ra&ere, le génie, l’humeur des perfonnages qu’on
fait parler. Ainfi, le terme de moeurs ne s’emploie
point ici félon fon uiage commun. Par les moeurs
d’un perfonnage qu’on introduit fur la fcene, on
entend le fondsv quel qu’il foit, de fon génie, c’eft à-
dire les inclinations bonnes ou mauvaifes de fa
part, qui doivent le conftituer de telle forte, que
fon caraftere foit fixe, permanent, & qu’on entre-
voye tout ce que la perfonne repréfentée eft capable
de faire, fans qu’elle puiffe fe détacher des
premières inclinations par oit elie s’eft montrée
d’abord : car l’égalité doit régner d’un bout à l’autre
de la piece. 11 faut tout craindre d’Orefte dès
la première fcene d’Andromaque, jufqu’à n’être
point étonné qu’il affafline Pyrrhus même aux pies
des autels. C ’eft, pour ainfi dire, ce dernier trait
qui met le comble à la beauté de fon caraélere
& à la perfeûion de fes moeurs.
Je ne fai de tout tems quelle injujle puiffance
Laiffe le crime en paix , & pourjüit l'innocence.
De quelque part enfin que je jette les yeux ,
Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.
Méritons leur courroux, jufiifions leur haine ,
E t que le fruit du crime en précédé la peine.
Voilà les traits que Racine emploie pour pein*
dre le caraftere, le génie, les moeurs d’Orefte. Quelle
conformité de fes fentimens, de fes idées intérieures
avec les aftions qu’il commettra ! Quelle façon
ingénieufe de prévenir le fpeftateur fur ce qui doit
arriver !
Ariftote a raifon de déclarer, qu’il faut que les
moeurs foient bien marquées 6c bien exprimées ;
j’ajoute encore qu’il faut qu’elles foient toujours
convenables, c’eft-à-dire conformes au rang, à
l ’état, au tems, au lieu, à l’âge, 6c au génie, de celui
qu’on repréfente fur la fcene ; mais il y a beaucoup
d’art à faire fupérieurement ces fortes de
peintures : & tout poëte qui n’a pas bien étudié
cette partie, ne réuftira jamais.
Il y a une autre efpece de moeurs, qui doit régner
dans tous les poèmes dramatiques, 6c qu’il faut s’attacher
à bien caraftérifer : ce font des moeurs nationales
, car chaque peuple a fon génie particulier.
Écoutez les confeils de Defpreaux :
D is fiecles, des pays, étudie£ les moeurs ;
Les climats font fouvent les diverfes humeurs.
Garde£ donc de donner, ainfi que dans Clélie,
L'air, ni l'efprit françois à l'antique Italie ;
E t fous des noms romains faifant notre portrait,
Peindre Caton galant, & Brutus damtret.
Corneille a confervé précieufement les moeurs,
ou le caraûere propre des Romains ; il a même oie
lui donner plus d’élévation 6c de dignité. Quelle
magnificence de fentimens ne met-il point dans la
bouche de Cornélie, lorfqu’il la place v is -à -v is
de Céfar?
. Céfar, car le defiin, que dans tes fers je brave ,
Me fait ta prifonniere, & non pas ton efclave ;
E t tu ne prétends pas qü'il m'abatte le coeur,
Jufqu'à te rendre hommage, & te nommer feigneur.
De quelque rude coup qu'il m'ofe avoir frappée,
Veuve du jeune Crajfe, & du jeune Pompée,
Fille de Scipion, & , pour dire encore plus,
Romaine, mon courage efi encore au-deffus.
La fuite de fon difcours renchérit même fur ce
qu’elle vient de dire ; & fa plainte eft fuperbe :
Céfar , de ta victoire, écoute moins le bruit ;
Elle n'efi que L'effet du malheur qui me fuit :
Je l'ai portée en dot che[ Pompée & ckc^ Craffe;
Deux fois du monde entier j'a i caufé la difgrâce;
Deux fo is , de mon hymen le noeud mal-afforti
A chaffé tous les dieux du plus jufie parti :
Heureufe en mes malheurs, fi ce trijie hyménée,
Pour le bonheur de Rome, à Céfar m'eut donnée,
E t f i j'eufj'e avec moi, porté dans ta maijon
D'un afire envenimé l'invincible poifon l
Mais enfin, n'attends pas que j'abaijfe ma haine;
Je te l'ai déjà dit, Céfar, je fuis Romaine :
Et quoique ta captive , un coeur comme le mien,
De peur de s'oublier, ne te demande rien.
Ordonne, & fans vouloir qu'il tremble ou s'humilie,
Souviens-toi feulement que je fuis Cornelie.
Le grand Corneille n’a pas effuyé fur cela les reproches
que l’on fait à Racine, d’avoir francifé
fes héros, fi on peut parler ainfi. Enfin, on n’introduit
point des moeurs comme des modes, 6c il
n’eft point permis de rapprocher les caraéleres,.
comme on peut faire le cérémonial & certaines
bienféances. Achille, dans Iphigénie, ne doit point
rougir de fe trouver feul avec Clytemneftre.
Le terme de moeurs, veut donc être entendu fort
différemment, 6c même il n’a trait en façon.quelconque
, à ce que nous appelions morale, quoiqu’en
quelque forte elle foit le véritable‘objet de la tragédie
qui ne devroit, ce me femble, avôir d’autre
but que d’attaquer les pallions criminelles, 6c d’établir
le goût de la vertu, d’où dépend le bonheur
de la fociété. (Z>, JJ)
Moeurs , (Jurifprudence.) lignifie quelquefois
coutume 6c ufage ; on connoît par les formules de'
Marculphe quelles étoient les moeurs de fon tems.
Moeurs lignifie aulîi quelquefois conduite, comme
quand on dit information de vie 6c moeurs. Voye^ Informat
io n.
Moeurs ou Mors , (Géog.) petite ville, château,
6c comté d’Allemagne, au cercle de Weftphalie, près
du Rhin. Elle appartient au duc deCleves & de Ju-
liers, & eft à 7 lieues N. O. de Duffeldorp, 5 S. E.
de Gueldres. Long. 24. ifi. lat. Si. 23. (D . J .)
MOGADOR, (jGéogr.) petite ille & château d A-
frique, au royaume de Maroc, à 5 milles de l’Océan.
On croit que c’eft l’île Erythrée des anciens.
Il y a des mines d’or 6c d’argent dans une monragne
voifine. Long. 8. lat; 3 1.36 . ( D . J.')
MOGES DE MORUE , NOUES, ou NOS DE
MORUE ; ce font les inteftins de ce poiffon , dans
l’amirauté de la Rochelle.
MOGESTIANA, ou MONGENTIANA, {Géog.
anc.) ville de la Pannonie inférieure, que l’Itinéraire
d’Antonin met fur la route de Sirmium à Trêves.
Lazius conjeâure que c’eft aujourd’hui Zika. (Z), J.)
M O G O L, l’empire du ( Géogr. ) grand pays
d’Afie dans les Indes, auxquelles il donne proprement
le nom.
Il eft borné au nord par l’Imaüs , longue chaîne
de montagnes oit font les fources du Sinde & du
Gange ; 6c cette chaîne de montagnes fépare le Mo-
gol de la grande Tartarie. Il a pour bornes à l’orient
le royaume d’Aracan, dépendant de Pégu. Il
fe termine au midi par le golphe du Gange , 6c la
prefqu’île de Malabar &deCoromandel,dans laquelle
font copiprifes les nouvelles conquêtes du Décan, de
Golconde, & de quelques autres pays. Enfin, il eft
borné du côté du couchant par la Perfe & par les
Agwans , qui occupent le pays de Candahar.
Timur-Bec , ou Tamerlan, fut le fondateur de
l’empire des Mogols dans l’Indouftan ; mais il ne fournit
pas entièrement le royaume de l’Inde ; cependant
ce p a ys , oit la nature du climat infpire la mol-
leffe, réfifta foiblement à la poftérité de ce vainqueur.
Le fultan Babar, arriéré petit-fils de Tamerlan
, fît cette conquête. 11 fe rendit maître de tout
le pa ys , qui s’étend depuis Samarkande, jufqu’auprès
d’Àgra, 6c lui donna des lois qui lui valurent
la réputation d’un prince fage. Il mourut en 15 5 z.
Son fils Aiiiayum penfa perdre ce grand empire
pour toujours. Un prince Patane nommé Chircha.
le détrôna, 6c le contraignit de fe réfugier en Perfe.
Chircha régna heureufement fous la protettion de
Soliman. C ’eft lui qui rendit la religion des Ofmalis
dominante dans le Mogol. On voit encore les beaux
chemins , les caravanferais, 6c les bains qu’il fit
conftruire pour les voyageurs. Après fa mort 6c
celle du vainqueur de Rhodes, une armée de Per-
fans remit Amayum fur le trône.
Akébar, fucceffeUrd’Amayum, fut non-feulement
fe maintenir, mais étendre avec gloire les frontières
de fon çmpire. Aun efprit pénétrant, & à un
courage intrépide, il joignit un coeur généreux*
tendre 6c fenfible. Il fit à l’Inde plus de bien qu’A-
lexandre n’eut le tems d’en faire. Ses fondations
étoient immenfes, 6c l’on admire toujours le grand
chemin bordé d’arbres l’efpace de 150 lieues, depuis
Agra jufqu’à Lahor ; c’eft un ouvrage de cet illuftre
prince ; il s’empoifonna par une méprife, 6c mourut
en 1605.
Son fils Géhanguir fuivit fes traces, régna 13 ans,
& mourut à Bimberg en 1627.
Après fa mort fes petits-fils fe firent la guerre,
jufqu’à ce que l’un d’eux , nommé Orançeb ou
Aurengieb, s’empara du trône fur le dernier de fes
freres , le tua, & foutint un feeptre qu’il avoit ravi
par le crime. Son pere vivoit encore dans une pri-
fon dure, il le fit périr par le poifon, en 1666. Nul
homme n’a mieux montré que le bonheur n’eft pas
le prix de la vertu. Ce fcélerat, fouillé du fang de
toute fa famille, réuffit dans toutes fes entreprifes,
& mourut fur le trône chargé d’années , en 1707.
Jamais prince n’eut une carrière fi longue 6c fi
fortunée. Il joignit à l’empire du Mogol, les royaumes
de Vifapour & de Golconde, le pays de Carna-
te , 6c prefque toute cette grande prefqu’île que
bordent les côtes de Coromandel 6c de Malabar.
Cet homme qui eût péri par le dernier fupplice, s’il
eût pû être jugé par les lois ordinaires des nations ,
a été le plus puiffant prince de l ’univers. La magnificence
des rois de Perfe, toute éblouiffante qu’elle
nous a paru, n’étoit que l’effort d’une cour médiocre
, qui étale quelque fafte, en comparaifon des ri-
cheffes d’Orangzeb.
De tout tems les princes afiatiques ont accumulés
des tréfors ; ils ont été riches de tout ce qu’ils
entaffoient, au-lieu que dans l’Europe, les princes
font riches de l’argent qui circule dans leurs états.
Le tréfor de Tamerlan fubfiftoit encore, & tous fes
fucceffeurs l’avoient augmenté. Orangzeb y ajouta
des richeffes étonnantes. Un feul de fes trônes a
été eftimé parTavernier 160 millions de fon tems,
qui font plus de 300 du nôtre. Douze colomnes
d o r, qui foutenoient le dais de ce trône, étoient
entourées de groffes perles. Le dais' étoit de perles
& de diamans furmonté d’un paon , qui étaloit une
queue de pierreries. Tout le refte étoit proportionné
à cette étrange magnificence. Le jour le plus fo-
lemnel de l’année étoit celui où l’on pefoit l’empereur
dans des balances d’o r , en préfence du peuple;
& ce jour-là, il recevoit pour plus de 50 millions de
préfens.
Si jamais , continue M. Voltaire, le climat a influé
fur les hommes, c’eft affurément dans l’Inde ;
les empereurs y étaloient le même luxe , vivoient
dans la même molleffe que les rois indiens dont parle
Quinte-Curce, & les vainqueurs tartares prirent
infenfiblement ces mêmes moeurs, 6c devinrent indiens.
Tout cet excès d’opulence & de luxe n’a fervi
qu au malheur du Mogol. Il eft arrivé, en 1739, au
petit-fils d’Orehgzeb , nommé Mahamàt Scha, la
même chofe qu’à Créfiis. On avoir dit à ce roi de
Lydie * vous avez beaucoup d’ô r , mais celui qui fe
fervira du fer mieux que vous , Vous enlevera
Cet or.
Thamas-Kouli-kan, élevé au trône de Perfe, après
avoir détrôné fon maître, vaincu les Agwans &
pris Candahar , s’eft avancé jufqu’à D é li, pour y
enlever tous les tréfors que les empereurs du Mogol
avoient pris aux Indiens. Il n’y a guere d’exemples
ni d’une plus grande armée que celle de Maha-
nfad-Scha levée contre Tfiamas-Kouli-kan , ni d’une
plus grande foibleffe. Il oppofe 1100 mille hommes
dix mille pièces de canons, & deux mille éléphans
armés en guerre au vainqueur de la Perfe , dm n’a-
voit pas avec lui foixante mille combattans. Darius
n avoit pas armé tant de forces contre Alexandre.
La petite armée perfane afîiegea la grande , lui
coupa les vivres , & la détruifit en détail. Le grand
mogol Mahamad fut contraint de venir s’humilier
devant Thamas-Kouli-kan , qui lui parla en maître *
6c le traita en fuiet. Le vainqueur entra dans la capitale
du Mogol, qu’on nous préfente plus grande,
& plus peuplée que Paris & Londres. Il traînoit à fa
fuite ce riche 6c miférable empereur , l’enferma
dans une tour, & fe fit proclamer en fa place.
Quelques troupes du Mogol prirent les armes dans
Déli contre leurs vainqueurs, Thamas-Kouli-kan livra
la ville au pillage. Cela fa it , il emporta plus
de tréfor de cette capitale , que les Efpagnols n’en
trouvèrent à la conquête du Mexique. Ces richeffes
amaffees par un brigandage de quatre fiecles, ont
été apportées en Perfe par un autre brigandage, &
n’ont pas empêché les Perfans d’être long-tems ie
plus malheureux peuple de la terre. Elles y font dif-
perfées ou enfevelies pendant les guerres civiles,
jufqu’au tems où quelque tyran les raffemblera.
Kouli-kan en partant du Mogol en laiffa le gouvernement
à un viceroi, 6c à un confeil qu’il établit.
Le petit-fils d’Oreng-zeb garda le titre de fouve-
rain, & ne fut qu’un fantôme. Tout eft rentré dans
l’ordre ordinaire , quand on a reçu la nouvelle que
Thamas-Kouli-kan avoit été affaftîné en Perfe au
milieu de fes triomphes.
Enfin, depuis dix ans, une nouvelle révolution a
renverfé l’empire du Mogol. Les princes tributaires,
les vicerois ont tous fecoué le j.oug. Les peuples de
l’intérieur ont détrôné.le fouverain , & ce pays eft
devenu, comme la Perfe , le théâtre des guerres civiles
: tant il eft vrai que le defpotifme qui détruit
tout fe détruit finalement lui-même. C ’eft une fub-
verfion de tout gouvernement i il admet le caprice
pour toute réglé : il ne s’appuie point lut des lois
qui affurent fa durée ; 6c ce coloffe tombe par terre
dès qu’il n’a plus le bras levé. C ’eft une belle preuve
qu’aucun état n’a forme confiftante , qu’aurant
que les lois y régnent en fouveraines.
De plus , il eft impoffible que dans un empire où
des vicerois foudoyent des armées de vingt, trente
mille hommes , ces vicerois obéiffent long-tems &
aveuglément. Les terres que l’empereur donne à ces
vicerois, deviennent, dès là-même, indépendantes
de lui. Les autres terres appartiennent aux grands
de l’empire, aux rayas, aux nabab, aux omras. Ces
terres font cultivées comme ailleurs par des fermiers
6c par des colons. Le petit peuple eft pauvre dans
le riche pays du Mogol, ainfi que dans prefque tous
les pays du monde ; mais il n’eft point ferf & attaché
à la glebe,ainfi qu’il l’a été dans notre Europe,& qu’il
l’eft encore en Pologne, en Bohème , & dans plu-
fieuts lieux de l’Allemagne, Le payfan dans toute
l’Afie peut fortir de fon pays quand il lui plaît, St
en aller chercher un meilleur, s’il en trouve.