308 M E L
•lancolie n’eft point l’ennemie de la volupté , elle Te
prête aux Ululions de l’amour , & laiffe favourer les
plaifirs délicats de l’ame & des fens. L’amitié lui eft
néceffaire , elle s’attache à ce qu’elle aime, comme
le lierre à l’ormeau. Le Féti la repréfente comme
une femme qui a de la jeuneffe & de l’embonpoint
fans fraîcheur. Elle eft entourée de livres epars,
elle a fur la table des globes renverfés & des inftru-
mensde mathématique jettes confulement : un chien
eft attaché aux piés de la table , elle médité profondément
fur une tête de mort qu’elle tient entre
fes mains. M. Vien l’a rèpréfentée fous l’emblème
d’une femme très - jeune , mais maigre & abattue
: "'le eft aflife dans un fauteuil, dont le dos
eft oppofé au jour ; on voit quelques livres 8c des
inftrumens de mulique difperfés dans fa chambre,
des parfums brûlent à côté d’elle ; elle a fa tete appuyée
d’une main , de l’autre elle tient une fleur, à
laquelle elle ne fait pas attention ; fes yeux font
fixés à terre, 8c fon ame toute en elle-même ne
reçoit des objets qui l’environnent aucune im-
preflion.
Melancholie religieuse , ( Théol. ) trifteffe
née de la faulle idée que la religion profcrit les
plaifirs innocens , 8c qu’elle n’ordonne aux hommes
pour les fauver, que le jeûne ', les larmes & la
contrition du coeur.
Cette trifteffe eft tout enfemble une maladie du
corps 8c de l’efprit , qui procède du dérangement
de la machine, de craintes chimériques 8c fuperfti-
tieufes, de fcrupules mal fondés & de fauffes idées
qu’on fe fait de la religion.
Ceux qui font attaqués de cette cruelle maladie
regardent la gaieté comme le partage des réprouvés
, les plaifirs innocens comme des outrages faits
à la Divinité, 8c les douceurs de la vie les plus légitimes
, comme une pompe mondaine, diamétralement
oppofée au falut éternel.
L’on voit néanmoins tant de perfonnes d’un mérite
éminent, pénétrées de ces erreurs, qu’elles font
dignes de la plus grande compaflion, & du foin charitable
que doivent prendre les gens également vertueux
& éclairés , pour les guérir d’opinions contraires
à la vérité, à la raifon, à l ’état de l’homme, à fa nature, 8c au bonheur de fon exiûence.
La fanté même qui nous eft fi chere , eonfîfte à
exécuter les fondions pour lefquelles nous fommes
faits avec facilité, avec confiance & avec plaifir ;
c ’eft détruire cette facilité , cette confiance,, cette
alacrité, que d’exténuer fon corps par une conduite
qui le mine. La vertu ne doit pas être employée à
extirper les affe&ions, mais à les regler. La contemplation
de l’Etre fuprême 8c la pratique des devoirs
dont nous fommes capables , conduifent fi peu
à bannir la joie de notre ame , qu’elles font des four-
ces intariffables de contentement 8c de férenité. En
un mot, ceux qui fe forment de la religion une idée
différente, reffemblent aux efpions que Moïfe envoya
pour découvrir la terre promife, & qui par
leurs faux rapports, découragèrent le peuple d’y entrer.
Ceux au contraire, qui nous font voir la joie
& la tranquillité qui naiffent de la vertu, reffemblent
aux efpions qui rapportèrent des fruits délicieux
, pour engager le peuple à venir habiter le
pays charmant qui les produifoit. (D. ƒ.)
Melancholie , f. f. ( Médecine ) ox/«eft
un nom compofé de fj&Ka.iva., noire, & %oX», bile, dont
Hippocrate s’eft fervi pour défigner une maladie
qu’il a cru produite par la bile noire dont le caractère
générique 8c diftinâif eft un délire particulier,
roulant fur un ou deux objets déterminément, fans
fievre ni fureur, en quoi elle diffère de la manie 8c
de la phrénefie. Ce délire eft joint le plus fouvent
à une trifteffe infurmontable, à uac humeur fora-
ME L
b re , à la mifanthropie, à un penchant décidé pour
la folitude , on peut en compter autant de fortes
qù’il y a des perfonnes qui en font attaquées; les uns
s’imaginent être des rois, des feigneurs, des dieux;
les autres croient être méthamorphofés en bêtes, en
loups, en chiens, en chats, en lapins : on appelle
le délire de ceux-ci lycanthropie , cynanthropie, gal-
lantropie , &c. voye{ ces mots , & en conféquence
de cette id ée, ils imitent ces animaux & fuivent
leur genre de v ie ; ils courent dans les bois, fe brûlent
, fe battent avec les animaux, &c. on a vû des
mélancholiques qui s’âbftenoient d’uriner dans la
crainte d’inonder l’univers 8c de produire un nouveau
déluge. Trallian raconte qu’une femme tenoifc
toujours le doigt levé dans la ferme perfuafion qu’elle
foutenoit le monde ; quelques uns ont cru n’avoir
point de tête , d’autres avoir le corps ou les jambes
de verre, d’argille, de cire, &c. il y en a beaucoup
qui reffentant de la gêne dans quelque partie, s’imaginent
y avoir des animaux vivans renfermés.
Il y a une efpece de mélancholie que les arabes
ont appellé kutabuk, du nom d’un animal qui court
toujours de côté 8c d’autre fur la furface de l’eau ,
ceux qui eu font attaqués font fans ceffe errans 8c
vagabons : le délire qui eft diamétralement oppofé
à celui-là eft extrêmement rate. Sennert dit lui-même
ne l’avoir pas pû obferver dans le cours de fa
pratique. Un médecin de l’élefteur de Saxe nommé
Janus , raconte qu’ un pafteur tomba dans cette
efpece de melancholie ; il reftoit dans l’état & la ft-
tuation oii il s’étoit mis jufqu’à ce que fes amis l’en
tiraffent ; lorfqu’il étoit une fois aflis , il ne fe feroit
jamais relevé ; il ne parloit pas, ne faifoit que foii-
pirer, étoit trifte, abattu, ne mangeoit que lorf-
qu’on lui mettoit le morceau dans la bouche, &c.
on peut rapporter à la melancholie, la noftralgieou.
maladie du pays, le fanatifme 8c les prétendus pof-
feffions du démon. Les mélancholiques font ordinairement
trilles, penfifs, rêveurs, inquiets, conftans
dans l’étude 8c la méditation, patiens du froid & de
la faim ; ils ont le vifage auftere , le fourcil froncé,
le teint bafané, brun, le ventre conftipé. Foreftus
fait mention d’un mélancholique, qui relia trois mois
fans aller du ventre , lib. I I. obferv. 43. & on lit
dans les mémoires de Petersbourg, tom. I. pag. 3 68.
l’hiftoire d’une fille aulfi mélancholique , qui n’alla,
pas à la felle de plufieurs mois. Ils fe comportent
8c raifonnent fenfément fur tous les objets qui ne
font pas relatifs au fujet de leur délire.
Les caufes de la melancholie font à - peu - près les
mêmes que celles de la manie.; voye{ ce moi: les chagrins
, les peines d’efprit, les pallions, 8c fur-tout
l’amour 8c l’appétit vénérien non fatisfait, font le
plus fouvent fuivis de délire mélancholique ; les
craintes vives 8c continuelles manquent rarement
de la produire : les impreffions trop fortes que font
certains prédicateurs trop outrés , les craintes ex-
celfives qu’ils donnent des peines dont notre religion
menace les infra&eurs de fa lo i, font dans des ef-
prits foibles des révolutions étonnantes. On a vû à
l ’hôpital de Montelimart plufieurs femmes attaquées
de manie & de mélancholie à la fuite d’une million
qu’il y avoit eu dans cette ville ; elles étoient fans
ceffe frappées des peintures horribles qu’on leur avoit
inconfidérement préfentées ; elles ne parloient que
défefpoir, vengeance, punition, &c. 8c une entr’au-
tres ne vouloit abfolument prendre aucun remede ,
s’imaginant qu’elle étoit en enfer, & que rien ne
pouvoit éteindre le feu dont elle prétendoit être dévorée.
Et ce ne fut qu’avec une extrême difficulté
que l’on vint à bout de l’en retirer, 8c d’éteindre ces
prétendues flammes. Les dérangemens qui arrivent
dans le fo ie , la rate , la matrice, les voies hémorroïdales
doraient fquvent lieu à la mélancholie. Le
ME L
long ulage d’alimens aufteres, endurcis par le fel &
la fumée, les débauches, le commerce immodéré
avec les femmes difpofe le corps à cette maladie,
quelques poifons lents produifent aufli cet effet ; il
y en a qui excitent aufli-tôt le délire melancholi-
que : Plutarque ( dans la vie d’Antoine ) rapporte
que les foldats d’Antoine paffant par un défert, furent
obligés de manger d’une herbe qui les jetta
tous dans un délire qui étoit te l, qu’ils fe mirent
tous à remuer , à tourner , à porter les pierres du
camp ; vous les eufliez vû couchés par terre, occupés
à défricher & tranfporter ces rochers, 8c peu
de teins après mourir en vomiffant de la bile; le vin
fu t , au rapport de cet auteur, le feul antidote fa-
lutaire.
Quelques médecins, très - mauvais philofophes ,
ont ajouté à ces caufes l’opération du démon ; ils
n’ont pas héfité à lui attribuer des mélancholies dont
ils ignoroient la cûufe, ou qui leur ont paru avoir
quelque chofe de furnaturel ; ils ont fait comme ces
auteurs tragiques, qui ne fachant comment amener
le dénouement de leur piece, ont recours à quelque
divinité qu’ils font defeendre à propos pour les
terminer.
Les ouvertures des cadavres des perfonnes mortes
de cette maladie , ne préfentent aucun vice fen-
fible dans le cerveau auquel on puiflè l’attribuer ;
tout le dérangement s’obferve prefque toujours dans
le bas - ventre > & fur-tout dans les hypocondres ,
dans la région épigaftrique ; le foie, la rate , l’ute-
rus paroiffent principalement affe&és 8c femblent
être le principe de tous les fymptômesde la manie ;
parcourons pour nous en convaincre, les différentes
obfervations anatomiques qu’on a faites dans le
cas préfent. i°. Bartholin a trouvé la rate extrêmement
petite & les capfules atrabilaires confiderable-
ment augmentées , centur. 1. hift. 3 8. Riviere a vu
l ’épiploon rempli de tumeurs skirrheufes, noirâtres,
dans un chanoine de Montpellier, mélancholique ,
lib. X I I I . cap.jx. Mercatus écrit, que fouvent les
vaiffeaux méfaraïques font variqueux, carcinomateux,
engorgés, diftendus par un lang noirâtre. "Wol-
frigel a fait la même obfervation , mifcellan. curiof.
ann. iS'yc. Antoine de Pozzis raconte , qu’qn trouva
dans le cadavre d’un prince mort mélancholique,
le méfentere engorgé , parfemé de varices noirâtres
, le pancréas obftrué, la rate fort groffe, le foie
petit, noir 8c skirrheux, les reins contenans plus de
cent petits calculs, &c. ibid. ann. 4. obferv. 29. Enfin
, nous remarquerons en général, que très - fouvent
les cadavres des mélancholiques examinés ,
nous font voir un dérangement confiderable dans
le bas - ventre ; dans les uns les vifeères ont paru
groflis , monftrueux ,. dans d’autres extrêmement
petits, flétris ou manquans abfolument ; dans ceux-
ci , durs, skirrheux ; dans ceux-là, au contraire, ramollis
, tombant en diffolution : dans la plûpart on
les a vûs de même que l’eftomac, le coeur 8c le cerveau
, inondés d’un fang noirâtre ou d’une humeur
noire, épaiffe, gluante' comme de la poix, que les
anciens appelloient atrabile ou mélancholie ; on peut
confulter à ce fujet Bartholin, Dodonée, Lorichius,
Hoechftetter, Blazius, Hoffman, &c. Confiderant
toutes ces obfervations , & les caufes les plus ordinaires
de cette maladie , l’on ne feroit pas éloigné de
croire que tous les fymptômes.qui la conftituent
font le plus fouvent excités par quelque vice dans
le bas-ventre , & fur - tout dans la région épigaftrique.
Il y a tout lieu de préfumer que c’eft-là que
refide ordinairement la caufe immédiate de la mélancholie
, & que le cerveau n’eft que fympathique-
ment affeâé ; pour s’affurer qu’un dérangement dans
ces parties peut exciter le délire mélancholique, il
ne faut que faire attention aux lois les plus fimples
M E L 309
de l’ecOnomie animale, fe rappel/er qlte ces parties
font parfemées d’une grande quantité de nerfs extrêmement
fenfibles, confidérer que leur iefion jette le
trouble & le défordre dans toute la machine, oc quelquefois
eft fuivie d’une mort prochaine ; que l’inflammation
du diaphragme détermine un délire phré-
nétique, connu fous le nom de paraphrènefie ; 8c enfin
, il ne faut que favoir que l’empire 8c l’influencé
de la région épigaftrique fur tout ie refte du corps
principalement fur la tête, eft très-confiderable ; ce
n’eft pas fans fondement que Van-Helmont y avoit
placé un archée, quide-là gouvernoit tout le corps*
les nerfs qui y font répandus lui fervoient de rênes
pour en diriger les aélions.
Des faits que nous avons cités plus haut,on poiif-
roit aufli déduire que la bile noire ou atrabile qué
les anciens croyoient embarraffée dans les hypocondres
, n’eft pas aufli ridicule & imaginaire que
la plûpart des modernes l’ont pehfé : outre ces obfervations
, il eft confiant que des mélancholiques
ont rendu par les fels le vomiffement des matie-
tieres noirâtres, épaiffes comme de la poix, & qué
fouvent ces évacuations ont été falutaires ; on lit
dans les mélanges des curieux de la nature , dccad„
/* ann. 6. pag.. Ixxxxij. une obfervation rapportée
par D olé e, d’un homme qui fut guéri de la milan-
cholie par une fueur bleuâtre qui fortit en abondance
de l’hypocondre droit. Schmid ibid. raconte aufli
que dans la même maladie, un homme fut beaucoup
foulage d’une excrétion abondante d’urine noire ;
mais comment & par quel méchanifme, un pareil
embarras dans le bas-ventre peut-il exciter ce délire
, fymptôme principal de mélancholie, c’eft cô
que l’on ignore ? Il nous fuffit d’avoir le fait confta-
t é , une recherche ultérieure eft très-difficile pure»
ment théorique & de nulle importance ; il feroit ridicule
de dire avec quelques auteurs, que les ef-
prits animaux étant infeétés de cette humeur noire ,
ils en font troublés , perdent leur nitidité & leur
tranfparence , & en confequence l’ame ne voit plus*
les objets que confufement, comme dans un miroir
terni Ou à travers d’une eau bourbeufe.
Cetfe maladie eft trop bien carafterifée par l’ef-
pece de délire qui lui eft propre, pour qu’on puiffe
la méconnoître, on peut même la prévoir lorfqu’el-
le eft prête à fe décider ; les fymptômes qui la precedent
font à-peu-près les mêmes que nous avons
rapportés à l’article Manie , voye[ ce mot. Si la tril-
teffe & la crainte durent long-tems , c’eft un figne
de mélancholie prochaine, dit Hippocrate : le mémo
auteur remarque, que fi quelque partie eft engourdie
& que la langue devienne incontinente, cela
annonce la mélancholie ; aphor. 23. lib. VI. &c.
La mélancholie eft rarement une maladie dange-
reufe , elle peut être incommode , defagréable, où
au contraire plaifante , fuivant l’efpece de délire ;
ceux qui fe croient rois, empereurs, qui s’imaginent
goûter quelque plaifir, ne peuvent qu’être fâchés dô
voir guérir leur maladie ; c’eft ainfi qu’un homme
qui s’imaginoit que tous les vaiffeaux qui arrivoient
à un port lui appartenoient, fut très - fâche ayant
ratrappé fon bon fens , d’être défabufé d’une erreuf
aufli agréable. Tel étoit aufli le mélancholique dont
Horace nous a tranfmis l'hiftoire , qui étant feul au
théâtre , croyoit entendre chanter de beaux vers 8c
voir jouer des tragédies fuperbes ; il étoit fâche
contre ceux qui lui avoient remis l’efprit dans fon
afîiete naturelle , & qui le privoient par - là de ce
plaifir.
Poflme occidifiiSi amici,
Non fervafiis, ait; cuifie extorta voluptas,
Et demptus per vim mentis gratißimus error,
Epifh i . lib, ÎL