
placé auprès de fon époufe pour lui jouer la charte -
té ; Phémius, frere de cè muiicien, eut le même emploi
auprès de Pénélope, dont il s’acquitta avec plus
de bonheur, dit-on , 6c de fuccès. Il ne dut fans
doute fon fa lut qu’à l’ignorance oit étoient les amans
de Pénélope furla part qu’il avoit à la fidélité qu’elle
gardoit à fon mari. Il n’y a pas apparence que nos
jaloux modernes aient recours à de pareils expé-
diens.
L’application de la Mufique à la Médecine eft extrêmement
ancienne , perdue dans ces tems obfcurs
- 6c fabuleux que Fhiftoire n’a pas pu pénétrer. La mujîque
faifoit, comme nous l’avons remarqué , partie
de la médecine magique, aftrologique , qui étoit
en vogue dans ces tems reculés qu’on n’a jamais bien
connus, 6c qu’on a conféquemment appellésJîeclts
de barbarie & d’ignorance.
Pythagore eft le premier qui ait, au rapport de
Coelïus Aurtlianus, employé ouvertement la mujîque
pour guérir les maladies. Il fit fes expériences dans
cette partie de l’Italie qu’on appelloit autrefois la
grande Gûce, & qui eft aujourd’hui la Calabre ;
Diémerbroek , qui donne quelques obfervations de
peftes guéries par la Mujîque , allure que ce remede
admirable étoit connu par les anciens , & employé
dans le même cas avec beaucoup de fuccès. Théo-
phrafte vante beaucoup la Mufique, 6c fur-tout l’air
phrygien, pour guérir ou foulager les douleurs de
feiatique ; beaucoup d’auteurs après lui ont conftaté
par leurs propres expériences l’efficacité de ce fe-
cours , ils prétendent que le fon de la flûte, & particulièrement
les airs phrygiens, font les plus appropriés.
Ccelius Aurelianus dit avoir obfervé, que lorf-
qu’on chantoit fur les parties douloureufes , elles
fautilloient en palpitant, & fe rallentifloient enfuite
à mefure que les douleurs fè diflipoient : loc'a do-
lentia decantaffe ( ait ) quee cum faltum fumeront pal-
pitando , difcujjb dolore mitefeerent ; lib. V. cap. j .
L’ufage & les bons effets de la Mujîque dans la goutte
font auffi connus depuis très - long - tems ; Bonnet
dit lui-même avoir vû plufieurs perfonnes qui s’en
étoient très-bien trouvés. On employoit encore la
mujîque du tems de Galien dans la morfure des vipères
, du feorpion de la Pouille, & il la recommande
lui-même dans ces accidens; Default, médecin
de Bordeaux , affure s’en être fervi avec fuccès
dans la morfure des chiens enragés ; & elle eft enfin
devenue le remede fpécifique contre la morfure de
la tarentule, oit il faut remarquer qu’ëlle agit ici
principalement en excitant le malade à la danfe , 6c
elle eft inefficace fi elle ne produit pas cet effet. Il y
a une foule d’auteurs qui ont écrit îur ce fujet ; Ba-
glivi a donné un traité particulier qui mérite d’être
confulté. Cet auteur remarque qu’il faut, pour réveiller
& animer ces malades, choifirun air v if ,
gai , &qui leur plaife beaucoup. Afclépiade préten-
doit que rien n’étoit plus propre que la mujîque pour
rétablir la fanté des phrénétiques, & de ceux qui
avoient quelque maladie d’efprit. Cette prétention
eft une vérité conftatée par un grand nombre d’ob-
fervations. Deux phrénétiques, dont il eft fait mention
dans FHijloirede L’académie royale des Sciences ,
ann. iyoy , pag. y , & iyo8 , pag. xx , furent
parfaitement guéris par des concerts ou des chan-
fons qu’ils avoient demandé avec beaucoup d’em-
preffement ; & ce qu’il y avoit de remarquable, c’eft
que les fymptomes appaifés par la fymphonie re-
doubloient lorfqu’on la difeontinuoit. M. Bourdelot
raconte qu’un médecin de fes amis guérit une femme,
devenue folle par l’inconftance d’un amoureux, en
introduiront fecrétement dans fa chambre des mufi-
ciens , qui lui jouoient trois fois par jour des airs
bien appropriés à fon état ( Hifl de la Muf. chap. iij.
pag. J8. ) : il parle au même endroit d’un organifte
, q u i, étant dans un délire violent, fut calmé en peu
| de tems par un concert que quelques amis exécutèrent
chez lui : le même auteur rapporte qu’un prince
fut tiré d’une affreufe mélancolie par le moyen de
la mußqne ; les accès de mélancolie ou de manie
dont Saiil étoit tourmenté, neponvoient, félon les
livres facrés, être calmés que par la harpe de Da»
vid ; lib. I. Regum, cap. xvj. y . 23. Willhiam AI-
brecht dit avoir guéri lui-même par la mufique un
malade mélancolique , qui avoit éprouvé inutilement
toute forte deremedes ; il lui fit chanter, pendant
un des violens accès , une petite chanfon qui
réveilla le malade, lui fit plaifir, l’excita à rire, &
diffipa pour toujours le paroxyfme; de ejfeclu Muße.
§ .3 /4 . Arété'e confeille beaucoup la mußque dans
une efpece de mélancolie, qui eft telle qu’on voit,
dit-il, ceux qui en font atteints fe déchirer le corps , ou
fe faire des incifions dans les chairs, pouffes par une
pieufe fantaiße, comme s’ils fe rendoient par ce moyen
plus agréables aux dieux qu'ils fervent, & que ces dieux
exigeaffent cela d eux. Cette efpece de fureur ne les tient
que par rapport à cette opinion, ou à ce fentiment de
religion. Ils font d’ailleurs bien fenfés. On les réveille I
ou on les fait revenir à eux par le fon de la flute, &
par d’autres divertiffemens, & c . Les Américains fe
fervent de la mußque dans prefque toutes les maladies
pour ranimer le courage 6c les forces du malade
, & diffiper la crainte 6c l’affaiffement qui la
fuit, fouvent plus funeftes que la maladie même.
On raconte que la reine Elifabeth étant au lit de la
mort fit venir des muficiens, pour fe diftraire de la
penfée affreufe de la mort, 6c pour éloigner les horreurs
que ne peut manquer d’entraîner la ceflation de
la vie 6c la diffolution de la machine, de quel oeil
qu’on envifage ce changement terrible. On «voit un
exemple de paffion hyftérique jointe avec délire ,
perte prefque totale de fentiment, entièrement guérie
par le fon harmonieux du violon, dans une efpece
de relation que M. Pomme, médecin d’Arles ^
a donné de la maladie de Mademoifelle de * * * .
Chryfippe affure que le fon de la flûte ( KctvavMms )
eft un très-bon remede dans l’épilepfie & la feiatique.
Enfin, M. Default prétend que la mußque eft
très-utile dans la phthifie ; dijfert. fur la phthifie»
On voit par cette énumération, quoiqu’incomplette,
qu’il eft peu de maladies où l’on n’ait employé, &
avec fuccès, la mußque. Jean-Baptifte Porta, médecin
fameux, conçut la bifarre idée d’en faire une panacée,
un remede univerfel. Il imagina donc & pré-r
tendit qu’on pourroit guérir toutes les maladies par
la mußque inftrumentale, fi l’on faifoit les flûtes, ou
autres inftrumens deftinés à la mußque iatrique
avec le bois desplantps médicinales, de façon qu’on
choisît pour chaque maladie le fon d’une flûte, faite
avec la plante dont l’ufage intérieur étoit confeillé
& réputé efficace dans cette même maladie : ainfi il
vouloit qu’on traitât ceux qu’il appelle lymphatiques
avec une flûte de thyrfe ; les fous maniaques, mélancoliques,
avec une d’hellébore; & qu’on fe 1er-
vît d’une flûte , faite avec la roquette ou le fiity-
rium, pour les impuiffans & les hommes froids qui
ne font pas fuffifamment excités par les aiguillons
naturels, &c. &c. Il eft peu nécelfaire de remarquer
combien ces prétentions font peu fondées, vaines
6c chimériques.
L’examen réfléchi des obfervations que nous avons
rapportées, peut répandre quelque jour fur la maniéré
d’agir de la Mußque fur l’homme : nous allons
expofer lur ce fujet quelques confidérations qui fer-
viront à confirmer ou à reftraindre fon ufage médicinal
, qui rendront les faits^déjà rapportés moins
extraordinaires & plus croyables ; le vrai en deviendra
plus vraiflemblable.
On peut dans les effets de la Mußque diftingner
deux façons principales d’agir ; une purement me-
chaniquê, dépendante de la propriété qu’a la Mujîque
, Comme le fon de fe propager , de mettre en
mouvement l’air 6c les corps environnans, fur-tout
lorfqu’ils font à l’uniflbn ; l’autre maniéré d’agir ri-
goureufement rédu&ible à la première, eft plus particulièrement
liée à la fenfibilité de la machine humaine
, elle eft une fuite de l’impreffion agréable que
fait en nous le plaifir qu’excite le fon modifié , ou
la Mufique.
i° . A ne confidérer le corps humain que comme
un affemblage de fibres plus ou moins tendues, 6c de
. liqueurs de différente nature, âbftra&ion faite de leur
fenfibilité , de leur vie & de leur mouvement, on
concevra fans peine que la Mufique doit faire le même
effet fur les fibres qu elle fait fur les cordes des
inftrumens voifins ; que tputes les fibres du corps
humain feront miles en mouvement ; que celles qui
‘font plus tendues, plus fines & plus déliées en feront
plutôt ém'ûeS , & que Celles qui font à Funiffon le
confierveront plus long-tems ; que toutès les humeurs
feront'agitées, & que leur trémouffement fiera
en-raifort de leur" ifubtilïte , comme'il arrive à des
liqueurs hétérogènes contenues dans différens verres
( yi?yeç L'expérience rapportée plus haut. J ; de façon
que le fluide nerveux, s’il exifte , fera beaucoup
animé, la lymphe moins , & les autres humeursdans
la proportion.de leur ténuité : il n’eft pas
néceffaire au refte , pour mettre en mouvement les
fibres qu’on joue d’un inftrument accordé ; le fon
provenant d’un inftrument à vent, d’une flûte', &c.
peut produire le meme effet, fuivant l’oblervation
du P. Kircher. Ce fameux muficien dit avoir dans
fon cabinet un policorde, dont une corde raifonnoit
très-diftinftement toutes les fois qu’on fonnoit une
cloché d’une églife voifine. Muj'urg. lib. IX. cap. vij.
II affure auffi que le fon d’une orgue faifoit raifonner
les cordes d’une lyre placée à côté de l’églife. Cet
effet de la Mujîque peut expliquer la guéri fon de la
goutte , delà Iciatiqiie , de la paffion hyftériqüe ,&
autres maladies nerveufeS , opérée par ce moyen.
Il eft bien différent de l’impreflion que fait le fon fur
les nerfs de l’oreille, d’où elle le communique à toutes
les parties du corps , puifque les’ fourds éprouvent
par tout leur corps une agitation finguliere ,
quoiqu’ils n’entendent pas le moindre fon ; tel eft
celui dont parle M. Boerhaave , qui avoit un tremblement
prefque général toutes les fois qu’on jouoit
à fes côtés de quelque inftrument. L’on pourroit citer
auffi ces danfeufes qui, quoique fourdes , fui-
vent dans leurs pas & leurs mouvemens la mefure
avec une extrême régularité. La Mujîque confidérée
comme un fimple fon ou du bruit, agit principalement
fur les ramifications du nerf acouflique ; mais
par les attaches , les communications de ces nerfs
avec ceux de toute la machine , ou enfin par une
fympathie encore peu déterminée, cette aûion fe
manifefte dans différentes parties du corps, 6c plus
particulièrement dans Fefto.mac.Bien des perfonnes,
lorfqu’on tire des coups de canon , fentent un mal-
aife , une efpece de refferrement à l’eftomac ; & ,
outre les furdités occafionnées par un grand bruit
inopiné , on a vu la même caulè produire des vertiges
, des convullions, des accidens d’épilepfie , irriter
les bleffures ; & les chirurgiens oblervent tous
les jours, à l’armée, combien les plaies empirent &
prennent une mauvaife tournure pendant qu’on donne
quelque bataille dans le voifinage , 6c qu’on entend
les coups répétés du canon. Il y a une oblerva-
' tion rapportée dans Fhiftoire de l’académie royale
des fciences, année lySx.pag y$. d’une fille qui
étoit attaquée de violens accès de paffion hyftérique;
après avoir épuifé inutilement toüs les remedes , un
garçon apothicaire tira à côté de fon lit un coup de
Tome X .
pîftoîét , qui fit dans la machiné ürte févbiutiort ft
grande & fi heureufe, que le paroxifme fut prcfqué
à l’inftant diffipé 6c ne revint plus.
Si Fon regarde à préfent la machine humainë
comme douée d’une fenfibilité exquifie, quelle activité
la Mujîque n’empruntera-t elle pas de-ià ? né
concevra-t on pas facilement que fes effers doivent
augmenter auffi, fi Fon fait encore attention que l’air
y eft continuellement avalé, infpiré, abforbé, qu’il
eft contenu dans toutes nos humeurs, qu’il eft ramaf-
fé fouS forme & avec les propriétés de l’àir dans l’ef-
tomac , les boyaux , 6c même dans la poitrine, en»
tre lès côtes & les poumons, où il prend le nom d’ait
interthprachique ne verra-t-on pas dans les efforts
que fajt l’air intérieur, pour fe mettre en équilibré
avec l’air extérieur, 6c pour partager fes impref-
fîonç, une nouvelle rajfon des effets de la Mujîque ^
Voyez encore à Varticle Air , action de T , combièrt
le corps fe rçffent des changemens d’un fluide qui lui
deviént fi propre , 6c qui eft fi intimément lié à 1a nature
: ajoutez à cela , s’il eft permis de mêler l’hy-
pothèfc aux faits démontrés, que le fluide nerveux
p.affe pour être d’une nature fort analogue à celle de
l’air ; tous ces effets peuvent concourir à faire naître
dans le corps cette fenfation agréable qui conftitue lé
plaifir , effet de la Mujîque.
z°. Il n’eft pas néceffaire d’être connoifleur polit4
^goûter du plaifir lorfqu’on entend de la bonne mufi-
que , il fufHt d’être fenfible ; la connoiffance Si l’amour
, Ou le goût qui la fuivent de près , peuvent
augmenter ce plaifir ; mais ne le font pas tout: dans
bien des cas au contraire ilslediminuent 2 Fart nuit
à la nature ; la Mujîque eft un affemblage, un enchaînement
, une fuite de tons plus ou moins différens;
non pas jettés au hafard & fuivant le caprice d’un
compofiteur, mais combinés fuivant des réglés confiantes
, unies & variées fuivant les principes démontrés
de l’harmonie, dont tput homme bien organifé
porte en naiffant une efpece de réglé ; ils font sûrement
relatifs à ForganifiatiOn de notre machine, 6c
dépendent ou de la dil'pofition 6c d’un certain mouvement
déterminé des fibres de J’oreillé, 011 d’unr
amour naturel que nous avons pour un arrangement
méthodique. Voyt{ Mu s iq u e , Harmonie , &c.
Mais il faut d’abord une certaine proportion entre les
tons 6c ForeilIe;il y a une baffe au-deffôus de laquelle
les tons ne fauroient affeâer agréablement, ou même
être entendus, 6c une oâave qu’ils ne peuvent
dépaffer, fans exciter dans l’oreille une fâcheufe
fenfation. 30. L’union des tons intermédiaires renfermés
entre ces deux exttèmes, doit être telle qu’on
puiffe appercevoir facilement le rapport qu’ils ont
entr’eux : le plaifir naît de la confonnance, 6c il eft
particulièrement fondé fur la facilité que l’oreille a
à la faifir. 40. Les mefiures doivent être bien décidées
& diftinftes ; On ne peut goûter la Mufique que
lorfqu’on les appèrçoit bien, qu’on les fuit machinalement
; le corps y obéit 6c s’y conforme par des
mouvemens du pié , des mains , de la tête , & faits
fans attention 6c fans la participation de la Volonté',
& comme arrachés par la force de la Mufique. Il y a
des perfonnes mal organifées qui ne lavent diftin-
guer ni ton ni mefure, ils n’entendent qu’un ton fondamental
; la Mufique n’eft pour elles qu’un bruit
confus , ennuyeux , 6c fouvent incommode , elles
ne fauroient y goûter le moindre plaifir ; il y en a
d’autres qui font ou naturellement, ou par uéfaut
d’habitude 6c de connoiffance , dans le cas de ceux
qu’on dit avoir l’oreillè dure : peu affe&és de ces morceaux
délicats où la mefure eft enveloppée, où il
faut prefque la deviner, 6c être accoutumés à la fen-
tir, ils ne font fenfibles qu’à des mefures bien marquées,
à des airs bien décidés : femblablesà ces perfonnes
qui en examinant des tableaux , veulent fus
Y Y y y y i j