avance des termes fans les expliquer, ou l’on ne les
explique que dàrts la fuite. Le premier caspeche contre
la première réglé de la méthode ; le fécond eft
condamné par celle-ci* Se fervir d’un terme 6c renvoyer
Ton explication plus bas, c’eft jetter volontairement
lé leéteur dans l’embarras, & le retenir
dans l’incertitude jufqli’à ce qu’il ait trouvé l’explication
défiréë. 5°. Que les proportions qui fuivent
fe démontrent par les précédentes :: on peut raifon-
ner ici de cette façon. On vous avance des proportions
dont la preuve ne fe trouvé nulle part, & alors
votre démonftration eft un édifice en l’air ; on vous
renvoie la preuve de ces propofitions à'd’autres endroits
poftérieurs, 6c alors, vous conftrjiifez un édifice
irrégulier 6c incommode; Le véritable ordre
des propofitron's eft donc de les enchaîner, de les
faire naître l’une de l’autre ; de maniéré que celles
qui precedent fervent à l’intelligence de celles qui
fuivent : c’eft le même ordre que luit notre ame dans
le progrès de fes connoiflances. 6°. Que la Condition
fous laquelle l’attribut convient au fujet foit exactement
deterrninée : le bnt& l’occupation perpétuelle
de la Philofophie , c’eft de rendre raifon de l’exif-
tence des poftibles, d’expliquer pourquoi telle pro-
pofition doit être affirmée, telle autre doit être niée.
Or cette raifon étant contenue ou dans la définition
même du fujet, ou dans quelque condition qtii lui
eft ajoutée , c’eft au philofophe à montrer comment
l’attribut convient au fujet, ou en vertu de fa définition
, ou à caufe de quelque condition ; & dans ce
dernier cas, la condition doit être exactement déterminée.
Sans cette précaution vous demeurez en fuf-
pens, vous ne favezfi l’attribut convient au fujet en
tout tems 6c fans condition , ou fi Pexiftence de l’attribut
fuppofe quelque condition, 6c quelle elle eft.
7°. Que les probabilités ne foient données que pour
telles, & par conlèquent que les hypothefes ne prennent
point la place des thefes. Si la Philofophie étoit
réduite aux feules propofitions d’une certitude in-
conteftable , elle feroit renfermée dans des limites
trop étroites. Ainfi il eft bon qu’elle embrafle di-
verfes fuppolitions apparentes qui approchent plus
ou moins de la vérité , 6c qui tiennent fa place en
attendant qu’on la trouve : c’eft ce qu’on appelle des
hypothefes. Mais en les admettant il eft effentiel de
ne les donner que pour ce qu’elles valent, 6c de
n’en déduire jamais de conféquence pour la produire
enfuite comme une propofition certaine. Le danger
des hypothefes ne vient que de ce qu’Pn les érige en
thefes ; mais tant qu’elles ne paflent pas pour ainfi
dire, les bornes de leur état, elles font extrêmement
utiles dans la Philofophie. Vye^ cet article.
Toutes ces différentes réglés peuvent être regardées
comme comprifes dans la maxime générale,qu’il
faut conftamment faire précéder ce qui fert à l’intelligence
& à la démonftration de ce qui fuit. La méthode
dont nous venons de prefcrire les réglés, eft la
même que celle des Mathématiciens. On a femblé
croire pendant longtems que leur méthode leur appar-
tenoit tellement, qu’on ne pouvoit la tranfporter à
aucune autre fcience. M. Wolff a diffipé ce préjugé,
6c a fait voir dans la théorie, mais fur-tout dans la
pratique, 6c dans la compofition de tous fes ouvrages,
que la méthode mathématique étoit celle de
toutes les fciences, celle qui eft naturelle à l’efprit
humain , celle qui fait découvrir les vérités de tout
genre. N’y eût-il jamais eu de fciences mathématiques
, cette méthode n’en feroit pas moins réelle, 6c
applicable par-tout ailleurs. Les Mathématiciens s’en
étoient mis en poffeffion, parce qu’ayant à manier
de pures abftraâions, dont les idées peuvent toujours
être déterminées d’une maniéré exaéle 6c com-
plette, ils n’avoient rencontré aucun de cesobftacles
^ l’évidence, qui arrêtent ceux qui fe livrent à d’autres
idées. De-là un fécond préjugé , fuite du piemier;
c’eft que la certitude ne fe trouve que dans
les Mathématiques. Mais en tranfportant la m é th o d i
mathématique à la Philofophie , on trouvera que la
vérité 6c la certitude fe manifeftent également à quiconque
fait ramener tout à la forme régulière des dé-
monllrations.
MÉTHO D E , on appelle ainfi e n M a th ém a t iq u e s ,
la route que l’on fuit pour réfoudre un problème ;
mais cette expreffion s’applique plus particulière-1
ment à là route trouvée 6c expliquée par un géo-'
métré pour réfoudre plufieurs queftions du même
genre, 6c qui font renfermées comme dans line
même dalle ; plus cette clafle eft étendue, plus la
méthode a de mérite. Les mé th o d e s générales pour
réfoiidre à-la-fôis par un même moyen un grand
nombre de queftions, font infiniment préférables •-
aiix m é th o d e s bornées & particulières pour réfoudre1
dés queftions ifoléèsl Cependant il eft facile quel- "
quefois de généralifer une m é th o d e particulière, 6c '
alors le principal ; ou même le feul mérite de l’inven- '
tion, eft dans cette derniere m é th o d e . F o y e [ Formule
& D écouverte. ( O )
Méthode , ( Gramm. ) ce mot vient du grec
[xlôoé'oç, compofé de /j-tru , trans ou per y 6c du nom-
ôS'éç, via. Une méthode eft donc la maniéré d’arriver
à un but par la vote la plus convenable : appliquez ’
ce mot à l’étude des langues.; c’eft l’art d’y intro- '
duire les commençans parles moyens les plus lumi-;
neux 6c les plus expéditifs. De là. vient le nom de
méthode, donné à plufieurs des livres élémentaires!
deftinés à l’étude des langues. Tout le monde con-
noît les méthodes eftimées de P. R. pour apprendre
la langue grecque, la latine , l’italiénne, 6c l’efpa-
gnole ; & l’on, ne cônnoît que trop 1 ts méthodes de
toute efpece dont on accable fans fruit la jeunefle
qui fréquente les collèges.
Pour fe faire des idées nettes & précifes de la mè\
th o d e que les maîtres doivent employer dans l’enfei-
gnement des langues , il me femble qu’il eft eflentiel
de diftinguer i°. entre les langues vivantes & les
langues mortes ; z°. entre les langues analogues 6 c ,
les langues tranfpofitives.
I. i° . Les langues vivantescomme le françois,'"
l’italien, l’efpagnol, l’allemand, l’anglois, &c. fe :
parlent aujourd’hui chez les nations dont elles por-‘
tent le nom : & nous avons, pour les apprendre, tons
les fecours que l’on peut fouhaiter ; des maîtres habiles
qui en connoiffent le méchanifme &les finefles,
parce qu’elles en font les idiomes naturels ; des livres
écrits dans ces langues, 6c des interprètes sûrs
qui nous en diftinguent avec certitude l’excellent,
le bon, le médiocre , 6c le mauvais : ces langues
peuvent nous entrer dans la tête par les oreilles & ;
par les yeux tout-à-la-fois. Voilà le fondement de la
m é th o d e qui convient aux langues vivantes, décidé
d’une maniéré indubitable. Prenons, pour les appren- :
dre, des maîtres nationnaux : qu’ils nous inftruifent
des principes les plus généraux du méchanifme 6c
de l’analogie de leur langue ; qu’ils nous la parlent
enfuite & nous là faffent parler ; ajoutons à cela l’étude
des obfervations grammaticales, 6c la leéhire
raifonnée des meilleurs livres écrits dans, la langue
que nous étudions. La raifon de ce procédé eft fim-
ple : les langues vivantes s’apprennent pour être
parlées, puilqu’on les parle ; on n’apprend à parler
que par l’exercice fréquent de la parole ; 6c l ’on
n’apprend à le bien faire, qu’en fuivant l ’ufage, qui,
par rapport aux langues vivantes, ne peut fe con-
ftater que par deux témoignages inféparables, je
veux dire, le langage de ceux qui par leur éducation
& leur état font juftement préfumés les mieux
inftruits dans leur langue, 6c les écrits des auteurs
que l’unanimité des fuffrages delà nation cara&érife
comme les plus diftingués.
2,°. Il en eft tout autrement des langues mortes ]
comme l’hébreu, l’ancien grec, le latin. Aucune
nation ne parle aujourd’hui ces langues ; & nous
n ’avons, pour les apprendre, que les livres qui nous
en reftent. Ces livres même ne peuvent pas nous
être auffi utiles que ceux d’une langue vivante ;
parce que, nous n’avons pas , pour nous les faire
entendre, des interprètes auffi sûrs & auffi autorises
, 6c que s’ils nous laiflent des doutes, nous ne
pouvons en trouver ailleurs l’éclairciffement. Eft-il
donc raifonnable d’employer ici la même mé thode
que pour les langues vivantes ? Après l’étude des
principes généraux du méchanifme 6c de l’analogie
d’une langue morte, débuterons-nous parcompofer
en cette langue, foit de vive v o ix , foit par écrit ?
Ce procédé eft d’une abfurdité évidente : à quoi
bon parler une langue qu’on ne parle plus ? Et comment
prétend-on venir àbout de la parler feul, fans
en avoir étudié l’ufage dans fes fources, ou fans
avoir préfent un moniteur inftruit qui le connoiffe
avec certitude, & qui nous le montre en parlant le
premier? Jugez par-là ce que vous devez penfer de
la m é th o d e ordinaire , qui fait de la compofition des
thèmes fon premier, fon principal, & prefque fon
unique moyen. F o y e ^ Etude, & la M é c h . d e s la n g
u e s y liy. II. § .y . C ’eft auffi par-là que l’on peut
apprécier l’idée que l’on propofa dans le fiecle dernier,
& que M. de Maupertuis a réchauffée de nos
■ jours, de fonder une ville dont tous les habitans,
hommes 6c femmes, magiftrats & artifans ne parle-
roient que la langue latine. Qu’avons-nous affaire
de favoir parler cette langue ? Eft-ce à la parler que
doivent tendre nos études ?
Quand je m’occupe de la langue italienne, ou de
telle autre qui eft aéhiellement vivante, je dois apprendre
à la parler, puifqu’on la parle ; c’eft mon
objet : 6c fi je lis alors les lettres du cardinal d’Of-
fa t , la Jérufalem délivrée, l ’énéïde d’Annibal C aro,
ce n’eft pas pour me mettre au fait des affaires politiques
dont traite le prélat, ou des avantures qui
conftituent la fable des deux poèmes ; c’eft pour apprendre
comment fe font énoncés les auteurs de ces
ouvrages. En un mot, j’étudie l’italien pour le parler.,
& je cherche dans les livres comment on le parle.
Mais quand je m’occupe d’hébreu, de grec, de
latin, ce ne peut ni ne doit être pour parler ces langues
, puifqu’on ne les parle plus; c’eft pour étudier
dans leurs fources l’hiftoire du peuple de D ieu, l’hi-
ftoire ancienne ou la romaine, la Mythologie, les
Belles-Lettres, & c . La Littérature ancienne, ou l ’étude
de la Religion, eft mon objet : & fi je m’applique
alors à quelque langue morte, c’eft qu’elle eft
la clé néceffaire pour entrer dans les recherches qui
m’occupent. En un mot, j’étudie l’Hiftoire dans Hérodote
, la Mythologie dans Homere, la Morale dans
Platon ; 6c je cherche dans les grammaires, dans les
lexiques, l’intelligence de leur langue, pour parvenir
à celle de leurs penfées.
On doit donc étudier les langues vivantes, comme
fin, fi je puis parler ainfi ; 6c les langues mortes,
comme moyen. Ce n’eft pas au refte que je prétende
que les langues vivantes ne puilfent ou ne doivent
être regardées comme des moyens propres à acquérir
enfuite des lumières plus importantes : je m’en
fuis expliqué tout autrement a u m o t Langue; 6 c
quiconque n’a pas à voyager chez les étrangers, ne
doit les étudier que dans cette vûe. Mais je veux
dire que la confidération des fecours que nous avons
pour ces langues doit en diriger l’étude, comme fi
1 on ne fe propofoit que de les favoir parler ; parce
que cela eft poffible, que perfonne n’entend fi bien
une langue que ceux qui la favent parler, 6c qu’on
ne fauroit trop bien entendre celle dont on prétend
faire un moyen pour.d’auire? études. Au contraire
nous n’avons pas affez de fecours pour apprendre à
parler les langues mortes dans toutes les occafions ;
le langage qui réfulteroit de nos efforts pour les parler
neferviroit de rien à l’intelligence des ouvrages
que nous nous propoferions de lire, parce que nous
n’y parlerions guere que notre langue avec les mots
de la langue morte ; par conféquent nos efforts fe-
roient en pure perte pour la feule fin que l’on doit
fe propofer dans l’étude des langues anciennes.
11. De la diftinftion des langues en analogues 6c
tranfpofitives, il doit naître encore des différences
dans la méthode de les enfeigner, auffi marquées que
celle du génie de ces langues.
i° . Les langues analogues fuivent, ou exactement
ou de fort près, l’ordre analytique, qui eft, comme
je l’ai dit ailleurs, ( voye^ Inversion & Langue )
le lien naturel, & le feul lien commun de tous les
idiomes. La nature, chez tous les hommes, a donc
déjà bien avancé l’ouvrage par rapport aux langues
analogues, puifqu’il n’y a en quelque forte à apprendre
que ce que l’on appelle la Grammaire 6c le Vocabulaire
, que le tour de la phrafe ne s’écarte que peu
ou point de l’ordre analytique, que les inverfions y
font rares ou Iegeres, 6c que les ellipfes y font ou
peu fréquentes ou faciles à fuppléer. Le degré de
facilité eft bien plus grand encore, fi la langue naturelle
de celui qui commence cette étude, eft elle-
même analogue. Quelle eft donc la méthode qui convient
à ces langues ? Mettez dans la tête de vos élevés
une connoiffance fuffifante des principes grammaticaux
propres à cette langue, qui fe réduifent à-
peu-près à la diftinâion des genres 6c des nombres
pour les noms, les pronoms, 6c les adjeâifs, & à la
conjugaifon des verbes. Parlez-leur enfuite fans délai
, 6c faites-les parler, fi la langue que vous leur
enseignez eû vivante ; faites-leur traduire beaucoup,
premièrement de votre langue dans la leur, puis de
la leur dans la vôtre : c’eft le vrai moyen de leur apprendre
promptement 6c sûrement le fens propre
6c le fens figuré de vos mots, vos tropes, vos anomalies
, vos licences, vos idiotifmes de toute efpece.
Si la langue analogue que vous leur enfeignez,
eft une langue morte , comme l’hébreu , votre pro-
vifion de principes grammaticaux une fois faite, expliquez
vos auteurs, & faites-les expliquer a vec foin,
en y appliquant vos principes fréquemment & feru-
puleulement : vous n’avez que ce moyen pour arriver
, ou plutôt pour mener utilement à la connoiffance
des idiotifmes, où giflent toûjours les plus
grandes difficultés des langues. Mais renoncez à tout
defir de parler ou de faire parler hébreu ; c’ eft un
travail inutile ou même nuifible, que vous épargnerez
à votre éleve.
i° . Pour ce qui eft des langues tranfpofitives, la
méthode de les enfeigner doitdemander quelque chofe
de plus ; parce que leurs écarts de l’ordre analytique,
qui eft la réglé commune de tous les idiomes,
doivent y ajoûter quelque difficulté, pour ceux principalement
dont la langue naturelle eft analogue :
car c’eft autre chofe à l’égard de ceux dont l’idiome
maternel eft également tranfpofitif ; la difficulté qui
peut naître de ce caraâere des langues eft beaucoup
moindre, & peut-être nulle à leur égard. C ’eft pré-
cifément le cas où fe trou voient les Romains qui étu-
dioient le grec, quoique M. Pluche ait jugé qu’il n’y
a voit entre leur langue 6c celle d’Athènes aucune
affinité.
*< Il étoit cependant naturel, dit-il dans la préface
» de la Mèchanique des Langues , page vij. qu’il en
» coûtât davantage aux Romains pour apprendre le
» grec , qu’à nous pour apprendre le latin : car nos
» langues françoife, italienne, efpagnole, 6c toutes
» celles qu’on parle dans le midi de l’Europe, étant
» forties, comme elles le font pour la plupart, de l’an*.