pée des Grecs , eft le chant ou la mélodie ; & je ne
lais qui doit l’emporter de ce côté-là ; car fi nous
avons plus d’intervalles, ils en avoient, en vertu de
la diverfité des genres, de plus variés que les nôtres.
D e plus-, la modulation étant uniforme dans tous
nos tons, c’eft une néceflité que le chant y foit fem-
hlable ; car l’harmonie qui le produit a l'es routes
prefcrites , 8c ces routes font partout les mêmes.
Ainfi les combinaifons des chants que cette harmonie
comporte , ne peuvent être que très-bonnes :
auflî tous ces chants procedent-ils toujours de la même
maniéré. Dans tous les tons , dans tous les modes
, toujours les mêm.es traits, toujours les mêmes
chûtes ; on n’apperçoit aucune variété à cet égard
ni poHr le genre ni pour le caraâere. Quoi ! vous
traitez de la même maniéré le tendre, le gracieux,
le gai , l’impétueux , le grave , le modéré ? votre
mélodie eft la même pour tous ces genres , 8c vous
vous vantez de la perfeûion de votre mujique? Que
dévoient donc dire les Grecs , qui avoient des modes
, des réglés pour tous ces cara&eres, & qui parla
les exprimoient à leur volonté ? Me dira-t-on que
nous les exprimons auflî ? nous y tâchons du-moins;
mais à parler franchemenr, je ne vois pas que le
fuccès réponde aux efforts de nos muficiens. D ’ailleurs
, & ceci s ’adreflfe particulièrement à la m'ujiquc
françoife, quels moyens employons nous pour cela î
un leul, c’eft le mouvement : on le ralentit dans les
airs graves : on le prefle dans les airs gais. Faites un
air quelconque ; le voulez-vous tendre ? chantez-le
lentement, refpirez fort, criez ; le voulez-vous gai ?
chantez-le vite , en marquant la mefure ; voulez-
vous du furieux? courez à perte d’haleine. Le fieur
Jeliotte a mis à la mode des airs plats 8c triviaux du
pont-neuf ; il en a fait des airs tendres 8c pathétiques,
en les chantant lentement avec le goût qu’on lui
connoît. Au contraire , j’ai vu une mufette fort tendre
des talens lyriques devenir infenfiblement un
affez joli menuet. Tel eft le caraâere de la mujique
françoife ; variez les mouvemens , vous en ferez ce
.qu’il vous plaira, Fiet a v is , & cum volet, arbor. Mais
les anciens avoient auffi cette diverfité de mouvemens
, & ils avoient de plus pour tous les caraâeres,
des réglés particulières dont l’effet fe faifoit fentir
dans la melopée.
Que veux-je conclure de tout cela? que l’ancienne
mujique étoit plus parfaite que la nôtre ? nullement.
Je crois au contraire que la nôtre eft fans comparai-
ion plusfavante & plus agréable ; mais je crois que
celle des Grecs étoit plus expreflive & plus énergique.
La nôtre eft plus conforme à la nature du chant :
la leur approchoit plus de la déclamation ; ils ne
cherchoient qu’à remuer l’ame, 8c nous ne voulons
que plaire à l’oreille. En un mot, l’abus même que
nous faifons de notre mujique ne vient <jue de fa ri-
chefle ; 8c peut-être fans les bornes oiil’imperfeâion
de celle des Grecs la tenoit renfermée , n’auroit-elle
pas produit tous les effets merveilleux qu’on nous
en rapporte.
On a beaucoup* fouhaité de voir quelques frag-
mens de l’ancienne mujique , le P. Kircher 8c M. Burette
ont travaillé à farisfaire là-deffus la curiofité
du public. On trouvera dans nos PI. de Mujique deux
morceaux de mujique grecque traduits fur nos notes
par ces auteurs. Mais quelqu’un auroit-il l’injuftice
de vouloir juger de l’ancienne mujique fur de tels
échantillons ? Je les fuppofe fideles, je veux même
que ceux qui en voudroient juger connoiffent fuffi-
famment le génie de la langue grecque ; qu’ils réflé-
chiflènt pourtant qu’un italien eft juge incompétent
d’un air françois , 8c qu’ils comparent les tems &
les lieux. On a ajouté dans la même Planche , un
air chinois tiré du pere du Halde ; 8c dans une
au.ue Planche, un air perfan tiré du chevalier Chardm
; 8c ailleurs, deux chanfons des fauvagts de
l’Amérique , tirées du P. Merfenne. On trouvera
dans tous ces morceaux une conformité de modulation
avec notre mujique, qui pourra faire admirer
aux uns la. bonté 8c l’univerfalité de nos réglés, 8c
peut-être rendre fufpeâe à d’autres la fidélité ou
l ’intelligence de ceux qui ont tranfmis ces airs.
La maniéré dont les anciens notoient leur mujiqut
étoit établie fur un fondement très-fimple, qui éioit
les rapports des fons exprimés par des chiffres ou ,
ce qui eft la même chofe, par les lettres de leur alphabet.
Mais au lieu de fe prévaloir, de cette idée
pour fe borner à un petit nombre de caraâeres faciles
à concevoir, ils fe perdirent dans une multitude
de lignes différens , dont ils embrouillèrent gratuitement
leur mujique. Boëce prit dans l’alphabet latin
des caraâeres correfpondans à ceux des Grecs ;
Grégoire le grand perfectionna fa méthode. En 1024
Guy d’Arezzo , bénédiâin , introduifit l’ufage des
portées ( voye{ P o r t é e s ) , fur les lignes delquelles
il marqua les notes en forme de points, défignant par
leur pofition l’élévation ou l ’abaiffement de la voix.'
Kircher cependant prétend que cette invention étoit
connue avant Guy: celui-ci inventa encore la gamme
, 8c appliqua aux notes de l’échelle les noms tirés
de l’hymne de faint Jean Baptifte , qu’elle conferve
encore aujourd’hui. Enfin cet homme, né pour la
Mujique, inventa , dit on, différens inftrumens ap-
pelléspolypleclra, tels que le clavecin , Vèpinette , 8cc»
Voyc^ N o t e s , G a m m e .
Les lignes de la Mujique ont reçu leur derniere
augmentation confidérable en 1330, félon l’opinion
commune. Jean Muria, ou de Mûris , ou de Meurs,
doâeur de Paris, ou l’Anglois, félon Gefner', in*
venta alors les différentes figures des notes qui dé-
fignent la durée ou la quantité,& que nous appelions
aujourd’hui.ro/z*/« , blanchesy-riüires, &C. Voyeç
M e s u r e , v a l e u r d e s n o t e s .
Lafus eft , comme nous l’avons dit-, le premier
qui ait écrit fur la Mujique ; mais fon ouvrage eft
perdu , auflî bien que plufieurs. autres livres des
Grecs 8c des Romains fur la même matière. Arifto-
xene ; difciple d’Ariftote, eft le plus ancien écrivain
qui nous refte fur cette fcience. Après-lui vient Eu-
clide, connu par fes élémens de Géométrie. Ariftide
Quintilien écrivoit après Cicéron : Alypius vint
enfuite ; après lui Gaudentius le philofophe, Nicomaque
le pythagoricien , 8c Bacchius.
Marc Meibomius nous a donné une belle édition
de ces fept auteurs grecs, avec une traduâion latine
8c des notes.
Plutarque a écrit un dialogue de la Mujique. Pto»
lomée , célébré mathématicien , écrivit en grec les
principes de l’harmonie, vers le tems de l’empereur
Antonin le pieux. Cet auteur garde un milieu entre
les Pythagoriciens & les Ariftoxéniens. Long-tems
après , Manuel Bryennius écrivit auflî fur le même
fujet.
Parmi les Latins, Boëce a écrit du tems de Théo»
doric ; 8c vers les mêmes tems , un certain Caflio-
dore, Martian , 8c faint Auguftin.
Parmi les modernes, nous avons Zarlin, Satinasÿ
Nalgulio , Vincent Galilée , D o n i, Kircher, Ban-
chierï, Merfenne, Parran, Perrault, W allis, Def-
cartes , Hôlder , Mengoli, Malcolm, Burette , 8c
enfin le célébré M. Rameau, dont les écrits ont ceci
de fingulier, qu’ils ont fait une grande fortune lans.
avoir été lûs de pgrfonne.
Nous avons encore plus récemment des principes
d’acouftique d’un géomètre , qui nous montrent
jufqu’à quel point pourroit aller la Géométrie dans
de bonnes mains , pour l’iuvention 8c la folutioa
des plus difficiles théorèmes de la mujique fpécula-
tive.
M usique des Hébreux, (’ Critiq.facrée.) les an-
ciens hebreux aimoient la Mujique, 8c avoient plu-
lieurs inftrumens de Mujique. Ils s’en fervoient dans
les cérémonies de religion, dans les réjouiflances
publiques 8c particulières, dans leurs feftins Ôé même
dans^ leurs deuils. Laban fe plaint que Jacob fon
gendre l’ait quitté brufquement, fans lui donner le
Jouir de le conduire au chant des cantiques 8c au fon
des tambours 8c des cythares. Moyfe fit faire des
trompettes d’argent pour en former dans les facrifi-
ces folemnels, & danslesTeftins facrés. David defti-
na une grande partie des lévites à chanter & à jouer
des inftrumens dans le temple. Afoph, Iléman 8c
Idithun éroient les chefs de la mujique du tabernacle
tous ée prince, 8c du temple fous Salomon. Le premier
avoir quatre fils, le fécond quatorze, & le troi-
fieme fix. Ces vingt-quatre lévites étoient à la tête
de vingt-quatre bandes de muficiens qui fervoient
tour-a-tour.
„ On ne peut douter que David ne fçût très-bien
B S H la harPe I car 11 diflipa par ce moyen la mé-
Jancholiede Saiil ; cependant Yd mufique des.Hébreux
leurs inftrumens de mujique, nous font entièrement
inconnus. Tout ce que l’on en peut conjeâu*
re r , c’eft que ces inftrumens fe réduifoient à trois
claflës ; les inftrumens à corde, les inftrumens à vent
&c les différentes efpeces de tambours. Les premiers
font le nable , le pfaltérion, le cimor, la fymphonie
ancienne, la fambuque. Il feroit difficile de donner
la figure des diverfes fortes de trompettes que l’on
remarque dans J ’Ecriiuie: le plus connu de ces
inftrumens eft l’orgue ancien , nommé en hébreu
huggals. Ils avoient plufieurs efpeces de tambours
i le tuph, le zazelim, le fehalifehrim & le me-
zilothaim, rendus dans la vulgate par tympana. cym-
baLa, JîJlra 8c tintinnabula. (JD. J J
M u s i q u e , pftix d e , (Antiq. grecq.} récompen-
le honorable introduite dans les jeux de la Grece,
pour encourager 8c perfectionner l’étude de cet
an. Athènes donnoit un prix de mufique pendant les
Bacchanales ; ce prix étoit un trépié, 8c les dix tribus
le difpiuoient à l’envi. Chacune avoit fon
choeiir des muficiens, fon chorege, c’eft à-dire fon
mtendantdu choeur & fon poëte. On gravoit fur le
trépié le nom de la tribu viâorieufe, celui de fon
poëte 8c celui de fon chorege. Voici les termes d’une
de ces inferpirions, tirés de Plutarque. « La tribu An-
» tioçhide remporta le prix ; Ariftide chorege, fît lés
w frais des jeux; 8c le poëie Archiftrate compofa les
» comédies ».
^ Je ne dois pas oublier de remarquer que les jeux
où l’on difputoit les prix de la mujique, avoient leurs
lois particulières dont on ne pouvoir s’écarter impunément.
Un muficien, par exemple, quelque fatigué
qu’il fût, n’avoit pas la liberté de s’affeoir:
il n’ofoit effuyer la lueur de fon vifage qu’avec un
bout de fa robe : il ne lui étoit pas permis de cracher
à terre, &c. Ta c ite, ann.lib. XV I. nous repréfente
l ’empereur Néron fournis à ces lois fur le théâtre, &
affeéfant une véritable craintede les violer. Ingredi-
tur theatrum , cunclis cytharoe legibus obtempérant , ne
fejfus rejiderei, ne fudorem niji eâ quant indutui ge-
■ rebat vtfle detergeret, ut nulla oris aut narium excre-
mentaviderentur} pqjlremo, Jlexus genu , & catum iù
lum manu veneratus , Jcntentias judicum opperebiatur
Jiclo pavore. {D. J.)
M u s i q u e , e f f e t s d e l a , (Mèd. Dicte, Gymnajl.
TherapeutJJ aâion de la Mujique 'fur les hommes eft
fi forte, & fur-tout fi ftnfibU, qu’il paraît abloiu-
jnem fupérflu d’entafler des preuves pour en confta-
ter la poffibilitë. L’eapërience journalière la démon-
tre à ceux qui peuvent lentir; & quant à ces per-
fonnès mal organifëes qui, plongées en conféquen-
ce dans une inlenfibiiite maladive, font malheureufeiaent
dans le cas d’exiger ces preuves, elles n’en
îeroient à-coup-fûr nullement convaincues. Que
peuvent, en effer, les raifons les plus juftes’, oh le
fèntiment ne fait aucune imprefiîon ? Qu’on\ranf-
porte l’homme le plus incrédule , par conféquent la
moins connoifleur, mais poffedant une doie ordinaire
de lënfibilité, dans ces palais enchantés, dans
ces académies de mujique, où l’on voit l’art fe dif-
puter 8c fe montrer iupérieur.à la nature; qu’il y
écoute les déclamations harmonieufesde cette aâri-
ce inimitable , foinenue par l’accompagnement
exact,& proportionné de ces inflrumens fi parfaits ,
pourra-t-il; S’empêcher de partager les femimens, -les
panions, les fituations exprimées avec tant d’ame &
H » « n i & pour me fervir des paroles énergiques
d-un écrivain du fiecle pafl'é, fon aine dépourvue de
toute idee étrangère, perdant tout autre fentiment,
ne volera-t-elle pas toute entière fur fes oreilles ?
fon ame feule ne fera pas émue, fon corps recevra
des impreffions auffi vives, Un ftémiffement machinal
involontaire s’emparera de lu i, fis cheveux fe
dreffiront doucement fur fa tête , & il éprouvera
malgré lui une fecrette horreur, une efpece de reiS-
ferrement dans la peau,; pourra-t-il ne pas croire ,
quand il fentira fi vivement ?
Parcourons les hiftoires anciennes & modernes '
ouvrons les faites de la Médecine, nous verrons partout
les effetsjurprenansopérés par \zMujiqui. L’an-
tiquifé ia plus reculee nous offre des faits prodigieux
; mais ils font ou déguilés ou groffis par les fables
que les Poït*J y ont mêlées, ou enveloppés
pans ,les myfteres obfcurs de la Magie, fous les apparences
de laquelle les anciens charlatans ca-
choient les véritables effets de. la Mufique , pour fé-
duire plus furement les peuples , en donnant un air
de myfière 6c de divin aux faits les plus naturels
produjts des taures ordinaires ; expédient qui a foui
vent ete renouvelle, prefque toujours accrédité par
■ ‘gnorancq & demafqué par les Philofephes ; mais
jamais épuifé... Il y a lieu de préfumer, dit fort judiu
” oieufement le lavant médecin Boerhaave, que tous
» les prodiges qui font racontés des enchanteméns
» & des vers dans la guérifon des maladies , doivent
»être rapportes à la Mufique,(lit. impet. faciens,
y a g . 3 Sz. n°, 4 iz .) partie dans laquelle exceUoient
<> les anciens médecins ». Pyndare nous apprend
qii’Klcuiape, ce héros fameux pour la guérifon de
toutes fortes de maladies, êexte ai« ,;-»
W 5 f - î » traitpit quelqucs tir.es par des chunfom
molles, agréables , voluptneufes, ou fuivant quelques
interprètes, par de doux enchantement, ce qui
dans le cas prefent reviendrait au même :
TrJrpir (ryrBV) /t«Àa«u/V,
E ircteio cuç uy.iBi-7ruy.
Pynd. Python. 0 de III.
II eft plus que vraiffemblable qù’EfcuIape avoit ap-
pi is la Mujique, 011 d’Apollon l'on pere,,ou du centaure
Chiron fon précepteur, tous les deux auffîcélebres
dans la Mufique que dans l ’art deguérir. Le pouvoir
delà Mufique furiescorps les plus infçnfibles, nous
eft très-bien dépeint dansl’hiftoired Orphée, chantée
par tous les Poètes, qui par le fon mélodieux
de fa voix attiroit les arbres, les rochers; bâriffoit
des villes ; pénétroit jufqu’aux enfers ,'flcchiflbit les
juges rigoureux de ce lejour ; fufpendoit les tour-
mens des malheureux ; franchiffoit les barrières de
la mort,& tranfgreffoit les arrêts irrévocables des défi
tins : ces fables, ces allégories, fruits de l’imagination
vive des poètes, font les couleurs dont ils ont
voulu peindre la vérité & nous la tranlmettre; les
interprètes y reconnoiffoient tous la force de la Mu-
Jique, & dom Calmet ne voit dans cette defeente
d’Grphée aux enfers pour en retirer fa chere Eury
w m