ment, pour la confirmation duquel on le prête. La
première 6c la principale raifon , pourquoi celui qui
manque à la parole donnée avec ferment, mérite d’être
puni, c’eft parce qu’il a violé fes engagemens ; le
parjure le rend feulement plus Coupable, 6c digne
.d’une plusrigoureufe punition. Quoiqu’il peche alors,
& contre cette loi naturelle qui ordonné de tenir ce
que l’on a promis, 6c contre celle qui défend d’invoquer
le nom de Dieu témérairement, cela ne change
point la nature des obligations qui naiflênt de là , en
tant que jointes enfemble, de telle maniéré que la
violation de ce qui fe rapporte à Dieu , fuppofe ici
néceffairement une infraction de l’autre qui regarde
les hommes, auxquels on s’engage en prenant Dieu
.à témoin. On ne le prend à témoin, que pour confirmer
l’engagement oh l’on entre envers ceux à qui
l’on jure ; 6c fi l’on a lieu de croire qu’il veut bien fe
rendre garant de l’engagement 6c vengeur de fon infraction
, c’eft uniquement, parce que l’engagement
n’a rien en lui-même qui le rende ou illicite, ou invalide.
Traité des lois naturelles. ,( D . J. )
Serment , f. m. ( Littérat.) atteftation religieufe
de la vérité , de quelque affirmation , engagement,
promeffe, &c. Mais nous ne voulons pas ici confidé-
rer le ferment en théologien, en jurifconfulte, ni en
moralifte ; nous en voulons parler en fimple littérateur
, 6c d’une façon très-concife. On trouvera dans
les mém. des infe. des détails étendus fur le même fu-
je t, & dans le même plan , car cette matière envi-
fagée de cette maniéré, préfente quantité de chofes
agréables, curieufes 6c folides ; c’eft l’hiftoire de
tous les peuples.
L’ufage des fermens fut ignoré des premiers hommes.
La bonne-foi regnoit parmi eux, & ils étoient
fideles à exécuter leurs engagemens. Ils vivoient enfemble
fans foupçon, fans défiance. Ils fe croyoient
réciproquement fur leur parole, 6c ne favoient ce
que c’étoit, ni que de faire des fermens, ni de les vior
1er. Dans ces premiers jours du monde naiffant, dit
Juvenal, les Grecs n’etoient pas toujours prêts à
jurer, 6c fi nous en croyons M. Defpréaux.
Le Normand même alors ignoroit le parjure.
Mais fitôt que l’intérêt perfonnel eut divifé les hommes
, ils employèrent pour fe tromper là fraude 6c
l ’artifice. Us le virent donc réduits à la trifte néceffité
de fe précautionner les uns contre les autres. Les
promeffes, les proteftations étoient des liens trop
foibles ; on tâcha de leur donner de la force en les
marquant du fceau de la religion , 6c l’on crut que
ceux qui ne craignoient pas d’être infidèles, crain-
droient peut-être d’être impies. La difeorde, fille de
la nuit, ditHefiode, enfanta les menfonges, les difi
cours ambigus 6c captieux, 6c enfin le ferment, fi fu-
nefte à tout mortel qui le viole. Obligés d’avoir .recours
à une caution étrangère, les hommes crurent
la devoir chercher dans un être plus parfait. Enfuite
plongés dans l’idolâtrie , le ferment prit autant de formes
différentes que la divinité.
Les Perfes atteftoient le foleil pour vengeur de
l’infraâion de leurs promeffes. Ce même ferment prit
faveur chez les Grecs 6c les Romains : témoins ce
beau vers d’Homere.
HtXïoç oç ttuvt iÇiopai <£ 7ra.Tr t7rciitouue.
Je vous attefte, foleil ,.vous qui voyez 6c qui entendez
tout.
Virgile a imité la même idée dans le iv. de l’E-
neïde. « Soleil qui éclairez par vos rayons tout ce qui
» fe paffe fur la terre.. . . . »
Sol qui terrarum.flammis opéra omnia lujlras,
& dans le xij. livre.
EJlo nunc fo l tefis, 6cç,
Les Scythes ufoient auffi d’un ferment, qui avoit
je ne fai quoi de noble 6c de fier, 6c qui repondoit
affez bien au cara&ere un peu féroce de cette nation.
Ils juroient par l’air & par le cimeterre, les deux principales
de leurs divinités ; l’air comme étant le principe
de la vie , 6c le cimeterre comme étant l’une des
caufes les plus ordinaires de la mort.
Enfin les Grecs 6c les Romains atteftoient leurs
dieux, qui la plupart leur étoient communs, mais
fur-tout les deux divinités qui préfidoientle plus particulièrement
aux fermens que les autres, je veux dire
la déeffe Fides 6c le dieu Fidius.
Les contrées, les v illes, 6c les particuliers avoient
certains fermens dont ils ufoient davantage , félon la
différeifee de leur état, de leurs engagemens, de
leur goût, ou des difpofitions de leur coeur. Ainfi les
veftales juroient par la déefl'e à qui elles étoient con-
facrées.
Les hommes qui avoient créé des dieux à leur
image, leur, prêtèrent auffi les mêmes foibleffes, &
les crurent comme eux dans la néceffité de donner
par des fermens une garantie à leur parole. Tout le
monde fait que les dieux juroient par le ftyx. Jupiter
établit des peines très-feveres contre quiconque des
dieux, oferoit violer un ferment fi refpe&able.
Nous avons vu que la bonne-foi eut befoin pour fe
foutenir d’emprunter le fecours des fermens. Il fallut
que les fermens à leur tour, pour fe conferver dans
quelque force, euffent recours à certaines cérémonies
extérieures. Les hommes-efclaves de leurs fens,
voulurent qu’on les frappât par des images fenfibles,
6c à la honte de. leur raifon : l’appareil fit fouvent
plus d’impreffion fur eux que le ferment même.
L’ufage le plus ancien, 6c peut-être le plus naturel
6c le plus fimple, c’étoit de lever la main en fai-
fant ferment. Du-moins ce fut en cette forte que fe fit
le premier ferment dont nous ayons connoiffance.
J’en lèverai la main devant le Seigneur le Dieu très-
haut , dit Abraham. Mais les hommes ne fe contentant
pas de cette grande fimplicité, ceux qui pour
leur état étoient diftingués des autres, voulurent
jufques dans cette cérémonie, faireparoître des fym-
boles & des inftrumens de leurs dignités, ou de leurs
profeffions. Ainfi les rois levèrent leur feeptre en
haut, les généraux d’armées leurs lances ou leurs
pavois , les foldats leurs épées, dont quelquefois
auffi ils s’appliquoient la pointe fur la gorge, félon
le témoignage de Marcellin.
On crut encore devoir y faire entrer les chofes
• facrées. On établit qu’on jureroit dans les temples ,
I on fit p lus, on obligea ceux qui juroient à toucher
les autels. Souvent auffi en jurant, on immoloit des
vi&imes , on faifoit des libations, 6c l’on joignoit à
cela des formules convenables au refte de la pompe.
Quelquefois encore pour rendre cet appareil plus
terribfe , ceux qui s’engageoient par des fermens ,
trempoient leurs mains dans le fang 6c dans les entrailles
des vidimes.
Mais outre ces cérémonies, qui étoient prefque
communes à toutes les nations, il y en avoit de particulières
à chaque peuple, toutes différentes félon la
différence de leur religion , ou de leurs cara&eres.
On voit dans l’Ecriture qu’Abraham fait toucher fa
cuiffe par Eliezer dont il exigeoit le ferment. Jacob
mourant, preferit la même formalité à Jofeph : fur
quoi l’hiftorien Jofephe dit fimplement, que cette
coutume étoit générale chez les Hébreux , qui félon
les rabbins juroient de la forte pour honorer la cir-
concifion.
Les Scytes accompagnoient leurs fermens de pratiques
tout-à-fait conformes à leur génie ; lorfque
nous voulons, dit l’un d’eux dans Lucien , nous jurer
folemnellement une amitié mutuelle, nous nous
piquons le bout du doigt, 6c nous en recevons le fimg
dans une coupe ; chacun y trempe la pointe de fon
épée, & la portant à fa bouche , fuce cette liqueur
.précieufe : c’eft parmi nous la plus grande marque
qu’on puiffe fe donner d ’un attachement inviolable,
6c le témoignage le plus infaillible où l’on eft de répandre
l’un pour l’autre jufqu’à la derniere goutte
de fon fang.
Souvent les Grecs pour confirmer leurs fermens,
jettoient dans la mer une maffe de fer ardente, & ils
s’obligeoient de garder leur parole jufqu’à ce que
cette maffe revînt d’elle-même fur l’eau ; c’eft ce que
pratiquèrent les Phpcéens , lorfque défolés par des
aftes continuels d’hoftilités, ils abandonnèrent leur
v ille , 6c s’engagèrent à n’y jamais retourner. Les
Romains fe contentèrent du plus fimple ferment. Po-
Jybe nous affure que de fon tems les fermens ne pou-
voient donner de la confiance pour un grec, au lieu
qu’un romain en étoit pour ainfi dire enchainé. Agé-
iilas cependant penfoit en romain ; car voyant que
les Barbares ne le faifoient point fcrupule d’enfrain-
dre la religion des fermens : bon , bon , s’écria-t-il,
ces infraûeurs nous donnent des dieux pour alliés 6c
pour féconds.
Quelques-uns ne fe bornèrent pas à de fimples cérémonies
convenables, ou ridicules, ils en inventèrent
de folles 6c de barbares. Il y avoit un pays dans
la Sicile, où l’on étoit obligé d’écrire fon ferment fur
de l’écorce, 6c de le jetter dans l’eau ; s’il l'urnageoit,
il paffoit pour vrai ; s’il alloit à fond, on le réputoit
faux , & le prétendu parjure étoit brûlé. Le feho-
Jiafte de Sophocle nous affure que dans plufieurs endroits
de la G rece, on obligeoit ceux qui juroient de
tenir du feu avec la main , ou de marcher les piés
nuds fur un fer chaud ; fuperftitions qui fe confer-
verent long-tems au milieu même du chriftianifme.
La morale de quelques anciens fur le ferment étoit
très-févere. Aucune raifon ne pouvoit dégager celui
qui avpit contrarié cet engagement, non pas même
la furprife , ni l’infidélité d’autrui, ni le dommage
caufé par l’obfervation du ferment. Ils étoient obligés
de l’exécuter à la rigueur ; mais cette réglé n’étoit
pas univerfelle, 6c plufieurs payens s’en affranchirent
fans fcrupule.
Dans toutes les occafions importantes ,les anciens
fe fervoient du ferment au-dehors 6c au-dedans de
l ’état ; c’eft à-dire , foit pour fceller avec les étrangers
des alliances , des treves , des traités de paix ; loit au-dedans, pour engager tous les citoyens à
concourir unanimement au bien de la cauie commune.
Les infra&eurs des fermens étoient regardés comme
des hommes déteftables , 6c les peines établies
eontr’eu x, n’alloient pas moins qu’à l’infamie & à la
mort. Il fembloit pourtant qu’il y eût une forte d’exception
6c de privilège en faveur de quelques per-
fonnes, comme les orateurs , les poètes, 6c les
3mans.
Voilà en peu de mots le précis de ce qui concerne
les fermens ou ufage parmi les anciens. L à , comme
dans la plûpart des inftitutions humaines , on peut
remarquer un mélange furprenant de fageffe & de
folie , de vérité 6c de menl'onge : tout ce que la religion
a de plus vénérable 6c de plus augufte confondu
avec tout ce que la fuperftition a de plus vil & de
plus méprifable. Tableau fidele de l’homme qui fe
peint dans tous fes ouvrages, 6c qui n’eft lui-même,
A le bien prendre , qu’un compofé monftrueux de
lumière 6c de ténèbres , de grandeur 6c de mifere.
(Le Chevalier DE JAUCOURT. )
Serment des foldats, ( Art milit. des Romains. )
ceAtluJ concerne le ferment que les armées romaines
pretoient à leurs généraux, eft un des points les plus
obfcurs de l’antiquité. Nous avons dans Aulu-Gelle
un paffage très-finguüer d’un autçur nomme Cinçius,
On voit par ce paffage, qu’anciennement les citoyens
à meliire qu’on les enrôloit pour le fervice, juroient
que ni dans le camp , ni dans Pefpace de dix milles à
i l ronde, iis ne voleroient rien chaque jour qui excédât
la valeur d’une piece d’argent ; 6c que s’il leur
tomboit entre les mains quelqu’effet. d’un plus grand
prix, ils le rapporteroient fidèlement au général excepté
certains effets fpécifiés dans la formule du ferment.
Lorfque tous les noms étoient inferits , on fixoit
le .jour de l’affemblée générale , 6c tous faifoient un
fécond ferment, par lequel ils s’engageoient de fe
trouver au rendez-vous, s’ils n’étoient retenus par
des empêchemens légitimes, qui font auffi fpécifiés.
Il eft hors de doute que ce fécond ferment renfermoit
la promeffe de ne point quitter l’armée fans permif-
fion du general. Aulu - Gelle ne rapporte point les
termes de cette promeffe, mais Tite-Live nous les a
conferves. Le conful Quintius Cincinnatus traverfé
par les tribuns du peuple dans fon deffein de faire la
guerre aux Volfques, déclare, qu’il n’a pas befoin
d’un nouvel enrôlement, puifque tous les Romains
ont promis à Publius Valerius, auquel il vient d’être
fubrogé, qu’ils s’affembleroient aux ordres du conful
, & ne fe retireroient qu’avec fa permiffion.
Selon T ite-L iv e , jufqu’au tems de la fécondé
guerre punique, on n’exigea d’autre ferment des foldats
que celui de joindre l’armée à jour marqué , 6c
de ne point fe retirer fans congé. Il faut ajouter le
ferment de ne point voler dans le camp ; quoique cet
hiftorien n’en parle pas, il eft d’ailleurs fuffifamment
attefté. Mais lorfque les foldats étoient affemblés 6c
p'artagés en bandes de dix & de cent, ceux qui for-
moient chaque bande fe juroient volontairement les
uns aux autres de ne point fuir* 6c de ne point fortir
de leur rang,finon pour reprendre leitr javelot, pour
en aller chercher un autre , pour frapper l’ennemi,
pour fauver un citoyen.
L’an de Rome 538, quelques mois avant la bataille
de Cannes, dans un tems critique où l’on croyoit ne
pouvoir trop s’affurer du courage des armées les
tribuns de chaque légion commencèrent à faire prêter
juridiquement, 6c par autorité publique , le ferment
que les foldats avoient coutume de faire entr’ eux. Il
eft à croire qu’on leur fit auffi promettre de nouveau
ce qu’ils venoient de promettre en s’enrôlant, 6c
qu’alors ou dans la fuite, on groffit la formule de
quelques détails que l’on jugea ncceffaires.
Quoi qu’il en loit, à la tête de la légion, un foldat
choili par les tribuns , prononçoit la formule du ferment;
onappelloit enfuite chaque légionnaire par fon
nom : ils ’avançoit, 6c difoit fimplement: je promets
la même chofe, idem in me ( fuppl. rtcïpio\ La formule
de ce nouveait ferment n’eft rapportée nulle part, 6c
peut-être qu’il n’y en avoit point de déterminée. Mais
en combinant divers endroits de Polybe , de Denis
d’Halicarnaffe, de Tite-Live, ScdeTacite,on trouve
qu’elle fe réduifoit en fubftance à ce qui fuit : « Je
» jure d’obéir à un tel (on exprimoit le nom géné-
» ral), d’exécuter fes ordres de tout mon pouvoir,
» de le fuivre quelque part qu’il me conduife, de ne
» jamais abandonner les drapeaux, de ne point pren-
» dre la fuite, de ne point fortir de mon rang; je
» promets auffi d’être fidele au fénat & au peuple
» romain, & de ne rien faire au préjudice de la fi-
» délité qui leur eft dûe ». Cette derniere claufe fut
peut-être inférée depuis que l’on s’apperçut que les
généraux s’attachoient trop les foldats.
Voilà ce qti’on appelloit jurare in verbaimperatoris:
expreffions qui lignifient à la lettre, jurer que l’on regardera
comme une loi toutes les paroles du général
, 6c non pas comme quelques-uns fe l’imaginenty
répéter la formule que prononçoit le général. Ce
n’étoit point lui quila prononçoit: à ne confulter que