lignification plus incertaine ; & de plus, que l’el-
prit ne peut retenir aïfément des combinaifons précités,
pour examiner les rapports & les difconve-
nances des chofes. 3°.Tintérêt humain , cette paf-
fion p trompeufe, s’oppofe à la démonftration des
vérités morales ; car il eft vraiflèmblable que fi les
hommes voiiloient s’appliquer à la recherche de
ces vérités, félon la même méthode 6c avec la même
indifférence qu’ils cherchent les vérités mathématiques
, ils les trouveroienr avec la mêmefacilire.
La. fcience des moeurs peut être acquife jufqu’à
lin certain degré d’évidence , par tous ceux qui veulent
faire ufage de leur raifon, dans quelque état
qu’ils fe trouvent. L’expérience la plus commune
de la vie, 6c un peu de réflexion fur foi-même
6c fur les objets qui nous environnent de toutes
parts, fuffifent ponr fournir aux perfonnes les
plus fimples, les idées générales de certains devoirs,
fans lefquels 'la fociété ne fauroit fe maintenir. En
effet,les gens les moins éclairés, montrent par leurs
difeours 6c par leur conduite, qu’ils ont des idées
affez droites en matière de morale, quoiqu’ils ne puif-
fent pas toujours les bien développer, ni exprimer
nettement tout ce qu’ils fentent ; mais ceux qui ont
plus de pénétration, doivent être capables d’acquérir
d’une maniéré diftïn&e, toutes les lumières dont
ils ont befoin pour fe conduire.
Il n’eft pas queftion dans la Morale de connoître
l’eflence réelle des fubftançes, il ne faut que,comparer
avec foin certaines relations que l’on conçoit entre
les a étions humaines 6c une certaine réglé. La
vérité 6c la certitude des difeours de morale, eft confédérée
indépendamment de la vie des hommes, ÔC
de l’exiftence que les vertus dont ils traitent, ont
actuellement dans le monde. Les Offices de Cicéron
ne font pas moins conformes à la vérité , quoiqu’il
n’y ait prefque,perfonne qui en pratique exactement
les maximes, 6c qui réglé la vie fur le modèle d’un
homme de bien, tel que Cicéron nous l’a dépeint
dans cet ouvrage. S’il eft vrai dans la fpéculation,
q.iele meurtre mérite la mort, il le'fera pareillement
à l’égard de toute aétion réelle, conforme à
cette idée de meurtre.
Les difficultés qui embarraffent quelquefois en matière
de morale, ne viennent pas tànt de 1’obfcurité
qu’on trouve dans les preçeptes; que dans certaines
circonftanoes particulières , qui en rendent l’application
difficile ; mais ces circonftances particulières
ne prouvent pas plus l’incertitude du précèpte, que
la peine qu’on a d’appliquer une démonftration de
mathématique , n’en diminue l’infaillibilité. D’ailleurs,
ces difficultés ne regardent pas les principes
généraux, ni les maximes qui en découlent immédiatement
ou médiatement, mais feulement quelques
conféquences éloignées. Pour peu qu’on faffe
ufage de fôn bon fens, on ne doutera pas le moins
du monde de la certitude des réglés fuivantes : qu'il
faut obéir aux lois.de la Divinité, autant qu’elles
nous font connuesqu’il n’eft pas permis de faire du
mal à autrui : que li l’on a caufé du dommage , on
doit le réparer c qu’il eft ,jufte d’obéir aux lois d’un
fouverain .légitime, tant qu’il ne prefçrit rien de
cont/aire aux maximes invariables du Droit naturel,
ou à quelque-loi divine clairement révélée,&c.
Ces vérités , 6c pkifieurà autres femblables, font
d’une téll.e e.videpce., qu’pn ne fauroit y rien oppo-
ferde plàùïibïè.
Si la fcience des. moeurs, s’eft trouvée de tout tems
extrêmement négligée ij n’eft pas difficile d’en découvrir
les caufès. II ^ft.ce(rtain.que les divers be-
foins de la vie, vrais p,uimaginaires, les faux intérêts
, les impreffiqns,de l’exemple Si: des coutumes,
Je torrent de la mode & des opinions, reçues , les
préjugés de l’enfance, les paffions fürrout, détournent
ordinairement les efprits d’une étude fériëiife
de la Morale. La Philofophie, dit agréablement l’auteur
moderne des Dialogues des morts, -ne regarde
que les hommes, 6c nullement le refte de l’univers;
L’aftronome penfe aux affres, le phyficiên à la nature’,
6c les Philofophes à eux ; mais parce que cette
philofophie les incommoderoit, fi elle fe mêloit
de leurs affaires, & fi elle prétendoit regler leurs
paffions, ils l’envoient dans le ciel arranger les pla-
net'es , 6c en mefurer les mouvemens ; ou bien ils
la promènent fur la terre , pour lui faire examiner
tout ce qu’ils y voient : enfin ils l’occupent toujours
le plus loin d’eux qu’il leur eft poffible.
Il eft pourtant certain, malgré cette plaifanterie
deM. de Fontenelle, que dans tous les tems, ce
font les laïques philofophes qui ont fait le meilleur
accueil à la Morale ; & c ’eft une vérité qu’on peut
établir par tous les écrits des Sages de la Grece 6c
de Rome. Socrate, le.plus honnête homme de l’antiquité,
fit une étude particulière de la Morale, 6c
la traita avec autant de grandeur, que d’exà&itude ;
tout ce qu’il dit de la Providence en particulier , eft
digne des lumières de l ’Evangile. La Morale eft auftî
partout répandue dans les ou vrages de Platon. Arif*
tote en fit un fyftème méthodique, d’après les mêmes
principes 6c la même économie de Ion maître.
La morale d’Epicure n’eft pas moins belle, que droite
dans fes fondemens. Je conviens que fa doélrine
fur le bonheur, ponvoit être mal interprétée, 6t
qu’il en réfulta de fâcheux effets, qui décrièrent fa
leéle : mais au fond cette dodlrine étoit allez raifon-
nable ; 6c l’on ne fauroit nier, qu’en prenant le mot
de bonheur, dans le fens que lui donnoit Epicure ,
la félicité de l’homme ne confifte dans le fentiment
du plaifir, ou en général dans le contentement de
ï ’ëfprir.
Cependant Zéiiçn contemporain d’Epicure, fe
frayôït une route encore plus glorieufè -, en fondant
la fe£le des Stoïciens. En effet il n’y a point eû
de Philofophes qui aient parlé plus fortement de là
fatale nëcelfité des chofes, ni plus magnifiquement
de ia liberté de l’homme , qiie l ’ont fait les Stoïciens.
Rien n’eft plus beau que \eut *nioraie ,
confideréè en elle-même; 6c à quelques-unes cfe
leurs maximes près, rien n’eft plus conforme aux
lumières de la droite raifon. Leur grand principe,
c’eft qu’il faut vivre conformément à la conftitit-
tion de la nature humaine, 6c que le fouverain bieft
de l’homme confifte dans la vertu ; c ’eft-à-dire darfs
les lumières de la droite raifon , qui nous font conft-
dérer ce qui convient véritablement à notre état.
Ils regardoient le monde comme un royaume dotit
Dieu eft le prince, & comme un tout, à l’utilité duquel
chaque perfonne qui en fait partie , doit concourir
6c rapporter toutes fes aftions, fans pîé'férër
jamais fon avantage particulier à l’intérêt commun.
Us croyoîent qu’ils étaient nés, non chacun poirr
fo i, mais pour la fociété humaine ; c’était là le ca;-
raftere diftin&if de leur feéle, & l’idée qli’ils don-
noient de la nature du jufte 6c de Thorinête. Il n’y
a point de Philofophes qui aient fi bien reconnu, &
fi fort recommandé lés devoirs ihdifpenfables oti
font tous les hommes les uns envers lôs autres, pré-
cifçment en-tant qu’hommes. Selon eux, on eft îî'é
’pour procurer du bien à tous les hiûriâins ; exercer
la bénéficence envers tons ; fe contenter d’avôjr
fait une bonne aâïôn, 6c l’oublier même en quef-
que manière, aii-lieu de s’en propofer quelque ré-
compenfe ; paffer d’une bonne adtion à une bonHè
adion ; fe croire fuffifatnment payé, en ce que l’on
à eu occafion de rëndre fervice aux autres, & rije
chercher par conféquent hors dé foi, ni le profit ni
la louange. A l’égard He nous-mêmes,, il faut, di-
fent les Stoïciens, n’avoir rien tant à coeur que la
tyerlu ; nefe làifler jamais détourner dé fon devoir,
mi par le 4efir de la v ie, ni par la crainte des tour-
mens,ni par celle de la mort ; moins encore de quelque
dommage , ou de quelque perte que ce foit. Je
ne dois pas entrer ici dans de plus grands détails ;
imais un Lavant anglois , Thomas Gataker, dans la
préface de fôn vafte & inftruétif Commentaire fur
-Marc Antonin , nous a donné' un abrégé des plus
beau préceptes de la morale des Stoïciens, tiré du
livre même de cet empereur, & de ceux d’Epittete
& de Séneque, trois philofophes de cette fe&e efti-
«nable, & qui font les feuls avec Plutarque, dont il :
nous refte quelques écrits.
Depuis Epicure & Zénon , on ne vit plus de
beaux génies tenter de nouvelles routes dans la
fcience d e là Morale: chacun fuivit la fefte qu’il j
trouva la plus à fon goût. Les Romains, qui reçu- j
rent des Grecs lés arts & les fciéncés, s’en tinrent. '
aux fyftèmes de leurs maîtres. Du tems d’Augufte, :
un philofophe d’Alexandrie nommé Potamon , in- :
troduiïit une manière de philofophér que l’on ap-
pella éclectique, parce qu’elle confilloit à choifir de !
tous les dogmes des Philofophes, ceux qui paroif-
foient les plus raifonnables. Cicéron fuit à-peu-près !
cette méthode dans fon livre des Offices, où il eft
tantôt ftoïcien, tantôt péripatéticien. Cet excellent
livre que tout le monde cônnoît, eft fans contredit
le meilleur traité de Morale, le plus régulier, le
.plus méthodique & le plus exaâque nous ayons. Il
n’y a -guère de moins bonnes chofes dans celui des
Lo is , tout imparfait qu’il eft ; mais c’eft grand dommage
qu’on ait perdu fon Traité de la république,
dont le peu defragmens qui nous reftent donnent la
“plus haute idée.
Pour ce qui regarde la. Morale de Séneque & de
Plutarque, je ferois affez du fentiment de Montagne
, dans le jugement qu’il en porte. Ces deux auteurs,
dit-il, le rencontrent dans la plupart des opinions
utiles & vraies ; comme aufli leur fortune les
fit naître à-peu-près dans le même fiecle ; tous deux
'’venus de pays étranger; tous deux riches & pnif-
fans. Leur inftruftion eft de la crème philofopkique :
Plutarque eft plus uniforme & confiant : Séneque
plus ondoyant & divers : celui-ci fe roidit& fe tend
pour armer la vertu contre la foibleffe, la crainte
6c les vicieux appétits : l’autre femble n’eftimer pas
tant leur effort, & dédaigner d’en hâter fon pas,
6c de fe mettre fur fa garde : il paroît dans Séneque
'qu’ilprêté un peu à la tyrannie des empereurs de Ion
tems: -Plutarque eft libre par-tout: Séneque eft
plein de pointes 6c de faillies : Plutarque de chofes :
celui-là vous échauffe plus & vous émeut : celui-ci
vous contente davantage 6c vous paye mieux, il
nous guide; l’aurre nous pouffe: tantôt dans Plutarque
, les difeours font étendus ; & tantôt il ne les
touche que Amplement, montrant feulement du
doigt par où nous irons s’il nous plaît, 6c fe con-
• tentant de ne donner qu’une atteinte dans le plus
v if d’ùn repos. Il les fàut arracher de-là, & les mettre
en place marchande.
J’ajoute que les fujets des morales de Plutarque,font
en général traités fuperficiellement;& que les ouvrages
de Séneque,le meilleur mêmejcelui des Bienfaits,
n’a point d’ordre. Epiûete eft plus fimple & plus
pur ; mais il manque de vûes 6c d’élévation. Marc
Antônin montre un efprit plus Vafte & plus grand
que fon empire. Il ne s’eft pas contenté d’expliquer
folidement les préceptes de fes maîtres , il les a lou-
vent corrigés, 6c leur a donné une nouvelle force,
par la maniéré ingénieufe & naturelle dont il les a
propofes, ou par les nouvelles découvertes qu’il y a
jointes*
P* Les Platoniciens qui fe rendirent célébrés dans le
•- iij- & iv. fiéclè, un Plotin , unAmélius, un Porphyte,
uh Jamblique, un Proçlus, £•£. s'attachèrent
beaucoup plus à expliquer les fpéculations, ou plû-
tôt les rêveries du fondateur de leur fcéle, qu’à cultiver
fa morale. Un très petit nombre de doéteurs de
l’Eglife chrétienne ne furent guere plus heureux, en
s’entêtant d’idées chimériques , d’allégories, de disputes
frivoles , & en s’abandonnant aux fougues de
leur imagination échauffée, llferoit fuperflu de parcourir
les fiecles fuivans, où l’ignorance & la c o p *
ruption ne laifferent prefque plus qu’une étincelle
de bon fens & de morale.
Cependant Ariftote abandonné , reparut dans le
vj. fiecle. Boëce en traduifant quelques ouvrages du
philofophe de Stagyre, jetta les fondemens de cette
autorité defpotique, que la philofophie péripatéticienne
vint à acquérir dans la fuite des tems. Les
Arabes s’en entêtèrent dans le xj- fiecle , & l’intro-
duifirent en Efpagne, où elle fubfifte toûjours : delà
naquit la philolbphie fcholaftique, qui fe répandit
dans toute f’Europe ; & dont la barbarie porta
encore plus de préjudice à la religion & à la Moralet
qu’aux fciences fpéculatives.
La morale des icholaftiques eft un ouvrage de pièces
rapportées , un corps confus, fans réglé 6c fans
principe , tm mélange des penfées d’Ariftote, du
droit civil, du droit canon , des maximes de l’Ecri-
ture-fainte & des 'Peres. Le bon & le mauvais fe trouvent
mêlés enfemble ;mais demanierequ’ily a beaucoup
plus de mauvais que de bon. Les cafuiftes des
derniers fiecles n’ont fait qu’enchérir en vaines fub-
tilirés , & qui pis eft en erreurs monftrueofes. Paf-
fons tous ces malheureux tems, 6c venons enfin à
celui où la fcience des moeurs eft , pour ainfi dire ,
reflufeitée.
Le fameux chancelier Bacon, qui finit fa carriers
au commencement du xvij. fiecle, eft un de ces
grands génies à qui la poftériré fera éternellement
redevable des belles vues qu’il a fournies pour le ré-
-tabliffement des fciences. Ge fut la ledlure des ouvrages
de ce grand homme , qui infpira à Hugues
Grotius la penfée d’ofer le premier former un fyftème
de morale, 6c de droit naturel. Perfonne n’étoit
plus propre que Grotius à tenter cette entreprife.
Un amour fincere de la vérité , une netteté d’efprit
admirable , un difeernemerit exquis , une profonde
méditation , une érudition univerfelle , une le&ure
prodigieufe, une application continuelle à l’étude ,
au milieu d’un grand nombre de traverfes , 6c des
fondions -pénibles deplufieurs emplois confidérables,
font les qualités qu’on ne fauroit fans ignorance 6C
•fa'ns injultice refiiferà ce grand homme. Si la philo-
fophiedé fon fiecle étoit encore pleine de ténèbres,
il a prefque fuppléé à ce défaut par la force de fon
bon fens 6c de Ion jugement. Son ouvrage , aujourd’hui
fi connu, parut à Paris pour la première fois en §§§ I . |H
Quoique Selden ait prodigué la plus vafte érudition
dans fon fyftème des lois des Hébreux fur la
morale 6c -le droit naturel , il s’en faut bien qu’il ait
effacé , ni même égalé Grotius. Outre le défordre
& l’obfcurité qui régnent dans la maniéré d’écrire de
ce favant anglois , fes principes ne font point tirés
des lumières de la raifon , mais des fept préceptes
donnés à Noé, qui ne foiltfondés que fur une tradition
douteufe, ou fur les décifions des rabbins. x
Peu de tems avant la mort de Grotius, parut fur la
fcène le fameux Thomas Hobbes. Si ce beau génie
eût philofophé fans prévention , il auroit rendu des
férvices co'nfidérables à la recherche de la vérité ;
mais il pdfe pour principe des fociétés , la conferva-
tiori de foi-même & l’utilité particulière : mais il établit
fur cette fuppofition, que l’état de nature eft un
état de guerre de chacun contre tous ; mais il donne
aux rois une autorité farts bornes, prétendant que la