gardé de la tête aux pieds, me répondit qu’il n’y avait pas de
chambre ; j ’insistai : il prit alors un air de dignité vraiment théâtral,
et me dit fièrement qu’il ne voulait pas loger aujourd’hui.
C’était positif; et il fallut se décider à chercher un gîte ailleurs :
même compliment m’attendait, et on eût dit que tous ces gens
s’étaient donné le mot pour me faire regretter le pauvre Juif du
faubourg.
Cette fois, ne trouvant plus, la chose aussi plaisante, je pris à
mon tour un air important; je m’installai, en dépit de tout, dans
la maison, et j’envoyai mon domestique chercher le juge. Cependant,
dans l’intervalle, je parvins à adoucir la bourgeoise
en lui montrant mon jabot, et surtout mon porte-feuille, qui
devint le garant de mon mérite. On me donna une chambre,
dans laquelle on apporta un matelas bien sec, et un énorme
coussin, qui devait me servir de couverture ; point de draps !
nouvelle scène quand j’en demandai ; rumeur complète quand
j’annonçai qu’il me fallait un poulet pour souper : ce fut un tapage
qui ne finit que quand le juge, après avoir vu les gros cachets
de mon passe-port et de mon assignation de relais {J^ors-
p a n , lisez,forchep a n ), me tira humblement son chapeau; il
me donna alors tous les titres qu’il put imaginer , et gronda
très-sérieusement mon .hôtesse, q u i, dès ce moment, devint
d’une politesse achevée.
En général, on est toujours assez mal regardé dans toute la
Hongrie, lorsqu’on arrive à pied ; la raison en est simple, tous
les seigneurs, tous les employés quelconques, toutes les personnes
munies d’assignations de relais, ont le droit, moyennant
une très-faible rétribution-, de se faire conduire par les paysans,
qui sont obligés de fournir une voiture et des chevaux. 11 en résulte
que jamais une personne, capable de manger un poulet»
ne s’avise d’aller à pied ; les paysans seuls conservent cette habitude;
et, accoutumés de bonne heure à une vie dure, ils ne
s ’informent pas même, en arrivant dans l’auberge, s’il y a une
salle ou une écurie où ils puissent se mettre à l’abri : s’ils ne
trouvent pas quelque coin, en cherchant au rez-de-chaussée|
ils se couchent tout simplement sous la porte ou au milieu de
la cour, enveloppés dans leur blinda * ; ils paraissent même
préférer cette habitation à toute autre. Mais, si l’on est en général
mal vu lorsqu’on arrive à pied, on reçoit l’accueil le plus
gracieux lorsqu’on arrive en voiture, ou même dans une charrette
de foin, équipage assez ordinaire en Hongrie, et que les
plus grands seigneurs ne dédaignent pas.
La ville de Nyitra, après l’accueil que j’avais reçu, me parut
fort triste ; tout m’y déplut ; cependant elle n’est pas absolument
laide : il y a de belles maisons , et. elle se trouve dans une
fort jolie situation, sur le penchant d’une colline. Le calcaire
gris s’y rencontre dans les parties basses; mais la montagne qui
la domine au nord est formée de micaschiste : tous les environs
sont d’ailleurs couverts de sables et de cailloux roulés de granité,
de gneiss, de micaschiste, etc.
En sortant de Nyitra, je me dirigeai sur- Gimés, où je voulais
faire quelques exclusions dans la montagne. Arrivé au village,
je ne trouvai qu’un Juif qui ne put m’offrir qu’une petite chambre
fort sale. Mais, ayant aperçu une maison propre, je me hasardai,
en me rappelant ce que m’avait dit le magistrat de Près-
* C’est ainsi qu’ils nomment une grande pelisse faite de peau de mouton
qui, hiver comme été, est leur unique habillement. Si le temps est froid, ils
tournent la laine en dedans, et font le contraire dans les temps chauds.
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Gimésf
Hospitalité
hongraise*
T . 3W