que l’oe il, & dans lequel il n’y a pas un auffi -grand
epanouiffement de nerf, n’aura pas le même degré
de fenfibilité , & ne pourra pas être affeélée par des
parties de matières auffi petites que celles de la lumière
; mais elle le fera par des parties plus groffes
qui font celles qui forment le fon, de nous donnera
encore une fenfation des chofes éloignées, qui pourront
mettre en mouvement ces parties de matières.
Comme elles font beaucoup plus groffes que celles
de la lumière de qu’elles ont moins dé vîteflê , elles
ne pourront s’étendre qu’à de petites diftances , de
par conféquent l’oreille ne nous donnera la fenfation
que de chofes beaucoup moins éloignées que celles
dont l’oeil nous donne la fenfation.
La membrane qui eft le fiege de l’odorat étant encore
moins fournie de nerfs que celle qui fût le fiege
de l’ouïe , elle ne nous donnera la fenlation que des
parties de matière qui font plus groffes de moins éloignées
, telles que font les particules odorantes des
corps qui font probablement celles de l’huile effen-
tielle , qui s’en exhale de fumage , pour ainfi dire,
dans l’air.
Comme les nerfs font encore en moindre quantité
& plus groffiers fur le palais de fur la langue ; les
particules odorantes ne lont pas allez fortes pour
ébranler cet organe ; il faut que les parties huileufes
de falines fe détachent des autres corps, de s’arrêtent
fur la langue pour produire la fenfation qu’on appelle
le goût, de qui différé principalement de l’o*-
dorat, parce que ce dernier fens nous donne la fenfation
des chofes à une certaine diftance, & que le
gotxt ne peut la donner que par une efpece de con-
taél, qui s’opère au moyen de la fonte de certaines
parties de matières, telles que les fels, les huiles, &c>
Enfin, comme les nerfs font le plus divifés qu’il
eft poffible de qu’ils font très-légerement parfemés
dans la peau, aucune partie auffi petite que celles
qui forment la lumière , les fons, les odeurs, les faveurs
, ne pourra les ébranler, ni les affeûer d’une
maniéré fenfible , & il faudra de très-groffes parties
de matière, c’eft-à-dire des corps folides , pour qu’ils
puiflent en être affé&és. Auffi le fens du toucher ne
nous donne aucune fenfation des chofes éloignées ,
mais feulement de celles dont le contaft eft immédiat.
Il paroît donc que la différence qui eft entre nos
fens vient de la pofition plus ou moins extérieure
des nerfs, de leur vêtement, de leur exilité, de leur
quantité plus ou moins grande, de leur épanouiffe-
ment dans les différentes parties qui conltituent les
organes. C’eft par cette raifon qu’un nerf ébranlé
par un coup , ou découvert par une bleffure , nous
donne fouvent la fenfation de la lumière , fans que
l’oeil y ait part ; comme on a fouvent auffi par la
même caufe des tintemens de des fenfations des fons,
quoique l’oreille ne foit affectée par rien d’extérieur.
Lorfque les petites particules de la matière lumi-
neufe de fonore fe trouvent réunies en très-grande
quantité, elles forment une efpece de corps folide
qui produit différentes efpeces de fenfations , lef-
quelles ne paroiffent avoir aucun rapport avec les
premières ; car toutes les fois que les parties qui
compofent la lumière font en très-grande quantité,
elles affeûent non-feulement les yeux , mais auffi
toutes les parties nerveufes de la peau ; de elles pro-
duifent dans l’oeil la fenfation de la lumière ; de dans
le refte du corps , la fenfation de la chaleur qui eft
une autre efpece de fentiraent différent du premier,
quoiqu’il foit produit par la même caufe.
La chaleur n’eft donc que le toucher de la lumière
qui agit comme corps folide, ou comme une maffe
de matière en mouvement ; oh reconnoît évidemment
l’aftion de cette maffe en mouvement, lorfqu’on
expofe les matières légères au foyer d’un bon.
miroir ardent ; l’aftion de la lumière réunie leur
communique , avant même que de les échauffer, un
mouvement qui les pouffe de les déplace ; la chaleur
agit donc comme agiffent les corps folides fur les
autres corps , puifqu’élle eft capable de leS déplacer
en communiquant un mouvement d’impulfion.
De même lorfque les parties fonores fe trouvent
réunies en très-grande quantité, elles produifentune
fecouffe & un ébranlement très-fenfible ; de cet ébranlement
eft fort différent de l’aâion du fon fur l’oreille.
Une violente explofion, un grand coup de
tonnerre ébranle lés maifons, nous frappe & communique
une efpece de tremblement à tous le& corps
voifins ; c’eft par cette aftion des parties fonores
qu’une corde en vibration en fait remuer une autre
, de c’ eft par ce toucher du fon que nous fentons
nous-mêmes, lorfque le bruit eft violent, une efpece
de trémouffement fort différent de la fenfation du
fon par l’oreille, quoiqu’il dépende de la même
caufe.
Toute la différence qui fe tfouve dans nos fenfations
ne vient donc que du nombre plus ou moins
grand, de de la pofition plus ou moins extérieure des
nerfs. C’eft pourquoi nous ne jugeons des chofes
que d’après l’impreffion que les objets font fur eux;
de comme cette impreffion varie avec nos difpofi-
tions, les fens nous en impofent néceffairement : les
plus importans ne font fouvent que de légères im-
preffions ; de pour notre malheur, le méchanifme
de tout le mouvement de la machine dépend de ces
refforts délicats qui nous échappent.
Cependant les fens nous étoient abfolument nécef-
faires, de peur notre être de pour notre bien-être i
ce font, dit M. le Ca t, autant de fentinelles qui nous
avertiffent de nos befoins & qui veillent à notre
confervation. Au milieu des corps utiles de nuifibles
qui nous environnent, ce font autant de portes qui
nous font ouvertes pour communiquer avec les autres
êtres, de pour jouir du monde oùnous fournies
placés. Ils ont enfanté des arts fans nombre pour fa»
tisfeire leurs délices , de fe garantir des impreffions
fâcheufes. On a tâché dans cet ouvrage de développer
avec brièveté le méchanifme de des arts de des
fens ; peut-être même trouvera-t-on qu’on s’y eft trop
étendu ; mais quand cela feroit v r a i, comment ré-
fifter au torrent des chofes curieufes qui s’offrent en
foule fur leur compte ; de combien n’en a-t-on pas
fupprimé avec quelque regret ? Car enfin les arts
font p récieux, de les fens offrent le fujet le plus in-
téreffant de la phyfique, puifque ce font nos moyens
de commerce avec le refte de l’univers.
Ce commerce entre l’univers de nous fe fait toujours
par une matière qui affe&e quelque organe.
Depuis le toucher jufqu’a la vue, cette matière eft
de plus en pins lubtile, de plus en plus répandue loin
de nous, de par-là de plus en plus capable d’étendre
les bornes de notre commerce. Des corps, des liqueurs
, des vapeurs, de l’air , de la lumière , voilà
la gradation defes correfpondances ; de 1 es fens par
lefquels elles fe font nos interprétés &nos gazettiers.
Plus leurs nouvelles viennent de loin, plus il faut
s’en défier. Le toucher qui eft le plus borné des fens
eft auffi le plus fur de tons ; le goût de l’odorat le
font encore affez, mais l’ouïe commence à nous
tromper très-fouvent ; pour la vue, elle eft fujette
à tant d’erreurs, que l’induftrie des hommes , qui
fait tirer avantage de tout, en a compofé un art d’en
impofer aux yeux ; art admirable , de pouffé fi loin
par les peintres , que nous y aurions peut-être perdu
à avoir des fens moins trompeurs. Mais que dire
des conjectures dans lefquelles ils nous entraînent?
Par exemple , la lumière, fluide particulier qui rend
les corps vifibles , nous fait conjecturer un aittre
fluide qui les rend péfans, un autre qui les rend
éleftriques, ou qui fait tourner la bouffole au nord,
&c. Tant de fuppofitions prouvent affez que ce que
les fens nous montrent, eft encore tout ce que nous
favons de mieux.
Qu’on juge par-là des bornes étroites de du peu
de certitude de nos connoiffances , qui confiftent à
Voir une partie des chofes par des organes infidèles
de à deviner le refte. D ’où vient, direz-vous, cette
nature fi bonne, fi libérale , ne nous a-t-elle pas
donné desfens pour toutes ces chofes que nous fomT
mes contraints de deviner , par exemple , pour ce
fluide qui remue la bouffole , pour celui qui donne
la vie aux plantes de aux animaux ? C’étoit le plus
court moyen de nous rendre favans fur tous ces
phénomènes qui deviennent fans cela des énigmes ;
car enfin les cinq efpeces de matières qui font comme
députées vers nous-, des états du monde maté-
tériel ne peuvent nous en donner qu’une vaine
ébauche ; imaginons un fouverain qui n’auroit d’autre
idée de tous les peuples que celles que lui don-
neroient un françois , un perfan , un égyptien , un
créole , un chinois , qui tous cinq feroient fourds
& muets ; c’eft ainfi tout au-moins que font toutes
ces efpeces de matières. En vain la phyfique moderne
fait fes derniers efforts pour interroger ces députés
; quand on fuppoferoit qu’ils diront un jour
tout ce qu’ils font eux-mêmes, il n’y a pas d’apparence
qu’ils difent jamais çe que font les autres peuples
de matière dont ils ne font pas.
Le créateur n’a pas voulu nous donner un plus
grand nombre de fens ou des fens plus parfaits, pour
nous faire connaître ces autres peuples de matière,
ni d’autres modifications dans ceux-mêmes que nous
connoiflons. Il nous a refufé des ailes , il a fixé la
médiocrité de la vue qui n’apperçoit que les feules
furfaces^ des corps. Mais de plus grandes facultés
euffent été inutiles pour notre bonheur de pour tout
le fyftème du monde. Accuferons-nous le ciel d’être
cruel envers nous de envers nous feuls ?
Le bonheur de l’homme, dit Pope, ( qui emprunte
pour le peindre, le langage des dieux ) le bonheur
de l’homme . fi l’orgueil ne nous empêchoit point de
l’avouer, n'eft pas de penfer ou d’agir au-delà de
l’homme même, d’avoir des puiflançes de corps &
d’e fjy it , au-delà de ce qui convient à fa nature de à
fon état. Pourquoi l’homme n’a-t-il point un oeil mi-
crofcopique ? C’eft par cette raifon bien fimple , que
l ’homme n’eft point une mouche. Et quel en feroit
l ’ufage, fi l’homme pouvoit confidérer un ciron, de
que la vue ne pût s’étendre jufqu’aux deux? Quel
feroit celui d’un toucher plus délicat, fi trop fenfi-
ble, de toujours tremblant, les douleurs & les agonies
s’introduifoient par chaque pore ? D ’un odorat
plus v if, fi les parties volatiles d’une rofe, par leurs
vibrations dans le cerveau, nous faifoient mourir de
peines aromatiques ? D ’une oreille plus fine, fi la nature
fe faifoit toujours entendre avec un bruit de
îonnere, & qu’on fe trouvât étourdi par la mufique
de fes fpheres roulantes ? O combien nous regrete-
rions alors que le ciel nous eût privé du doux bruit
des zéphirs de du murmure des ruiffeaux ! Qui peut
ne pas reconnoitre la bonté de la fageffe de la Providence
, également de dans ce qu’elle donne, de dans
ce qu’elle refiife ?
Regardons pareillement les fenfations qui affligent
ou qui enchantent l’ame comme de vrais préfens du
ciel. Les fenfations triftes avertiffent l’homme de fe
mettre en garde contre l’ennemi qui menace le corps
de la perte. Les fenfations agréables l’invitent à la
conlervation de fon individu de de fon efpece.
Peut-être que des fens plus multipliés que les nô-
tres, le luffent embarrafles, ou que l’avide curio-
fate qu jus nous euffent infpiré, nous eût procuré plus
d’inquiétude que de plaifir. En urt mot, le bon ufagô
de ceux que nous avons, fuffit à notre félicité. Jouif-
fons donc, comme il convient, des fens dont la nature
a bien voulu nous gratifier : ceux de l’ouïe de de
la vue me femblent être les plus délicats de les plus
chaftes de tous. Les plaifirs qui les remuent, font les
plus innocens ; de les arts à qui nous devons ces plaifirs
, méritent une place diftinguée parmi les arts libéraux,
comme étant des plus ingénieux * puifqu’on
y emploie toute la fubtilité des combinaifons mathématiques.
La peinture reveille l’imagination de fixe
la mémoire ; la mufique agite le coeur , de fouleve
les pallions. Elles font pafler les plaifirs dans l ’ame :
l’une par les y e u x , l’autre par l’oreille. On diroit
même que les pierreries ont un charme finguiier ,
dont la mode fe fert pour fixer la curiofité. Il le faut
bien; car fans cet éclat impérieux, notre folie auroit
des bornes, du moins celles que l’inconftance a foin
de mettre à tous nos goûts. Eft-ce que ces étincelles
pures qui pétillent au fein du diamant, feroient une
efpece de collyre pour la Vue ? Les luftres de les glaces
feroient à ce prix une merveilleufe invention, de
peut-être ces chofes ont-elles avec nous une douce
fympathie, dont nous fentons l ’effet fans le deviner?
Les plaifirs des autres fens peuvent être plus vifs ;
mais je les crois moins dignes de l’homme. Ils s ’é-
mouffent, ilsfe blafent, quand on les irrite ; & quand
on en abufe, ils laiffent dans la vieilleffe un trifte
repentir ou de facheufes infirmités. ( Le chevalier De
J a u court. )
Sens internes , ( Phyfol. ) aftions de l’ame ou
de l’intelleâ, auxquelles il eft excité par la perception
des idées.
Les feules voies par où les connoiffances arrivent
dans l’entendement humain, les feuls paffages, comme
dit Lok e, par lefquels la lumière entre dans cette
chambre obfcure , font les fens externes de internes.
Les fens internes font les pallions, l’attention, l’imagination
& la mémoire. Telle eft l’énumération
ordinaire, de à mon avis, peu exaâ e, qu’on fait des
fens internes; mais ce n’eft pas ici le lieu de la rectifier
; nous ne traitons qu’en phyfiologifte, de feulement
ce qu’il convient au médecin de connoitre,
pour entendre, expliquer, de guérir, s’il eft poffible,
les facheufes affections du cerveau.
Il femble que les perceptions de notre intellect
naiffent de la différence des nerfs affeétés, de la différente
ftruéture de l’organe du fentiment, des différentes
parties de la moelle du cerveau d’oîi les nerfs
prennent leur origine , de du cours différent des ef-
prits animaux. Nous fournies tellement formés, qu’à
l’oecafion des divers états de l’ame il fe fait dans le
corps des mouvemens mufculaires, une circulation
ou une ftagnation d’humeurs , de fang de des efprits.
Les mouvemens mufculaires dépendent de l’influx
du fuc nerveux que le cerveau porte dans les muf-
cles; la partie du cerveau du fenforium commune, oîi
les efprits animaux fe trouvent raffemblés, eft peut-
être la moelle du cerveau dans la tête. Cette partie a
différens territoires, dont chacun a fon nerf de fa loge
pour les idées ; le nerf optique donne l’idée des
couleurs ; l’olfaCtif, des odeurs ; les nerfs moteurs,
ceux des mouvemens. Une goutte de liquide, fang
ou autre, épanchée fur l’organe des nerfs , produit
l’apoplexie. Dès-lors plus d’idées fimplesniacceflbi-
res, plus de mémoire, plus de paffion, plus de fens
internes, plus de mouvemens mufculaires, fi ce n’eft
dans le coeur où ils font paffés. Q u ’on ne craigne
point qu’il foit trop humiliant pour l’amour propre,
de favoir que l’efprit eft d’une nature fi corporelle ?
Comme les femmes font vaines de leur beautés, les
beaux efprits feront toujours vains du bel-efprit, de
les philosophes ne fe montreront jamais affez philo-
fophes , pour éviter cet écueil univerfel.