ture : car toutes ces médailles font moulées, ou
frappées d’un coin& d’un métal qui paroît d’abord
ee qu’il eft, c’eft-à-dire moderne, & qui n’a ni la
fierté ni la tendreffe de l’antique-
La fécondé fourbe eft de mouler les médailles antiques
, de les jetter en fable, & puis de les réparer
fi adroitement, qu’elles paroiflent frappées. On s’en
apperçoit par les grains de fable, qui s’impriment
toujours d’une certaine maniéré vifible fur le champ
de la médaille, ou par certaines petites enfonçures,
ou par les bords qui ne font pas affez polis ni arrondis
, ni fi licés que ceux des médailles frappées, ou
par les caraâeres qui ne font point francs , mais
pochés & épatés, ou enfin par les traits qui ne font
ni fi vifs ni fi tranchans. On les reconnoît aufli par
le poids qui eft toujours moindre ; car le métal
fondu par le feu fe raréfie, au - lieu que lorfqu’il
eft battu il fe condenfe, 6c devient par conféquent
plus pefant ; enfin quand la médaille eft jettée en
moule, il refte ordinairement la marque du je t , qui
ne peut être bien effacée par la lime ; 6c les bords
qui ont befoin d’être arrondis, laiffent aufli voir les
coups de lime , qui font une marque effentielle de
fauffeté.
Comme les hommes deviennent de jour en jour
plus rafinés, les uns à tromper, les autres à fe défendre
de la tromperie, on a trouvé le moyen d’empêcher
que l’on n’apperçût, dans le champ de la
médaille, les enfonçures que les grains de fable y laiffent
par leur inégalité qui eft inévitable. On les
couvre d’un certain vernis obfcur qui remplit ces
petits creux, & l’on pique les bords pour les rendre
raboteux. Si l’on parvient, fans le fecours du vernis,
à polir le champ avec le burin, la fourberie
n’en eft que plus fa vante. Il faut donc, pour s’en
défendre, piquer le vernis, s’il y en a , & on le
trouvera beaucoup plus tendre que le vernis antique
; 6c s’il n’y en a point, il faut étudier avec attention
la médaille, dont le champ paroîtra infailliblement
plus enfoncé ; enfin fi on a le toucher un peu
délicat, on trouvera le métal trop poli, au lieu que
l ’antique a quelque chofe de plus fort & de plus
rude. Ceux qui ne fa vent point cette fineffe, & la
différence du poids dont nous avons parlé, admirent
que l’on connoiffe quelquefois les médailles fauffes
feulement à les manier.
Il ne faut pas néanmoins rejetter certaines médailles
, qui ayant été enchâffées dans de petites bordures
ou de métal, ou de corne, ou de bois, ont les
bords limés, parce qu’il a fallu les arrondir, car cela
n’empêche pas qu’elles ne foient bonnes & antiques :
c’eft pour cela que les connoiffeurs difent communément
que quelquefois les bords juftifient le champ
de la médaille, & que quelquefois aufli le champ
rend témoignage aux bords, qui par accident ont
reçu quelque difgrace.
La troifieme rufe, eft de réparer finement les médailles
antiques, enforte que de fruftes & d’effacées
qu’elles étoient, elles paroiflent nettes & lifibles.
On connoit des gens qui y réufliffent parfaitement,
& qui favent avec le burin enlever la rouille, rétablir
les lettres, polir le champ, & reflufciter des
figures qui ne paroiflent prefque plus.
Quand les figures font en partie mangées, il y a
une forte de maftic que l’on applique fur le métal
, & qu’on retaille fort proprement enfuite : le
tout étant couvert de vernis, fait paroître les figures
entières & bien confervées. On découvre ce dé-
guifement avec le burin dont on fe fert pour égratigner
quelque petit endroit de la médaille; fi l’on s’ap-
perçoit qu’il morde plus aifément fur une partie
que fur l’autic, c’eft la preuve que le morceau eft
ajouté.
Cependant, quand l’oeil eft accoutumé aux médailles
, on trouve fur celles-ci de certains coups de
burin trop enfoncés, des bords trop élevés, des
traits raboteux & mal polis, par lefquels on devine
qu’elles ont été retouchées: cela ne dégrade pas ab-
lolumgnt une médaille antique, mais le prix en diminue
du tout au tout.
Le quatrième artifice, c’eft de frapper des coins
exprès fur certaines médailles antiques les plus rares,
bue l’on reftitue de nouveau , 6c que l’on fait
paffef pour véritables, avec d’autant plus d’apparence
, qu’il eft vifible qu’elles ne font ni moulées
ni retouchées.
C ’eft en quoi le Padouan & le Parméfan ont fi
bien réufli, que leurs fauffes médailles font devenues
une partie de la curiofité. Le Padouan a plus de for- ,
ce, le Parméfan plus dé douceur : en général on ne
peut pas approcher de plus près l’antique que ces
deux ouvriers l’ont fait. Cependant leur maniéré
finie & délicate ne vaut point cet air fier de l’antique,
qui tient beaucoup plus du grand. On les re-
connoit encore par le trop de confervation, qui les
rend fufpeâs ; par l’oeil du métal, & principalement
par le poids qui eft moindre que celui du métal antique.
Peut-être encore que fi l’on examinoit avec
attention les coins du Padouan, on pourroit les distinguer
infailliblementdes coins antiques. On fait,
par exemple, que fur le revers de Tibere gravé par
le Padouan, ces mots placés dans l’exergue, Rom.
ET Aug. font ponttués de façon que le T fe trouve
entre deux points, Rome T. Aug. aufli n’e ft- il pas
poflible de s’y méprendre, quand la médaille eft bien
confervée : l’embarras n’a lieu que lorfque la ponctuation
ne fe voit pas.
La cinquième fraude, eft de battre fur l’antique
même, c’eft-à-dire de fe fervir de coins modernes,
pour reformer de vieilles médailles avec le marteau ,
afin de leur donner enfuite une nouvelle empreinte.
Quoique cette tromperie foit difficile à découvrir,
fur-tout par un curieux qui commence, parce
qu’il n’a aucune des indications communes ; cependant
s’il veut bien prendre garde au relief, il le
trouvera pour l’ordinaire ou trop fort, ou trop foi-
ble, la coupure trop nette & trop neuve, & les
bords trop peu confervés, à proportion du champ
6c des figures.
Le fixieme ftratagème confifte à effacer un revers
commun pour y en mettre un plus rare , ce
qui augmente confidérablement le prix de la médaille.
Par exemple , on met une Otacille au revers
de Philippe ; un T ite au revers de Vefpafien ; c ’eft:
ainfi que l’on a gâté un Helvius-Pertinax de grand
bronze , en lui mettant au revers un Milon croto-
niate chargé de fon boeuf ; un Domitien, en y mettant
une allocution de huit foldats ; & un médaillon
de D e c e , en lui gravant une infcription, Decianq,
Coefarum, Decennalia féliciter.
On fait plus ; car afin que rien ne paroiffe réparé
, on coupe deux médailles , & puis avec un certain
maftic on colle à la tête de l’une le revers de
l’autre , pour faire des médailles uniques & qui
n’ayent jamais été vûes ; on a même l’adreffe de
réparer fi bien les bords, que les moins fins y font
ordinairement trompés. Le P. Jobert dit avoir vu
un Domitien de grand bronze d’une confervation
merveilleufe, dont on avoit enlevé le revers pour
inférer à la place le bel amphithéâtre qu’on avoit
aufli enlevé par deffous le grenetis à une médaille de
Titus. Morel, dans fon SpecimenR.Nummar. tom......
p. 7 7 , rapporte un exemple d’une falfification à-peu-
près pareille.
On connoît ces faux revers ou par la différence
qui fe trouve immanquablement dans les traits d’une
tête antique , 6c d’un revers moderne quelque bien
travaillé qu’il puiffe être j ou lorfque le revers eft:
antique & Amplement appliqué, on le découvre en
fondant les bords de la médaille , qui ne font jamais
fi parfaitement unis que l’on ne s’apperçoive de
quelque chofe , & que les deux marques ne découvrent
la jointure ou la différence du métal. Tel étoit
un Vérus, à qui l’on avoit attaché une Lucille, pour
en faire une médaille rare, fans avoir confidéré que
le Vérus étoit de cuivre rouge, & Lucille de cuivre
jaune.
La feptieme impofture fe fait dans les légendes,
foit du côté de la tête, foit du côté du revers. Il
eft plus ordinaire de le tenter du côté de la tête par
1 interet qu on a de trouver des têtes rares , ee qui
manque communément dans les fuites. O r , cela
s’exécute en fubftituant avec adreffe un nom à l’autre
, fui-tout quand il y a peu de lettres à changer
ou à ajouter. C ’eft ainfi que , dans le cabinet du
P. Jobert, il y avoit une Lucille changée enDomi-
tia de grand bronze , & un jeune Gordien d’Afrique,
moyennant l’addition d’un peu de barbe, 6c le changement
des lettres P. F. en A FR. C ’eft encore ainfi
que dans le cabinet de M. l ’abbé de Rothelin , il y
avoit une Coelonia d’or , qui n’étoit autre chofe
qu’une Agrippine , mere dé Caligula.
La huitième fineffe trompeufe eft de contrefaire
le vernis antique , ce qui fert à empêcher qu’on ne
reconnoiffe les médailles moulées, 6c à cacher les
défauts des bords 6c des caraélercs, comme nous
l’avons déjà dit. Il y en a même qui mettent les médailles
en terre, afin de leur faire contracter , fi ce
n’eft le vernis, du-moins une certaine rouille qui
jmpofe aux connoiffeurs moins habiles : d’autres
emploient le fel armoniac mêlé avec le vinaigre ;
d’autres le fimple papier brûlé, qui eft la maniéré
la plus facile.
On fe défend aifément. de cette tromperie, parce
qu'on ne peut donner au vernis moderne ni la couleur,
ni l’éclat, ni le poli du vernis antique qui dépend
de la terre. D ’ailleurs on n’a pas la patience
de laiffer ;une médaille en terre affez long-tems pour
qu’elle puiffe y prendre. cette belle rouille qu’on
efttme.plus que le plus-rjçhe métal. Il faudrait être
aflûré d’une longue vie , & pouvoir compter fur un
princeauffidupequel’étoitlepape Paulin, pour tenter
ce qmréuffir à un fourbe italien. Il fitfrapper fur
le plomb un bulle de S. Pierre, avetces mots, Parus
l& P p a M * . •' revers deux dés en pal
hb i dato cMves regm calorum. Il enfouit cette piece
fort avant en terre & M laiffa quelques années i
enluite faifant creufer dans qet. endroit comme par
hazard . on y trouva cette médaille qu’il décraffa
loigneufement, & qu’il montrait à tout le monde
comme un monument de la piété des premiers chrétiens.
Le bruit s’en répandit bientôt à Rome • le
pape; voulut .avoir cette médaille, il la demanda au
poffeffeur, & la lui paya mille écus; Enfin le vernis
moderne eft tendre , & fe pique aifément,. au lieu
que 1 antique eft dut comme le métal même.
La neuvième fupercherie a pour fondement un
accident qui arrive quelquefois aux médailles qu’on
H j d‘ re aux Antiquaires que toute
médaillé , dont les bords ont éclaté , eft infailliblement
frappée. Pour profiter de cette préoccupation,
ceux cjui font de&uffes M l * , tâ ch en t* les
taire.éclater.Iorfquds les frappent effeaivement
ou meme de les fendre tout exprès quand elles font
allez bien moulees.
. On n’en fera, pas la dupe fl l’on examine ces fentes
avec un peu de foin ; car quand elles ne font point
allez profondes., ou que la coupure n’en eft pas
tranche, ou qu’elles ne finiffent pas par certains fi-
lamens prefque. imperceptibles ; c’eft une preuve
que cela n eft point arrivé par l’effort du coin , mais
par artifice. -
Tome X .
Enfin le moyen général de fe précautionner contre
toutes les fourberies des brocanteurs , c’eft de
s’appliquer à la connoiffance de l’antique qui comprend
le m étal, la gravure des coins & le poinçonnement
des caraCteres ; c’eft ainfi qu’on acquiert
ces y eu x, que Cicéron appelle oculos eruditos. Mais
exiger d’un homme de lettres qu’il s’attache à démêler
la différence de l’antique & du moderne, qu’il
defcende jufqu’au détail de la gravure & de la fabrique
des médailles, n’eft-ce point le réduire à la condition
d’un fimple artifte ? n’eft-ce point même lui
impofer une obligation qu’il fera hors d’état de
remplir, puifque le goût qu’il doit avoir pour la lecture
, ne peut s’accorder avec la difîîpation infépa-
rable de la vie d ’un homme qui s’occuperoit à vifi-
ter les cabinets.
Nous conviendrions de la force de cette objection
, fi la connoiffance du matériel de la médaille
demandoit une occupation longue 6c férieufe , ou,
fi l’on ne fuppofoit pas un goût né pour les médailles
, dans celui qui veut acquérir cette connoiffance.
En effet, fans ce goût, ce feroit faire trop
peu de cas de fon tems que de le confacrer à de tels
foins. Mais il s’agit ici d’un curieux, en qui l’amour
des lettres augmente le penchant naturel qu’il fe
fent pour déchiffrer ces précieux reftes de l’antiquité.
Il s’agit d’un curieux qui fe propofe fans ceffe
d’étudier le fens, l’efprit des médailles , 6c pour y
parvenir de confacrer fes veilles à la leCture des ouvrages
, dans lefquels il peut puifer des lumières.
Nous allons donc lui en indiquer les principaux.
Livres fur les médailles. Je liippofe qu’il fait aufli-
bien que moi qu’on ne fera jamais de progrès dans
l’art numifmatique fans la connoiffance des langues
favantes , de l’Hiftoire greque 6c romaine , de la
Géographie ancienne 6c moderne , de la Chronologie
6c de la Mythologie. Si cependant je parlois à
un jeune homme qui n’eût pas étudié préalablement
toutes ces fciences, je lui confeillerois de commencer
à les apprendre par les tables chronologiques du
P. Pétau, les parallèles géographiques du P. B riet,
la mythologie de l ’abbé Banier , ou autres fembla-
bles.
Le livre du P. Pétau eft connu fous le titre de Dio-
nyjii Petavii rationarium temporum ; il y en a grand
nombre d’éditions. Celui du P. Briet eft intitulé :
Philippi Brietii paralltla géographie veteris & novce.
Mais attendu qu’il n’eft pas complet , il eft nécef-
faire d’y joindre la géographie ancienne de Cella-
rius ,. Chrijloph. Cellarii notitia orbis antiqui, ab ortu
rérum publicarum ad Çonjlantinorum tempora ; cum
tabules geographicis : on préférera l’édition de Leip-
fic 1733 , in-40. deux volumes, avec les obferva-
tions de M. Schuwartz.
Comme l’Hiftoire doit être la principale étude
d’un curieux en médailles, on conçoit bien que, pour
i les entendre, il doit lire Hérodote , Dion , Denis-
d’Halicarnaffe , Tite-Live , Tacite , Céfar , Vel-
leius Paterculus, &ç. A mefure qu’il fera des progrès
dans l’art numifmatique, il faudra qu’il ait fous
les yeux Suidas, Paufanias, Philoftrate, & parmi
les modernes Rhodiginus, Giraldus, R.ofinus , &
autres femblables , qui lui fourniront des lumières
pour l’explication des types & des fymboles.
A ces lecours , il joindra le livre du P. Hardouin,
intitulé : Nutnmi popul&rum & urbium illuflrati ; ce
livre où l’on trouve cent chofes curieufes, quoique
fouvent conjecturales , a été réimprimé avec des
changemens & des augmentations dans le recueil
des oeuvres choifies du même auteur : Joan. Hardouin
Opéra fele3a , Afnftelod. 1709, in-fol. mais
fi notre curieux veut s’animer encore davantage
dans la carrière qu’il a choifie , il faut qu’il life le
fayant traité de M. Spanheim fur l’ufage des mé-
' n „V.'