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un filence profond, paroiffant enfeveli'S dans quel-*
que grande méditation ; les yeux deviennent fixes ,
appliqués à un feul objet, ou furieuxI menaçans & >
hagards , le pduls eft dur ; il fe fait, -fuivant l’obfef-
vation d’Hippocrate , appëfcevüir au coude ; les
urines font rouges fans fédiment, mais a vec quelque
leger nuage. Lorfque la manie eft déclarée , ils s'etn*-
poi'tent le plus fou vent contre les affiftans , contre
eux-mêmes ; ils mordent, déchirent, frappent tout
ce qui les environnent, mettent leurs habits en pièces
» fe découvrent indécemment tout le corps ; ils
marchent ainfi pendant les froids les plus aigus fans
en reffentir les atteintes ; ils ne font pas plus fenfi-
bles à la faim, à la foif, au befoin de dormir. Il y
en a qui, au rapport de Fernel, ont paffé jufqu’à
quatorze mois lans dormir ; leur corps s’endurcit,
devient robufte ; leur tempérament lé fortifie. On
obferve qu’ils font d’une force étonnante, qu ils v ivent
allez long-tems, que les caufes ordinaires de
maladie ne font point ou que très-peu d’impreffion
fur eux ; il eft rare de les voir malades , même dans
les conftitutions épidémiques les plus meurtrières. Il
y en a qui ne ceffent de chanter » de parler » de rire ,
ou de pleurer ; ils changent de propos à chaque in-
ftant, parlent à bâtons rompus , oublient ce qu’ils
viennent de dire 6c le répètent fans celle. Il y en à
de téméraires , d’audacieux, qui ne connoiflent aucuns
dangers » lés affrontent hardiment, méprilent
& bravent tout le monde: d’autres au contraire,
font timides, craintifs, 6c quelquefois le délire eft
continuel ; d’autres fois il eft périodique * les malades
femblent-pendant un te ms jouir de toute leur
raifon ; ils étonnent par leur fageffe ceux qui les
traitent de fous ; mais après quelques heures, quelques
jours,quelquefois aufli des mois entiers, ils
retombent de nouveau dans leur folie. Des auteurs
dignes d e foi, rapportent avoir v û des fous, qui dans
le plus fort de leurs accès, partaient des langues
étrangères , faifoient des vers, & raifonnoient fu-
périeurement fur des matières qui ne leur étaient
pas connues ; quelques-uns même prédifoient l’avenir
; ce qui pourroit faire préfumer que les devins,
fibylles, 8c ceux qui rendoient des oracles chez les
idolâtres anciens, n’étoient que des fous qui étoient
dans quelqu’accès de fureur. Les poitraits qu’on
nous a laiffés de ces enthouiiafmes prophétiques qui
précédoient leurs oracles, s’accordent allez bien à
■ cette idée. Peut-être pour lire dans l’avenir ne faut-
il qu’une tenfion extraordinaire. 6c un mouvement
impétueux dans les fibres du cerveau. Parmi les
caufes qui produifent cetie maladie, les pallions
d’ame , les contenfions d’efprit, les études forcées ,
les méditations profondes, la colere, la triftelfe, la
crainte , les chagrins longs & cuifans , l’amour mé-
prifé , &c. font celles qu’une obfervation confiante
nous a appris concourir le plus fréquemment à cet
effet ; les excrétions fupprimées ou augmentées, en
font aufli des caufes alfez ordinaires. Hippocrate,
& après luiForeftus, Bonningerus, ont obiervéque
-la manie étoit quelquefois une fuite de la fuppreflion
des réglés , des lochies. Elle eft pour lors annoncée
par l’amas du flang dans les mamelles. Aphor. 40.
liv. V. Hippocrate remarque encore que la celfation
d ’un ulcéré , d’une varice ,1a difpofition des tumeurs
qui font dans les ulcérés, font fouvent fuivies de
manie : les obfervations de Schenkius confirment
cette aflertion.
Zacutus Lufitanus affure que le même effet eft
produit par la-fuppreflion du flux hémorrhoïdal ;
une évacuation trop abondante de femence a été le
principe de la manie - dans un vieillard dont parle
Henri de Heers, & dans un jeune homme dont Fo-
veHus fait mention, qui ayant époufé une jolie femme
dans l’é té , devint maniaque parle commerce extefiîf
qu'il eut avec elle. Les fievres aigues, inflattf*
matoires, ardentes, la petite vérole, ainfi que l’ont
oblèrvé Fabrice, Hildan, 6c Chriftien Ewinder,
& le plus fouvent la phrénélie, lailfent après elles
la manie. Sydenham en compte une efpece alfez fréquente
parmi lesaccidens quiluccedentaux fievres
intermittentes mal traitées parles faignées Ôc les purgatifs
réitérés. Opufc. med. cap. v. Il n’y a point de
caufes qui agilfent plus fubitefnent que certaines
plantes vénéneufes» telles (ont le ftramonium , la
jufquiame , les baies du folanum , la dulcamare, les
femences de pomme épineufe : l’opium même ordonné
inconfidercment dans les délires fébrils, loin
de les calmer les tait dégénérer en manie. Pour que
ces caufes agilfent plus finement , il faut qu’elles
foient aidées par une difpofition, une foiblelfe du
cerveau acquife , naturelle, ou héréditaire. Les
perfonnes pelantes, llupides ; celles qui font au contraire
douces, d’un eljfrit vif, pénétrant, les Poètes, '
les Philolophes, les Mathématiciens , ceux qui fe
livrent avec paflion aux analyfes algébriques > fônt
les plus fujets à cette maladie.
Toutes ccs caufes font conftatées par uti grand
nombre d’obfervations » mais l’on n’a pas encore pu
découvrir quel eft le vice , le dérangement intérieur
qui eft l’ofigine &c la caufe immédiate des fÿmpto-
mes qui conftituent cette maladie. Engénéral l’étio-
logi«kde toutes les maladies de la tête » & fur-tOut de
celtes où les opérations de l’elprit fe trouvent compliquées
, eft extrêmement ©blaire ;les obfervations
anatomiques ne répandent aucun jour fur cette
matière ; le cerveau de plufieürs maniaques ouvert
n’a offert aux recherches les plus fcruptlleufes au -:
cun vice apparent : dans d’antres, il a paru inondé
d’une férofité jaunâtre. Bâillon a vu dans quelques-
uns les vailfeaux du cerveau dilatés, variqueux ; ils
étoient de même dans un maniaque dans lequel on
trouva le plexus choroïde prodigieufement élargi,
& embrallant prefque toute la furface interne des
ventricules, ôc parlemé de vailfeaux rouges, dilatés
& engorgés. Mifcellan. nat, curiof. decad. 2. ann. 6.
L’état le plus ordinaire du cerveau des perfonnes
mortes maniaques, eft la fécherelfe, la dureté, & la
friabilité de la fubftance corticale. Voye^ à ce fujet
Henri de Heérs, cbjïrv. 3 , le Uttefe mediche deljîgnor
Martine Ghifi » pag, 2.6. le fepulchretum de Bonet,
lib. & tom. I .fe îl. viij. pag. 206 .les obfervations de
Littré,inférées dans les mémoires de l'acad. royale des
\ Scienc. ann. tyoS.pag. 4y . Antoine de Pozzis raconte
qu’un maniaque fut guéri de fa maladie en rendant
dans un violent éternument une chenille par le nez.
Fernel dit avoir trouvé deux gros vers velus dans le
nez d’une perfonne qui étoit tombée dans une manie
mortelle à la fuite de la fuppreflion d’un écoulement
fétide par le nez ; & Riolan affure avoir vu
un vers dans le cerveau d’un cheval devenu fou*
Tous ces faits, comme l’on vo it , ne contribuent
en rien à éclaircir cette théorie ; ainfi ne pouvant
rien donner de certain, ou au moins de probable ,
nous ne nous y arrêterons pas ; nous nous contenterons
d’obferver qu’il y a nécelfairement un vice
dans le cerveau idiopathique ou fympathique ; les
fymptomes eflfentiels de la manie viennent de ce que
les objets ne fe préfentent pas aux malades tels qu’ils
font en effet ; on a attaché aux mouvemens particuliers
ôc déterminés des fibres du cerveau, la formation
des idées , l’apperception. Lorfque ces mo-
titations font excitées par les objets extérieurs, les
idées y font conformes ; les raifonnemens déduits
en conféquence font juftes ; mais fi le fang raréfié,
les pulfations rapides ou defordonnées des arteres,
ou quelqu’autre dérangement que ce foit, impriment
le même mouvement aux fibres, elles repréfente-
ront comme préfens des objets qui ne le font pas,
comme.
Comme vrais ceux qui font chimériques ; & ainfi les
fous ne me paroilfent pécher que dans l’appercep-
tion ; la fauïfeté apparente de leur raifonnement
doit être attribuée à la non conformité de leurs idées
avec lès objets extérieurs. Ils font furieux, emportés
contre les affiftans, parce qu’ils croient voir en
eux autant d’ennemis prêts à les maltraiter. Leur in-
lenfibilité au froid, au chaud, à la faim, au fom-
meil, vient fans doute de ce que ces impreffions
ne parviennent pas jufqu’à l’ame; c’eft pour cela
qu’Hippocrate a dit que fi quelque partie eft affe&ée
de quelque caufe de douleur fans que le malade la
reffente, c’eft ligne de folie.
On peut en examinant les lignes que nous avons
détaillés au commencement de cet article, non-feulement
s’affurer de la préfence de la manie, mais
même la prédire lorfqu’elle eft prochaine ; elle ne
fauroit être confondue avec la phrénélie, qui eft
line maladie aiguë toujours accompagnée d’une fièvre
inflammatoire. On la diftingue de la mélancho-
Iie par l’univerfalité du délire, par la fureur, l ’audace,
&c. Voye{ Mélan cholie. On peut encon-
fu!tant les parens, les affiftans , connoître les caufes
qui l’ont excitée.
La manie eft une maladie longue, chronique, qui
n’entraîne pour l’ordinaire aucun danger de la vie :
au contraire ceux qui en font attaqués, font à l’abri
des autres maladies ; ils font forts, robuftes, à leur
état près , bien portans ; ils vivent alfez long-tems ;
les convulfions 8c l’ atrophie furvenues dans la manie
, font des fymptomes très-fâcheux. Un ligne aufli
très-mauvais, 8c qui annonce l ’accroilfement & l’état
defefpéré de manie, c’eft lorfque les malades paf-
fans d’un profond fommeil à un délire continuel,
font infenfibles à la violence du froid;, 8c à l’a&ion
des purgatifs les plus énergiques. La mort eft prochaine
li les forces font épuifées par l’abftinence ou
par les veilles, & que le malade tombe dans l’épi-
îepfie ou dans quelqu’autre affeftion foporeufe.
Quoique la manie ne l'oit pas dangereufe, elle eft
extrêmement difficile à guérir, fur-tout lorfqu’elle
eft invétérée : elle eft incurable lorfqu’elle eft héréditaire
; on peut avoir quelque efpérancefi les paro-
xifmes font légers, fila manie eft récente, & fur-tout
fi alors le malade obferve exactement ôc fans peine
les remedes qu’on lui preferit ; car ce qui rend encore
la guérifon des maniaques plus difficile, c’eft
qu’ils prennent en averfion leur médecin, & regardent
comme des poifons les remedes qu’il leur or-i
donne. Lorfque la manie fuccede aux fievres intermittentes
mal traitées, à quelque écoulement fup-
primé, à des ulcérés fermés mal-à-propos, à des
poifons narcotiques , on peut davantage fe flatter
de la guérifon, parce que le rétabliflèment des excrétions
arrêtées, la formation de nouveaux ulcérés
, l'évacuation prompte des plantes vénéneufes,
font quelquefois fuivies d ’une parfaite fanté. Hippocrate
nous apprend que les varices ou leshémor-
rhoïdes furvenues à un maniaque, le guériffent. lib.
VI. aphor. 21. que la dyfertterie, l’hydropifié, 6c
tme Ample aliénation d’efprit dans la manie, étoient
d’un très-bon augure ; lib, VII. aphor, 5 , que lorf-
qu’il y avoit des tumeurs dans' les ulcères, les malades
ne rifquoient pas d’être maniaques; Aph. 5 6 .
liv. V. Il y a dans Foreftus, Obferv. 24. lib. X .
une obfervation d’une fille folle, qui guérit de cette
maladie par des ulcérés qui fe formèrent à fes jambes.
Les fievres intermittentes,fievres quartes, font
attffi# fuivant Hippocrate, dés puilfans remedes
pour opérer la guérifon de la manie. Ceux qui gué-
riffent de cette maladie relient pendant long-tems
trilles, abattus & laflgniffanS ; ils eonfervertt un
fonds de mélancholie invincible, que le fouvenif
humiliant de leur état précédent entretient.
Tome X,
La manie eft line de ces maladies où les plus hâ-
bilès médecins échouent ordinairement » tandis què
les charlatans, les gens à fecret, réufliront très-fou*
vent. La guérifon qui s’opère parla nature, eft la
plus fimple & la plus fûre : la Medecine n’oflfe aucun
fecours propre à corriger le vice du cerveau
qui conftitue la manie, ou du moins qui produit con-
ftaniment cet- effet : bien plus, tel remède qui a
guéri un maniaque, augmente le délire cl’tm autre
L’opium, par exemple, que de grands praticiens défendent
abfoltimentdans la manie, inftruits par JeurS
obfervations de fes mauvais effets ; l’opium, dis-je $
a guéri plufieurs maniaques^ pris à des dofes confidé*
râbles. Nouslifons dans le journal dès Savans du mbii
de Juillet , ann. tyot. page y , 4 , qu’ùne jèuue fiUé
fut parfaitement guérie de la manie, après avoir aValé
un onguent dans lequel il y avoit un fcrtipule d’opium;
quelques médecins ront donné en âffei grande
quantité avec fuccès. Wepfer, kijlor. apoplecU
pag. 68y . Aëtius , Sydenham , n’en defapprouvent
pas l’ufage ; la terreur, affe&ion de l’ame, très propre
à produire la manie , en a quelquefois été l ’antidote
; Samuel Formius, Obfervat. 32. rapporte
qu’un jeune maniaque Ceffà de l’être après avoir été
châtré ; des chûtes avec fraélure du crâne , lé trépan,
le cautere, ont été fuivis de quelques heureux
fuccès : on a même vu la transfufion diffiper totalement
la manie ; quelquefois cette opération n’a
fait qu’en diminuer les fymptomes ; fes effets pernicieux
ne font rien moins que folidement conftatésW
V-)yc{ là-deflïis Dionis, cours d'opérations de Chirurgie*
dèmonflr-. viij. pag. 498. & la bibliothèque medico-pra-
tique de Manget-, tom. III. lib. X I. pag. 344. &■
Jequent. Il me paroî« que pour la guérifon. de la manie,
il faut troubler violemment & fubitement touÉ
le corps, & opérer pardà quelque changementcon-
fidérable ; c’eft pourquoi les remedes qui ont beau*
coup d’a&ivité, donnés par des empyriuues aufli hardis
qu’ignorans, ont quelquefois réuffiv Lorfque la
manie dépend de quelque excrétion ftïpprimée, il
faut fentér tous les fecours pour les'rappeller; rouvrir
les ulcérés fermés, exciter des diarrhées , de$
dyfenteries artificielles ; tâcher en un mot, dans l’ad-
miniftration des remedes, d’imiter la nature & de
fuivre fes traces. Dans les manies furieufes, les faignées
font aflez convenables ; il eft fouvent nécef-
faire ou utile de les réitérer ; l’artériotomie peut
être employée avec fuccès. Fabrice Seldan rapporte
plufieurs obfervations qui en conllatent l’efficacité*
Ejjîcac. medic. part. IL pag. 46. 6* féq. On ne doit
pas négliger l’application des lang-fues aux tempes,
aux vaiflèaux hémorrhoïddux, ni les ventoufes ;
quant aux véficatoires, leur ufage peut être très-
pernicieux ; les feules faignées copieules Ont quelquefois
guéri la manie. Félix Plarer raconte avoir
Vu unempyriquequi guérifloit tous les maniaques en
les faignant julqu’à foixante 6c dix fois dans Une fe-
maine. Obferv. lib. I. pag. 86, Une foule de prati*
ciens célèbres affurent qu’ils ne connOiflent pai
dans la manie de retnede plus efficace. Les purgatifs
émétiques ôc cathartiques font auffi généralement
approuvés. Les anciens faifoient beaucoup d’ufage
de l’hellébore purgatif violent ; Horace conféille aux
fous de voyager à Anticyre, île fertile en hellébore*
Quelques modernes croient qu’il ne faut pas ufer des
purgatifs drafliques ; ils penfenr que l’hellébore des
anciens étoit châtré 6c adouci par quelque corfeâif
approprié; il faut cependant remarquer que ces malades
étant moins ferifiblés, moins impreffionablei
aux irritations , ont befoin d’être plus violemment
fecoués, 6c exigent par là qu’on leur donne des remedes
plus forts 6c à plus haute dofe. Non-feulement
l’évacuation opérée par l’émétique eft utile ,
mais en outre la fecotilfe générale qui en réfulte,
E