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eft aifé de juger que les principes de l’art & l’exi-
cence des cas déterminoient beaucoup moins que
des lois écrites. De-là nous pouvons conclure que
ieur théorie étoit fixée, que leur profeffion depian-
doit plus de mémoire que de jugement, & que le
médecin tranfgreffoit rarement avec impunité les récits
prefcrites par le code facre.
Quant à leur pathologie, ils rapportèrent d abord
les caufes des maladies à des démons , dilpenlateurs
des biens 8c des maux ; mais dans la fuite ils le guérirent
de cette fuperftition, par les occaiions frequentes
qu’eurent les embaumeurs de voir & d examiner
les vifceres humains. Car les trouvant fou vent
corrompus de diverles façons , ils c o n ju rè ren t
que les fubftances qui fervent à la nourriture du
corps font elles-mêmes la fource de ces infirmités.
Cette découverte 8c la crainte quelle infpira, donnèrent
lieu aux régimes, à l’ufagedes clyItérés, des
boiffons purgatives, de l’abflinence d ahmens, oc
des vomitifs : toutes chofes qu’ils pratiquoient dans
le deffein d’écarter les maladies, en éloignant leurs
Les ufages variant félon l’interet ^ des peuples 8c
la diverfité des contrées, les Egyptiens , fans etre
privés de la chair des animaux, en ufoient plus io-
brement que les autres nations. L’eau du Nil , dont
Plutarque nous apprend qu’ils faifoient grand cas ,
& qui les rendoit vigoureux, étoit leur boiffon ordinaire.
_ , , . »
Hérodote ajoute que leur fol etoit peu propre à
la culture des vignes ; d’où nous pouvons inferer
qu’ils tiroient d’ailleurs les vins qu’on fervoit aux tables
des prêtres & des rois. Le régime prefcnt aux
monarques égyptiens, peut nous donner une haute
idée de la tempérance de ces peuples. Leur nourri-
ture étoit fimple, dit Diodore de Sicile , & ils bu-
voient peu de v in , évitant avec foin la repletion &
l’ivrefTe ; en forte que les lois qui régloient la table
des princes, étoient plutôt les ordonnances d’un face
médecin , que les inftitutions d’un législateur. On
accoutumoit à cette frugalité les enfans dès leur plus
fendre jeuneffe. , , , /
Au refie , ils étoient très-attaches à la propreté ,
en cela fidèles imitateurs de leurs prêtres qui, félon
Hérodote, ne paffoient pas plus de trois jours fans fe
rafer le corps, & qui, pour prévenir la vermine 8c
les effets des corpul'cules empeflés, qui pourvoient
s’exhaler des malades qu’ils approchoient, étoient
vêtus dans les fondions de leur miniftere d’une toile
fine 8c blanche. Nous lifons encore dans le même
auteur, que c’étoit la coutume univerfelle chez les
Egyptiens d’être prefque nuds ou légèrement couverts
, denelaiffer croître leurs cheveux que lorf-
qu’ils étoient en pèlerinage, qu’ils en avoient fait
voe u , ou que quelques calamités défoloient le
pays. . . .
Cent ans après Moife, qui vivoit 1530 ans avant
la naiffance de Jefus-Chrift, Mélampe, fils d’Amy-
thaon & d’Aglaïde , paffa d’Argos en Egypte, où il
s’inflruifit dans les fciencesqu’on y cultivoit, & d ’où
il rapporta dans la Grece ce qu’il ayoit appris de la
théologie des Egyptiens 8c de leur médecine, par rapport
à laquelle il y a trois faits à remarquer. Le premier
, c’eft qu’il guérit de la folie les filles de Præ-
tus , roi d’Argos , en les purgeant avec l’ellébore
blanc ou noir, dont il avoit découvert la vertu cathartique
, par l’effet qu’il produifoit fur fes chevres
après qu’elles en avoient brouté. Le fécond, c’eft
qu’après leur avoir fait prendre l’ellébore, il les baigna
dans une fontaine chaude. Voilà les premiers
bains pris en remedes, 8c les premières purgations
dont il foitfait mention. Le troifieme fait concerne
l’argonaute Iphiclus, fils de Philacus. Ce jeune homme
, chagrin de n’avoir pas d’enfans, s’adreffa à Mé-
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lampe, qui lui ordonna de prendre pendant dix jours
de la rouille de fer dans du v in , & ce remede produisit
tout l’effet qu’on en attendoit : ces trois faits
nous fuggerent deux réflexions.
La première, que la Médecine n’étoit pas alors
aufli imparfaite qu’on le penfe communément; car ,
fi nous confidérons les propriétés de l’ellébore , 8c
fur-tout de l’ellébore noir dans les maladies particulières
aux femmes, 8c l’efficacité des bains chauds à
la fuite de ce purgatif, nous conviendrons que les
remedes étoient bien fagement preferits dans le cas
des filles de Prætus. D ’ailleurs, en fuppofant, comme
il eft vraiffemblable , que l’impuiffance d’Iphi-
clus provenoit d’un relâchement des folides 8c d’une
circulation languiffante des fluides, je crois que
pour corriger ces défauts en rendant aux parties leur
élaflicité, des préparations faites avec le fer étoient
tout ce qu’avec les connoiffances modernes on au-
roit pu ordonner de mieux. z°. Quant aux incantations
8c aux charmes dont on aCcufe Mélampe de
s’être fe rvi, il faut obferver que ce manege eft aufli
ancien que la Médecine , 8c doit vraiffemblablement
fa naiffance à la vanité de ceux qui l’exerçoient, 8c
à l’ignorance des peuples à qui ils avoient affaire.
Ceux-ci fe iaiffoient perfuader par cet aftifice, que
les Médecins étoient des hommes protégés 8c favori-
fés du ciel. Que s’enfuivoit-il de ce préjugé ? c’eft
qu’ils marquoient en tout tems une extrême vénération
pour leurs perfonnes, 8c que dans la maladie
ils avoient pour leurs ordonnances toute la docilité
poffible. L’on commençoit l’incantation : le malade
prenoit les potions qu’on lui preferivoit comme des
chofes effentielles à la cérémonie : il guériffoit, 8c
ne manquoit pas d’attribuer au charme l’efficacité
des remedes.
L’hiftôire nous apprend que Théodamas, fils de
Mélampe, hérita des connoiffances de fon pere, &
que Polyidus , petit-fils de Mélampe, fuccéda à
Théodamas dans la fonâion de médecin : mais elle
ne nous dit rien de leur pratique.
Après Théodamas & Polyidus, le centaure Chiron
exerça chez les Grecs la Médecine & la Chirurgie
; ces deux profeffions ayant été long-tems réunies.
Ses talens fupérieurs dans la médecine de l’homme
8c des beftiaux, donnèrent peut-être lieu aux
poètes de feindre qu’il étoit moitié homme 8c moitié
animal. Il parvint à une extrême vieilleffe, 8c quelques
citoyens puiffans de la Grece lui confièrent l’éducation
de leurs enfans. Jafon le chef des Argonautes,
ce héros de tant de poèmes 8c lefùjet de tant de
fables fut élevé par Chiron. Hercule non moins
célébré fut encore de fes élevés. Un troifieme difei-
ple fut Ariftée, qui paroît avoir allez bien connu les
productions de la nature, & les avoir appliquées à
de nouveaux ufages : il paffe pour avoir inventé l’art
d’extraire l’huile des olives, de tourner le lait en fromage,
8c de recueillir le miel. M. le Clerc lui attribue
de plus la découverte du lafer 8c de fes propriétés.
Mais de tous les éleves de Chiron, aucun ne fut
plus profondément inftruit de la fcience médicinale ,
que le grec Efculape qui fut mis au nombre des dieux,
& qui fut trouvé digne d’accompagner dans la péril—
leufe entreprife des Argonautes, cette troupe de hé-
; ros à qui l’on a donné ce nom- Vrye^fon article au mot
i Médecin.
Les Grecs s’emparèrent de Troie 70 ans après
l’expédition des Argonautes, 1194 avant la naiffance
de Jefus-Chrift, 8c la fin de cette guerre eft devenue
une époque fameufe dans l’hiftoire. Achille qui
s’eft tant illuftré à ce fiege par fa colere 8c fes exploits
, élevé par Chiron , 8c conféquemment inftruit
dans la Médecine, inventa lui-même quelques
remedes. Son ami Patrocle n’étoit pas fans doute
ignorant dans çet art ; puifqu’il panfa la bleffure d’Eq*
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ripile : niais on conçoit bien que Podalife & Machaon
, fils d’Efculape , furpafferent dans cette
fcience tous les Grecs qui affifterent au fiege de
Troie. Quoiqu’Homere ne les emploie jamais qu’à
des opérations chirurgicales, on peut conjeâurer
que nés d’un pere tel qu’Efculape , 8c médecins de
profeffion ,• ils n’ignoroient rien de ce qu’on favoit
alors en Médecine.
Après la mort de Podalire , la Médecine 8c la Chirurgie
cultivées fans interruption dans fa famille,
firent de fi grands progrès fous quelques-uns de fes
defeendans , qu’Hippocrate le dix-feptieme en ligne
direéte, fut en état de pouffer ces deux Sciences à un
point de perfeftion furprenant.
Depuis la prife de Troie jufqu’au tems d’Hippocrate
, l’antiquité nous offre peu de faits authentiques
8c relatifs à l’hiftoire de la Médecine : cependant, dans
ce long intervalle de tems, les defeendans d’Efculape
continuèrent fans doute leur attachement à l’étude
de cette fcience.
Pythagore qui v iv o it , à ce qu’on cfoit, dans la
foixantieme olympiade, c’eft-à-aire ,5 10 ans ou environ
avant la naiffance de Jefus-Chrift, après avoir
épuifé les connoiffances des prêtres égyptiens, alla
chercher la fcience jufqu’aux Indes : il revint enfuite
à Samos qui paffe pour fa patrie ; mais la trouvant
fous la domination d’un tyran, il fe retira à Cro-
tone, où il fonda la plus célébré des écoles de l’antiquité.
Celfe affure que ce philofophe hâta les progrès
de la Médecine ; mais, quoi qu’en dife Celfe, il
paroît qu’il s’occupa beaucoup plus des moyens de
conferver la fanté que de la rétablir, 8c de prévenir
les maladies par le régime que de les guérir par les
remedes. Il apprit fans doute la Médecine en Egypte,
mais il eut la foibleffe de donner dans les fuperfti-
tions qui jufqu’alors avoient infeâé cette fcience ;
car cet efprit domine dans quelques fragmens qui
nous relient de lui.
Empédocle , fon difciple, mérite plus d’éloges.
On dit qu’il découvrit que la pelle 8c la famine, deux
fléaux qui ravageoient fréquemment la Sicile, y
étoient l’effet d’un vent du midi, qui, foufflant continuellement
par les ouvertures de certaines montagnes
, infeéloit l’air & féchoit la terre ; il confeillade
fermer ces gorges, & les calamités difparurent. On
trouve dans un ouvrage de Plutarque , qu’Empédo-
cle connoiffoit la membrane qui tapiffe la coquille
du limaçon dans l’organe de l’ouie, 8c qu’il la regar-
doit comme le point de réunion des Ions 8c l’organe
immédiat de l’ouie. Nous n’avons aucune raifon de
croire que cette belle découverte anatomique ait été
faite avant lui. Quant à fa phyfiologie, elle n’étoit
peut-être guere mieux raifonnée que celle de fon
maître ; cependant, par une conjeâure aufli jufte
que délicate, il affura que les graines dans la plante
etoient analogues aux oeufs dans l’animal, ce qui fe
trouve confirmé par les expériences des modernes.
Acron étoit compatriote & contemporain d’Empé-
docle : j’en parlerai au mot Médecine. .
Alcméon, autre difciple de Pythagore , fe livra
tout entiér à la Médecine, 8c cultiva fi ioigneufement
l’anatomie, qu’on l’a'foupçonné de connoître la communication
de la bouche avec les oreilles , fur ce
qu’il affura que le chevres refpiroient en partie par
çet organe.
Après avoir expofé les premiers progrès de la Médecine
en Egypte 8c dans la G rece, nous jetterons un
coup d’oeil lur l’état de cette fcience chez quelques
autres peuples de l’antiquité, avant que depafferau
fiecle d’Hippocrate, qui doit attirer tous nos regards.
Les anciens Hébreux, ftupides, fuperftitieux, fé-
parés des autres peuples , ignorans dans l’étude de
la phyfique , incapables de recourir aux caufes naturelles
, attribuoient toutes leurs maladies aux mau-
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Vais éfpritâ, êXécuteüri de la veiigéâttcë Êelefte î delà
vient que le roi Afa eft blâmé d’aVoir mis fa côà-
fianCe aux médecins, dans les douleurs de la goutte
aux piés dont il étoit attaqué. La lepre même , lï
commune chez ce peuple, pafloit poiir être envoyée
du ciel ; c’étoient les prêtres qui jügeoierit de la nature
du mal, 8c qui renfermoient le patient lorfqu’ils
cfpéroient le pouvoir guérit;
Les maladies des Egyptiens , dont Dieii promet
de garantir fon peuple,font, ou les plaies dont il frappa
l’Egypte avant la fortie des Ifraélites de cette
contrée, ou les maladies endémiques du lieu ; comme
l’aveuglement, lès ulcérés aux jambes, là phthi-
fie , l’éléphantiàfis , 8c autres femblables qui y régnent
encore.
On ne voit pas quelles Hébreux ayent eu dès médecins
pour les maladies internes, mais feulement
pour les plaies, les tumeurs, les fraftutes, les meut-
triflùres, auxquelles on appliquoit certains médica*
mens , comme la réfine de Galaad, le baume de Judée
, la graine & les huiles ; en un mot, l’ignorance
où ils étoient dé la Médtcitie , faifoit qu’ils s’adref-
foient aux devins, aux magiciens, aux enchanteurs,
ou finalement aux prophètes. Lors même que notre
Seigneur vint dans la Paleftine, il paroît que les Juifs
n’étoient pas plus éclairés qu’autrefois ; car dans l’Evangile
, ils attribuent aux démons la caufe de la
plupart des maladies. On y l i t , par exemple , Luc ,
xiij. v. 16'. que le démon a lié une femme qui étoit
courbée depuis dix-huit ans.
Les gymnofophiftes, dont parle Strabon, fe mê-
loient beaucoup de tnédccitic en orient, 8c fe van*
toient de procurer par leurs remedes la naiffance à
des enfans, d’en déterminer le fexe , & de les don*
ner aux parens, mâles ou femelles à leur choix.
Chez les Gaulois , les druides , revêtus tout en-
femble du facerdoce , de là juftice 8c de l’exercice
de la Médecine, n’étoient ni moins trompeurs , ni
plus éclairés que les gymnofophiftes. Pline dit qu’ils
regardoiént le gui de chêne comme un remede fou-
verain pour la ftérilité , qu’ils l’employoient contre
toutes fortes de poifons , & qu’ils en confacroient la
récolte par quantité de ceremonies fupeftitieufes.
Entre les peuples orientaux qui fe difputent l’antiquité
de la Médecine , les Chinois , les Japonois
8c les habitans de Malabar, paroiffent les mieux fondés.
Les Chinois ^Turent que leurs rois avoient inventé
cette fcience long-tems avant le déluge ; mais
quelle que foit la dignité de ceux qui l’exercerent les
premiers dans ce pays-là , nous ne devons pas avoir
une opinion fort avantageufe de l’habileté de leurs
fucceffeurs : ils n’ont d’autre connoiffance des maladies
que par des obfervations minutieufes fur le
pouls, 8c recourent pour la guérifon à un ancien li*
vre , qu’on pourroit appeller le code de la médecine
chinoife , 8c qui preferit les remedes de chaque mal.
Ces peuples n’ont point de chimie ; ils font dans une
profonde ignorance de l’anatomie, 8c ne faignent
prefque jamais. Ils ont imaginé une efpece de circu*
lation des fluides dans le corps humain, d’après uà
autre mouvement périodique des cieux, qu’ilsdifent
s’achever cinquante fois dans l’efpace de 24 heures*
C ’eft fur cette théorie ridicule que des européens ont
écrit, que les Chinois avoient connu la circulation
du fang long-tems avant nous. Leur pathologie eft
aufli pompeufe que peu fenfée : c’eft cependant par
elle qu’ils déterminent les ca« de l’opération de l’aiguille
, & de l’ufage du moxa ou coton brûlant. Ces
deux pratiques leur font communes avec les Japonois
, 8c ne different chez ces deux peuples, qu’en
quelques circonftances légères dans la maniéré d’opérer.
En un mot, leur théorie & leur pratique, toute
ancienne qu’on la fuppofe, n en eft pas pour celft
plus philofophiqueni moins imparfaite.