguliers, fans
nombre , fans harmonie , parfemés de petits mots
lyriques coule^vole^ gloire, murmure, écho, ramage,
fur lefquels ils épuilent toute leur fcience harmonique
; ils commencent,même parfaire leurs airs,
& y font enfuite ajufter des paroles par le verfifica-
teur : la Mufique gouvernera Poëfie eft lafervante,
& fervante fi fubordonnée , qu’on ne s’apperçoit pas
feulement à l’opéra que c’eft des vers qu’on entend.
L’ancienne mufique , toujours attachée à la Poéfie,
la fui voit pas-à-pas , en exprimoit exactement le
nombre 6c la mefure, & ne s’appliquoit qu’à lui donner
plus d’éclat & de majefté. Quelle impreffion
ne devoit pas faire fur un auditeur fenfible une excellente
poéfie ainfi rendue ? Si*la fimple déclamation
nous arrache des larmes , quelle énergie n’y
doit pas ajouter tout le charme de l’harmonie, quand
il l’embellit fans l ’étouffer ! Pourquoi la vieille mufique
de Lully nous intéreffe-t-elle tant ? pourquoi
tous fes émules font-ils reftés fi loin derrière lui ?
c’eft que nul d’entr’eux n’a entendu comme lui l’art
:d’affortir la mufique aux paroles; c’eftque fon récitatif
eft celui de tous qui approche le plus du ton de
la nature & de la bonne déclamation. Mais qu’on
l’en trouveroit encore loin fi on vouloit l’examiner
de près ! Ne jugeons donc pas des effets de la mufique
ancienne par ceux de la nôtre , puifqu’elle ne nous
offre plus rien de femblable.
La partie de notre mufique qui répond à la melor
B r u I
m l