Nous voyons dans l’ancien Teftament-quc le mot
Meffie, loin d’être particulier au libérateur, après
la venue duquel le peiqîle dMlïaël foupiroit, ne l’é-
toit pas feulement aux vrais fideles ferviteurs de
Dieu, mais que ce nom fut fouvent donné-aux rois
& aux princes idolâtres , qui étoient dans la main
de l’Eternel les miniftres de les vengeances , ou des
inftrumens pour l’exécution des conleils de fa lavette.
C ’eft ainfi que l’auteur de l’eccléfiaftiquc,
Ixviij. v. S. dit d’Elifée,ÿ«iungis regesadpcenitentiam,
ou comme l’ont rendu les Septante , ad vindiclam <
vous oignez les rois pour exercer la vengeance du
‘Seigneur | c’eft.pourquoi ilenvoyaun prophète pour
oindre Jéhu roi d’Ifraël ; il annonça Tonélion facrée
àHazaël, roi de Damas & de Syrie, ces deux princes
étant les Meffies du Très-Haut, pour venger les crimes
8c lès abominations de la maifon d’Aehab. IV .
Reg. viîj, i2. i j , '4-
Mais au xlv. d’Ifaïe, v. / .le nom de MeJJie eu:
expreflement donné à Cyrus : ainji a dit L'Eternel a
Cyrus foh oint -, fort Meflîe, duquel j'ai pris la main
droite afin que je terraffe les nations devant lui , 8cc.
Èzéchiel au xxviij. de fes révélations, v. 14. donne
le nom de Méfié au roi de T y r , il l’appelle aufli
Chérubin. « Fils de l’homme, dit l’Eternel au pro-
wphete, prononce à haute voix une complainte
» fur le roi de T y r , 8c lui dis : ainfia dit le Seigneur
» l’Eternel, tu étois le fceau de la reffemblance de
» Dieu, plein de fageffe & parfait en beautés ; tu
» as été le jardin d’Heden du Seigneur ( ou , fuivant
» d’autres yerfions ) tu étois toutes les délices du
» Seigneur ; ta couverture étoit de pierres précieu-
» fes de toutes fortes, de fardoine, de topafe , de jaf-
» p e, de chry folyte , d’onix , de béril, de faphir,
>> d’efçarboucle , d’éméraude & d’or ; ce que fa-
» voient faire tes tambo,urs 8c tes flûtes a été chez
» toi, ils ont été tous prêts au jour que tu fus créé ;
>, tuas été un chérubin,unMeffie pour fervir de pro-
» teftion ; je t’a vois établi , tu as été dans la fainte
» montagne de Dieu ; tu as marché entre les pierres
» flamboyantes ; tu as été parfait en tes voies dès
le jour que tu fus créé , jufqu’à ce que la perverfi-
» té ait été trouvée en toi » •. .
Au refte, le nom de mejjiach, en grec chrijl, fe don-
noit aux rois , aux prophètes , aux grands-prêtres
des Hébreux. Nous lifons dans le I. des Rois, chap,
jcij.v. 3 . Le Seigneur b fonMefCiefont témoins, c ’eft-
à-dire , le Seigneur & le roi quil a établi ; 8c ailleurs,
ne touche point mes oints, & ne faites aucun mal à mes
prophètes.
David, animé de l’efprit de Dieu , donne dans
plus d’un endroit à Saiil foh beau-pere , il donne dis-
je , à ce roi reprouvé, 8c de defîus lequel l’efprit
-de l’Eternel s’étoit retiré, le nom 8c la qualité d’oint,
de Mejfiedu Seigneur : Dieu me garde, dit-il fréquemment,
Dieu me garde de porter ma main fur l ’oint du
vSeigneur ,fur le Meffie de Dieu.
'Si le beau nom de Méfié, d'oint de l'Eternel a été
*donné à des rois idolâtres , à des princes cruels &
tyrans, il a été très-fouvent employé dans nos anciens
oracles pour défigner vifiblement l’oint du Seigneur
, ce Méfié par excellence , objet du dèfir 8c
de l’attente de tous les fideles d’Ifraël; ainfi Anne,
(ƒ. Rois., ij.v. 1 b.)mere de Samuel, conclut fon cantique
par ces paroles remarquables, 8c qui ne peuvent
s’appliquer à adeun roi, puifqu’on fait que pour
lors les Hébreux n’en avoient point : » Le Seigneur
» jugera les extrémités de la terre, il donnera l’em-
» pire à fon roi, & relevera la corne de fon Chrift ,
» de fon Méfié ». On trouve ce même mot dans les
oracles fuivans , pf. ij.v , 2. pf. xliv. 8. Jérém. iv.
20. Dan. ix. i€. Habac. iij. 13. nous ne parlons pas
ici du fameux oracle de la Gen. xlix, 10. qui trouvera
fa place à farticle Sy l®.
Que & l’on rapproche tous ces divers oracles, 8c
en général tous ceux qu’on applique pour l’ordinaire
au Méfié , il en réfulte quelques difficultés dont les
Juifs fe font prévalus pour juftifier , s’ils le pou-
voient, leur obftination.
On peut leur accorder que dans l’état d’oppreflïon
fous lequel gémiffoit le peuple Juif > 8c après toutes
les glorieufes promettes que l’Eternel lui avoit faites
fi fouvent, il fembloit en droit de foupirer après la
venue d’un Méfié vainqueur, & de l’envifager comme
l’époque de fon heureufe délivrance ; 8c qu’ainû
il eft en quelque forte excufable de n’avoir pas voulu
reconnoitre ce libérateur dans la perfonne du Seigneur
Jefus, d’autant plus qu’il eft de l’homme de
tenir plus au corps qu’à l’elprit, 8c d’être plus, fen-
fible aux befoins préfens , que flatté des avantages
à venir.
Il étoit dans le plan de la fageffe éternelle, que
lés idées fpirituelles du Méfié fuffent inconnues à
la multitude aveugle. Elles le furent au point, que
lorfque le Sauveur parut dans la Judée , le peuple 6c
fes dofteurs, fes princes mêmes attendoient un monarque
, un conquérant qui par la rapidité de fes
conquêtes devoit s’affujettir tout le monde ; 8c comment
concilier ces idées flatteufes avec l’état abjet ,
en apparence , 6c miférable de Jefus-Chrift ? Aufli
feandalifés de l’entendre annoncer comme le Méfié,
ils le perfécuterent, le rejetterent, 6c le firent mourir
par le dernier fupplice. Depuis ce tems-là ne voyant
rien qui achemine à l’accompliffement de leurs oracles
, 6c ne voulant point y renoncer , ilsfe livrent
à toutes fortes d’idées chimériques.
Ainfi, lorfqu’ils ont vu les triomphes de la religion
chrétienne , qu’ils ont fenti qu’on pouvoit expliquer
fpirituellement, 6c appliquer à Jefus-Chrift
la plûpart de leurs anciens oracles, ils fe font avifés,
de nier que les paffages que nous leur alléguons, doivent
s’entendre du Méfié , tordant ainfi nos faintes-
Ecrirures à leur propre perte ; quelques-uns fou-
tiennent que leurs oracles ont été mal entendus ,
qu’en vain on foupire après la venue du Méfié , puif-
qu’il eft déjà venu en la perfonne d’Ezéchias. C ’étoit
le fentiment du fameux Hillel : d’autres plus relâchés
, ou cédant avec politique au tems 6c aux
circonftances, prétendent que la croyance de la v enue
d’un Méfié n’eft point un article fondamental de
foi, 6c qu’en niant ce dogme on ne pervertit point la
loi , que ce dogme n’eft ni dans le Décalogue , ni
dans le Lévitique. C ’eft ainfi que le juif Albo difoic
au pape, que nier la venue du Meffie, c’étoit feulement
couper une branche de l’arbre fans toucher à la
racine.
Si on pouffe un peu les rabbins des diverfes fyna-
gogues qui fubfiftent aujourd'hui en Europe, fur un
article aufli intéreffant pour eux , qu’il eft propre à
les embarraffer , ils vous difent qu’ils ne doutent
pas que , fuivant les anciens oracles , le Méfié ne
loit venu dans les tems marqués par l’ efprit de Dieu ;
mais qu’il ne vieillit point, qu’il refte caché fur cette
terre , 6c attend , pour fe manifefter 6c établir fon
peuple avec force, puiffance 6c fageffe, qu’Ifraël ait
célébré comme il faut le fabbat, ce qu’il n’a point
encore fait, & que les Juifs ayent réparé les iniquités
dont ils fe font fouillés, & qui ont arrêté envers
eux le cours des bénédiâions de l’Eternel.
Le fameux rabbin Salomon Jarchy ou Rafchy ,
qui vivoit au commencement du xij. fiecle, dit dans
fès Talmudiques , que les anciens Hébreux ont cru
que le Méfié étoit né le jour de la derniere deftruc-
tion de Jérufalem par les armées romaines ; c’eft
placer la connoiffance d’un libérateur dans une époque
bien critique , 6c , comme on dit, appeller le
médecin après la mort.
Le rabbin Kimchy, qui vivoit au xij. fiecle, $’*•
maginoit que le Méfié dont il croyoit la venue trcs-
prochaine, chafferoit delà Judée les Chrétiens qui
la poffédoient pour lors. Il eft vrai que les Chrétiens
perdirent la terre-fainte ; mais ce fut Saladin
qui les vainquit, 6c les obligea de l’abandonner
a-vant la fin du xij. fiecle. Pour peu que ce conquérant
eût protégé les Juifs, 6c fe fût déclaré pour eu x,
il eft vraiffemblable que dans leur enthoufiafme ils
en auroient fait leur Méfié.
Plufieurs rabbins veulent que le Meffie foit actuellement
dans le paradis terreftre ; c’eft-à-dire , dans
un lieu inconnu 6c inaeceflible aux humains ; d’autres
le placent dans la ville de Rome, 8c lesThal-
mudiftes veulent que cet oint du Très-haut foit caché
parmi les lépreux- 6c les malades qui font à la porte
de cette métropole de la chrétienté, attendant qu’E-
l ie , fon précurfeur, vienne pour le manifefter aux
hommes.
D ’autres rabbins, 8c c’eft le plus grand nombre,
prétendent que le MeJJie n’eft point encore venu ;
mais leurs opinions ont toujours extrêmement varié,
6c furie tems , 6c fur la maniéré de fon avènement.
Un rabbin David, petit-fils de Maimonides, confulté
fur la venue du Méfié , dit de grandes chofes impénétrables
pour les étrangers. On fait aujourd’hui ces myf-
teres : il révéla qu’un nommé Pinéhas ou Phinées,
qui vivoit 400 ans après la ruine du temple , avoit
eu dans fa vieilleffe un enfant qui parla en venant au
monde ; que parvenu à l’âge de i z ans, 6c fur le
point de mourir , il révéla de grands fecrets, mais
énoncés en diverfes langues étrangères , 6c fous des
expreflions fymboliques. Ses révélations font très-
obfcures, & font reftées long-tems inconnues, jufqu’à
ce qu’on les ait trouvées fur les mafures d’une
ville de Galilée , où l’on lifoit que le figuier pouffoit
fes figues; c’eft-à-dire , en langage bien clair pour un
enfant d’Abraham, que la venue du Méfié étoit très-
prochaine. Mais les figues n’ont pas encore pouffé
pour ce peuple également malheureux 8c crédule.
Souvent attendu dans des époques marquées par
des rabbins , le Meffie n’a point paru dans ce tems-
là ; il ne viendra fans doute point ni à la fin du vj.
millénaire, ni dans les autres époques à venir qui
ont. été marquées avec aufli peu de fondement que
les précédentes.
Aufli il paroît par la Gemarre ( Gemarr, Sanhed.
tit. cap. xj. ) que lès juifs rigides ont fenti les confé-
quences de ces faux calculs propres à énerver la foi,
6c ont très-fagement prononcé anathème contre quiconque
à l’avenir fupputeroit les années du Meffie :
Que leurs os fe brifent & fe carient, difent-ils ; car
quand on fe fixe un tems & que la, chofe n’arrive pas 9
on dit avec une criminelle confiance quelle ri arrivera
jamais.
D ’anciens rabbins, pour fe tirer d’embarras , 8c
concilier les prophéties qui leur femblent en quelque
forte oppofées entr’elles , ont imaginé deux Mejfies
qui doivent fe fiiccéder l’un à l’autre ; le premier
dans un état abjet, dans la pauvreté 8c les fouffran-
ces. ; le fécond dans l’opulence, dans un état de gloire
6c de triomphe ; l’un 6c l ’autre fimple homme :
car l’idée de l’unité de Dieu , caraftere diftin&if de
l’Etre fuprême, étoit fi refpe&ée des Hébreux, qu’ils
n’y ont donné aucune atteinte pendant les dernieres
années de leur malheureufe exiftance en corps de
peuple ; 8c c ’eft encore aujourd’hui le plus fort argument
que les Mahométans preffent contre la doctrine
des Chrétiens.
C ’eft fur cette idée particulière de deux Méfiés ,
que le favant doâeur en Médecine , Aaron - Ifaac
Lééman de Slenwich , dans la differtation de oracu-
lis Judtzorum , avoue qu’après avoir examiné avec
foin toutes chofes , il J'eroit afe£ porté à croire que le
Çhriji des Nazaréens y dont ils font, dit-il , follement
Tome
un Dieu , pourroît bien être le Meflîe en Opprobre q ri annonçaient
les anciens prophètes, & dont le Bouc Ha{0~
%cl, charge des iniquités du peuple , G prof crit dans les
deferts, étoit l'ancien type.
A la vérité , les divifions des rabbins fur cet artî*
cle , ne s accordent pas avec l’opinion du favant
dofteur ju if, puifqu’il paroît par Abnezra , que lô
premier MeJJie, pauvre, miférable, homme de douleur
, 8c fachant ce que c’eft que langueur, fortirâ
de la famille de Jofeph , 8c de la tribu d’Eprahïm
qu’Haziel fera fon pere , qu’il s’appellera Néhémie,
8c que malgré fon peu d’apparence , fortifié par 1®
bras de l’Eternel, il ira chercher, on ne fait pas trop
où,les tribus d’Ephraïm, de Manaffé & de Benjamin,
une partie de celle de Gad; & à la tête d’une armée
formidable , il fera la guerre aux Iduméens , c’eft-*
a-dire aux Romains & Chrétiens , remportera fut
eux les vi&oires les plus fignalées , renverfefa l’empire
de Rome , 8c ramènera les Juifs en triomphe à
Jérufalem.
Ils ajoutent que fes prolpérités feront traverfées
par le fameux ante-chrift, nommé Armillius ; que
cet Armillius , après plufieurs combats contre Néhémie
, fera vaincu Sc prifonnier ; qu’ il trouvera le
moyen de fe fauver des mains de Néhémie; qu’il remettra
fur pie une nouvelle armée, & remportera
une viftoire complette ; le Meffie Néhémie perdra la
vie dans la bataille, non par la main des hommes;
les anges emporteront fon corps pour le cacher avec
ceux des anciens patriarches.
Néhémie, vaincu 8c ne paroiffant plus, les Jui&,
dans la plus grande confternation , iront fe cachet1
dans les déferts pendant quarante-cinq jours ; maif
cette affreufe défolation finira parle fon éclatant de
la trompette de l’archange Michel , au bruit de laquelle
paroîtra tout-à-coup le MeJJie glorieux de la
race de D av id , accompagné d’Elie, & fera reconnu
pour roi & libérateur par toute l’innombrable
poftérité d’Abraham. Armillius voudra le combattre
; maisTEternel fera pleuvoir fur l’armée de cet
ante-chrift du foufre du feu du c iel, 8c l’exterminera
entièrement : alors le fécond & grand Meffie rendra
la vie au premier; ilraflemblera tous les Juifs, tant
les vivans que les morts ; il relevera les murs de
Sion , rétablira le temple de Jérufalem fur le plan
qui fut préfenté en vifion à Ezechiel , 8c fera périr
tous les adverfaires & les ennemis de fa nation ; établira
fon empire fur toute la terre habitable ; fondera
ainfi la monarchie univerfelle, cçtte pompeufe
chimere des rois profanes ; il époul'era une reine 8c
un grand nombre d’autres femmes, dont il aura une
nombreufe famille qui lui fuccédera ; car il ne fera
point immortel, mais il mourra comme un autre
homme.
Il faut fur toutes ces incompréhenfibles rêveries
8c fur les circonftances de la venue du Meffie, lire
avec attention ce qui fe trouve à la fin du V. tome
de la Bibliothèque rabbiriique, écrite par le P. Charles-
Jofeph Imbonatus , ce que Batolong a compilé fur
le même füjet dans le tome 1. de la Bibliothèque des
rabbins , ce qu’on lit dans l’hiftoire des Juifs de M.
Bafnage , & dans les differtations de dom Calmet.
Mais quelque humiliant qu’il foit pout l’efprit humain
de rappeller toutes les extravagances des prétendus
fages fur une matière qui plus que toute autre
en devroit être exempte, on ne peut fe difpen-
fer de rapporter en peu de mots les rêveries des rabbins
fur les circonftances de la venue du MeJJie. Ils
établiffent que fon avènement fera précédé de dix
grands miracles , lignes non équivoques de fa venue.
Vid. libel. Abkas Porhel.
Dans le premier de ces miracles , il fuppofe que
Dieu fufeitera les trois plus abominables tyrans qui
ayent jamais exifté, 6c qui perfécuteront 6c afflige-*
E e e ij