il favoii tempérer par le charme de l’éloquence îau-
fiérité de fes leçons ; ce fut ainfi qu’il arrêta une jeu-
nefl'e libertine que l'es préceptes nuds & lecs au-
roient effarouchée ; on l’admira ; on s’attacha à lui ;
on le chérit ; fa réputation s’étendit, & il obtint la
bienveillance même des rois. Antigonus Gonatès de
Macédoine, qui n’avoit pas dédaigné de le vifiter
fous le portique, l'appella dans les états ; Zénon n’y
alla point, mais lui envoya Perfée fon difciple ; il
n’obtint pas feulement des Athéniens le nom de grand
philofophe , mais encore celui d’excellent citoyen ;
ils dépoferent chez lui les ‘clés des châteaux de leur
v ille , & l’honorerent de fon vivant d’une ftatue
d’airain ; il étoit d’une foible l'anté , mais il étoit fo-
bre ; il vivoit communément de pain, d’eau, de figues,
& de miel ; fa phylionomie étoit dure , mais
ion accueil prévenant; ilavoit confervé l’ironie de
Diog èn e, mais tempérée. Sa vie fut un peu troublée
par l’envie ; elle fouleva contre lui Arcéfilaiis & Car-
néadès, fondateurs de l’académie moyenne & nouvelle;
Epicuremême n’en fut pas tout-à-fait exempt;
il fouffrit avec quelque peine qu’on donnât particulièrement
aux ftoïciens le nom de Juges. Cet homme
qui avoit reçu dans fes jardins les grâces & la volupté
, dont le principe favori étoit de tromper par les
plailirs les peines de la v ie , & qui s’étoitf’ait une maniéré
de philofopher douce & molle, traitoit le Jloï-
cifme d'hypocrifie. Zénon de fon côté ne ménagea
pas la do&rine de fon adverfaire, & le peignit comme
un précepteur de corruption ; s’il eft vrai que
Zénon prétendit qu’il étoit auffi honnête , naturam
matris fricare, quam dolenum aliam corporis partent
fricando juvare ; & que dans un befoin prefl'ant, un
jeune garçon étoit auffi commode qu’une jeune fille ;
Epicure avoit beau jeu pour lui répondre. Mais il
n’eft pas à, croire qu’un philofophe dont la continence
avoit paffé en proverbe, enfeignât des fenti-
mens auffi monftrueux. Il eft plus vraiilèmblable que
la haine tiroit ces conféquences odieufes d’un principe
reçu dans l’école de Zénon , & très-vrai, c’eft
qu’il n’y a rien de honteux dans les chofes naturel-1
les. Le livre de la république ne fut pas le feul qu’il
publia ; il écrivit un commentaire fur Héfiode, oit
il renverfa toutes les notions reçues de théologie,
& où Jupiter, Junon , Veffa, & le refte des dieux ,
étoient réduits à des mots vuides de fens. Zénon
jouit d’une longue vie ; âgé de quatre-vingt dix-huit
ans, il n’avoit plus qu’un moment à attendre pour
mourir naturellement ; il n’en eut pas la patience ;
e’étant laiffé tomber au fortir du portique, il crut
que la nature l’appelloit : me voilà , lui dit-il, en
touchant la terre du doigt qu’il s’étoit caffé dans fa
chûte, je fuis prêt ; & de retour dans fa maifon , il
fe laiffa mourir de faim. Antigone le regretta, &
les Athéniens lui éleverent un tombeau dans la Céramique.
Sa doélrine étoit un choix de ce qu’il a puifé dans
les écoles des académiciens , des Eretriaques ou Eri-
ftiques, & des cyniques. Fondateur de feâe , il fal-
loit ou inventer des chofes , ou déguifer les anciennes
fous de nouveaux noms ; le plus facile étoit le premier.
Zénon difoit de la dialeüique de D iodore, que
cet homme avoit. imaginé des balances très-juftes ,
mais qu’il ne pefoit jamais que de la paille. Les ftoï-
ciens difoient qu’il falloit s’oppofer à la nature ; les
cyniques, qu’il falloit fe mettre au-deffiis , & vivre
félon la vertu, & non félon la loi ; mais il eft inutile
de s’étendre ici davantage fur le parallèle du Jloïcif-
me, avec les fyftèmes qui l’ont précédé ; il réfulte-
ra de l’extrait des principes de cette philofophie , &
nous ne tarderons pas à les expofer.
On reproche aux ftoïciens le fophifme. Eft-ce
pour ce la , leur dit Séneque, que nous nous fommes
coupé la barbe ? onjleur reproche d’avoir porté dans
la fociété le$ ronces de l’école ; on prétend qu’ils ont
méconnu les forces de la nature, que leur morale
eft impraticable,, & qu’ils ont infpire l’enthoufiafme
au-lieu de la fageffe. Cela fe peut; mais quel enthou-
fiafrne que celui qui nous immole à la vertu, & qui
peut contenir notre ame dans une affiette fi tranquille
& fi ferme, que les douleurs les plus aiguës ne
nous arracheront pas un foupir, une larme ! Que la
nature entière confpire contre un ftoïcien , que lui
fera-t-elle? qu’eft-ce qui abattra, qu’eft-ce qui corrompra
celui pour qui le bien eft tout, & la vie n’eft
rien? Les philolophes ordinaires font de chair comme
les autres hommes ; le ftoïcien eft un homme de fer,
on peut le bril'er,mais non le faire plaindre.Que pourront
les tyrans fur celui fur qui Jupiter ne peut rien ?
il n’y a que la raifon qui lui commande ; l’expérience,
la réflexion , l’étude, fuffifent pour former un fage ;
un ftoïcien eft un ouvrage fingulier de la nature ; il y
a donc eu peu de vrais ftoïciens , & il n’y a donc eu
dans aucune école autant d’hypocrites que dans celle
ci ; le JioïciJ'me eft une affaire de tempérament, ôt
Zénon imagina, comme ont fait la plupart des législateurs,
pour tous les hommes, une réglé qui necon-
venoit guere qu’à lui ; elle eft trop forte pour les
foibles, la morale chrétienne eft un zénonifme mitigé
, & conféquemment d’un ufage plus général ; cependant
le nombre de ceux qui s’y conforment à la
rigueur n’eft pas grand.
Principes généraux de la philofophie Jloicienne. La
fageffe eft la fcience des chofes humaines & des chofes
divines; & la philofophie, ou l’étude de la fageffe
, eft la pratique de l’art qui nous y conduit.
Cet art eft u n , c’eft l’art par excellence ; celui
d’être vertueux.
Il y a trois fortes de vertus ; la naturelle , la morale
, & la difeurfive ; leurs objets font le monde ,
la vie de l’homme, & la raifon.
Il y a auffi trois fortes de philofophies ; la naturelle,
la morale, & la rationelle, où l’on obfervela
nature, où l’on s’occupe des moeurs , où l’on perfectionne
fon entendement. Ces exercices influent né-
ceffairement les uns fur les autres.
Logique des Jloïciens. La logique a deux branches ,
la rhétorique & la dialectique.
La rhétorique eft l’art de bien dire des chofes qui
demandent un difeours orné & étendu.
La dialeélique eft l’art de difeuter les chofes, où
la brièveté des demandes & .des reponfes fuffit.
Zénon comparait la dialeClique & l’art oratoire,
à la main ouverte & au poing fermé.
La rhétorique eft ou délibérative, ou judiciaire ,
ou démonftrative ; fes parties font l’invention , l’élocution
, la difpofition , & la prononciation ; celles
du difeours, l’exorde, la narration , la réfutation,
&C l’épilogue.
Les académiciens récens exduoient la rhétorique
de la philofophie.
La dialeûique eft l’art de s’en tenir à la perception
des chofes connues, de maniéré à n’en pouvoir être
écarté; fes qualités font la circonfpeCtion & la fermeté.
Son objet s’étend aux chofes & aux mots qui les
défignent ; elle traite des conceptions & des fenfa-
tions; les conceptions & le s fenfations font la bafe de
l’expreffion.
. Les fens ont un bien commun ; c’eft l’imagination.
L’ame confent aux çhofes conçues, d’après le témoignage
des fens : ce que l’on conçoit le conçoit
par loi-même ; la compréhenfion fuit l’approbation
de la chofe conçue, & la fcience, l’imperturbabilite
de l’approbation. , .
La qualité par laquelle nous difeernons les chofes
les unes des autres, s’appelle jugement.
. Il y a delix mahieres de difcernêf le bon Bt le
mauvais , le vrai & le faux»
Nous jugeons que la chofe eft ou n’eft pas, par fenfation
, par expérience, ou par raifonnement.
La logique fuppofe l’homme qui juge , & une régie
de jugement.
Cette réglé fuppofe ou la fenfation , ou l’imagination.
L’imagination eft la faculté de fe rappelleras images
des chofes qui font.
La fenfation naît de l’aCHon des objets extérieurs,
& elle fuppofe une communication de l’ame aux organes.
Ce qu’on a v u , ce qu’on a conçu refte dans l’ame,
comme l’impreffion dans la vue, avec fes couleurs,
fes figures, fes éminences, & fes creux.
La comprchenfion formée d’après le rapport des
fens , eft vraie & fidelle ; la nature n’a point donné
d’autre fondement à la fcience; il n’y a point de clarté
, d’évidence plus grande.
Toute apprehenfion vient originairement des fens;
car il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant
dans la fenfation.
Entre les chofes c.omprifes, il y en a de plus ou
de moins fenfibles; les incorporelles font les moins
fenfibles.
II y en a de rationelles & d’irrationelles, de naturelles
& d’artificielles, telles que les mots.
De probables & d’improbables, de vraies & de
fauffes , de compréhenfibles & d ’incompréhenfiblès ;
il faut pour les premières qu’elles naiffent d’une chofe
qui fo i t , qu’elles y foient conformes , & qu’elles
n’impliquent aucune contradi&ion.
Il faut diftinguer l’imagination du fantôme, & le
fantôme du fantaftique qui n’a point de modèle dans
la nature.
Le vrai eft ce qui eft, & ce qui ne peut Venir d’ailleurs
que d’oii il eft venu.
La compréhenfion, ou la connoiffance ferme, ou
la fcience , c’eft la même chofe.
Ce que l’efprit comprend , il le comprend ou par
affimilation , ou par compofition , ou par analogie.
L’homme reçoit la fenfation, & il juge ; l’homme
fage réfléchit avant que de juger.
Il n’y a point de notions innées ; l’homme vient au
monde comme une table rafe fur laquelle les objets de
la nature fe gravent avec le tems.
Il y a des notions naturelles qui fe forment en
nous fans art ; il y en a qui s’açquierent par induf-
îrie & par étude ; je laiffe aux premières le nom de
notions , j’appelle celles-ci anticipations.
Le fenti eft dans l’animal, il devient le conçu
dans l’homme.
Les notions communes le font à tous ; il eft im-
poffible qu’une notion foit oppofée à une notion.
Il jr a la fcience , & l’opinion , & l’ignorance ; fi
l’on n'a pas éprouvé la fenfation , on eft ignorant ;
s il refte de l’incertitude après cette épreuve, on eft
incertain ; fi l’on eft imperturbable, on fait.
11 y a trois chofes liées , le mot, la chofe, l’image
de la chofe.
-La définition eft un difcoursquianalyfé,devientIa
reponfe exaâe à la queftion, qu’eft-ce que la chofe ?
elle ne doit rien renfermer qui ne lui convienne ; elle
doit indiquer le caraûere propre qui la diftingue.
H y a deux fortes de définitions ; les unes des choies
qui font , les autres des chofes que nous concevons.
Il y a des définitions partielles, il y en a de totales,,
La diftribution d’un genre dans fes efpeces les plus
prochaines, s’appelle divifion<.
Un genre s étend à plufieurs efpeces ; Un genre
lupreme n en a point au-deffus de lui ;■ une eipece
S T O n i
infinie n'ert 4 point au-deffous d'élîô.
La connoiffance complette fe forme de la chofé
dü mot»
I ly a quatre genres ; la fubftance , la qualité , l’ab.
lo iu , le rapport.
Les enonciations qui comprennent fous un point
commun des chofes diverfes, s’appellent catégories ;
il y a des categories dans l’entendement ainii que
dans l’expreffion. n
L ’énonciation eft ou parfaite, ou imparfaite & dé-
feftueufe ; parfaite, fi elle comprend tout ce qui eft
de la chofe. .
Une énonciation eft ou affirmative ou négative
ou vraie ou fauffe. • ° 1
Une énonciation affirmative ou négative parfaite,
eft un axiome. 1 *
Il y a quatre catégories ; la direûe, l’oblique, la
neutre, & l’a&ive ou paffive.
Un axiome eft ou fimple ou compofé ; fimple , fi
la propofition qui l’énonce eft fimple ; compofé fi
la propofition qui l’énonce eft compofée. *
Il y a des axiomes probables ; il y en a de ratio-
nels , il y en a de paradoxals.
Le leinme, le proflemme & l’épiphofe, font lei
trois parties de l’argument.
L’argument eft concluant ou non ; fyllogiftique ou
Les fyllogifmes font ou liés, ou conjoints ou dif-
joints.
Il y â des modes , félon lefquels les fyllogifmes
concluans font difpofés.
Ces modes font Amples ou compofés,
Les argumens fyllogiftiques qui ne concilient pas 2
Ont auffi leurs modes. Dans ces argumens, la conclti-
fion ne fuit pas du lien des prémiffes.
Il y a des fophifmes de différens genres ; tels, pat
exemple que le forite , le menteur, l’inexplicable, le
pareffeux, le dominant, le voile, l’éledre, le cornu
le crocodile, le réciproque , le déficient, le moif-
fonneur, le chauve, l’occulte , &c.
Il y a deux méthodes, la vulgaire & la philofo*
phique.
On voit en effet, que tout cette logique n’a riert
de bien merveilleux. Nous l’avons dépouillée des
termes barbares dont Zénon l’avoit revêtue. Nous
aurions laiffé à Zénon fes mots, que les chofes n’ert
auraient pas .été plus nouvelles.
Phyfiolog'u desjioïciensi Le cahos étoit aVant tout.
Le cahos eft un état confus 6c ténébreux des chofesi’'"'“
* 1 1 fous cet état que fe ptéfenta d’abord la matière .
qui étoit la fortune de toutes les chofes revêtues de
leurs qualités, le refervoiï dés; germes St des canfes •
l’effence , la Nature , s’il eft permis de s'exprime?
ainii, groffe de fon principe.
Ce que nous appelions le monde & la nature; c’eft:
ce cahos débrouillé, & les chofes ténébreufes & contâ
tes prenant l’ordre & formant l’afpeft que nous
leur voyons*
Le monde ou la nature eft ce tou t , dont les êtres
font les parties. Ce tout eft un ; les êtres font feS
membres ou parties.
Il faut y diftinguer des principes différens des élé-
mens.
De ces principes, l’un eft efficient ; l’autre eft paf-
fif. L’efficient eft la raifon des chofes qui eft dans la
matière, ou Dieu. Le paffif eft la matière même.
‘ Ils font l’un & l’autre d’une nature corporelle. Tout
de qui agit ou fouffre, eft corporel. Tout ce qui eft,
eft donc corps.
La' caufe efficiente ou Dieu , eft un air très-put*
& très-limpide , un feu artificiel, placé à la circonfé--
rence des cieuxla plus éloignée, féjour de tout ce -
qui eft divin.
Le principe paffif ou la matière, eft la nature con?