nous en -{oyons avertis ; que faut-il donc pour être
fonceur? Un état ni foible, ni vigoureux ; une médio- .
crité de vigueur rend l’ébranlement des filets nerveux
plus facile ; la médiocrité d’efprits animaux
fait que leur cours eft plus régulier, qu’ils peuvent
fournir une fuite d’impreflions plus faciles à diftin-
guer. Une circonftance qui prouve maniftement que
cette médiocrité que j’ai fuppofée eft la difpofition
requife pour les fonges, c’eft l’heure à laquelle ils font
plus fréquens ; cette heure eft le matin. Mais, direz-
vous , c’eft le tems oit nous fommes le plus frais, le
plus vigoureux, & où la tranfpiration des efprits animaux
étant faite, ils font les plus abondans ; cette
obfervatiôn , loin de nuire à mon hypothefe, s’y
ajufte parfaitement. Quand les perfonnes d’une conf-
titution mitoyenne, (car il n’y a guere que celles-là
qui rêvent) le mettent au li t , elles font à-peu-près
éptiifées , 6c les premières heures du fommeil font
celles de la réparation , laquelle ne va jamais jufqu’à
l’abondance : s’arrêtant donc à la médiocrité , dès
que cette médiocrité exifte, c’eft-à-dire vers le matin
, lesfonges naifient enfuite, 6c durent en augmentant
toujours de clarté jufqu’au réveil. Au refte, je
raifonne fur les chofes comme elles arrivent ordinairement
, & je ne nie pas qu’on ne puifle avoir un
fonge v if à l’entrée ou au milieu de la nuit, fans en
avoir le matin ; mais ces cas particuliers dépendent
toujours de certains états particuliers qui ne font aucune
exception aux réglés générales que je pofe ; je
Conviens encore que d’autres caufes peuvent concourir
à l’origine des fonges, & qu’outre cet état
de médiocrité que nous fuppofons exifter vers le
matin, toute la machine du corps a encore au même
tems d’autres principes d’a&ion très propres à aider
les fonges ; j’en remarque deux principaux , un intérieur
6c un extérieur. Le premier, ou le principe intérieur
, c’ eft que les nerfs 6ç les mufcles, après
avoir été relâchés à l’ entrée du fommeil, commencent
à s’étendre & à fe gonfler par le retour des fluides
fpiritueux que le repos de la nuit a réparés, toute
la machine reprend des difpofitions à l’ébranlement;,
mais les caufes externes n’étant pas encore affez fortes
pour vaincre les barrières qui fe trouvent aux
portes des fens , il ne fe fait que les mouvemens internes
propres à exciter des aéles d’imagination,
c’eft-à-dire des fonges. L’autre principe', ou le principe
extérieur qui difpofe à s’éveiller à demi, 6c par
conféquent à fonger, c’eft l’irritation des chairs qui,
au bout de quelques heures qu’on aura été couché
fur le dos, fur le côté , ou dans toute autre attitude,
commence à fe faire fentir. J’avoue donc l’exiftence
des chofes capricieufes que je viens d’indiquer, mais
je regarde toujours cette difpofition moyenne entre
l’abondance 6c la difette d’efprits , comme la caufe
principale d es fonges ; Sc pour mettre le comble à la
démonftration, voyez des exemples qui viennent à-
propos. Une perfonne enfoiblefîe ne trouve , quand
elle revient à elle-même , aucune trace de fon état
ptécédent ; c’eft le profond fommeil de difette. Un
homme yvre-mort ronfle plufieurs heures, & fe réveille
fans avoir eu aucun fonge ; c’eft le profond
fommeil d’abondance ; donc on ne fonge que dans
l’état qui tient le milieu. Voyons à-préfent naître un
fonge, 6c afliftons en quelque forte à fa naiflance.
Je me couche, je m’endors profondément, toutes
les fenfations font éteintes, tous les organes font
comme inacceflîbles ; ce n’eft pas là le tems des fonges
, il faut que quelques heures s’écoulent, afin que
la machine ait pris les principes d’ébranlement &
d’aérion que nous avons indiqués ci-deffus ; le tems
étant venu , fonge-t-on aufii-tôt, 6c ne faut-il point
de caufe plus immédiate pour la production du Jonge9
que cette difpofition générale du corps ? Il femble
d’abord qu’on ne puifle ici, répondre lans témérité,
6c que le fil de l’expérience nous abandonne ; car
dira-t-on, puifque perfonne ne fauroit feulement remarquer
quand 6c comment il s’endort, comment
pourroit-on faifir ce qui préfide à l’origine d’un fonge
qui commence pendant notre fommeil ?
Au fecours de l’expérience , joignons-y celui du
raifonnement: voici donc comment nous raifonnons.
Un aéle quelconque d’imagination eft toujours lié
avec une fenfation qui le précédé, 6c fans laquelle il
n’exifteroit pas ; car pourquoi un tel afte fe leroit-il
développé plutôt qu’un autre, s’il n’avoit pas été déterminé
par une fenfation ? Je tombe dans un douce
rêverie , c’eft le -point-de-vue d’une riante campagne
, c’eft le gazouillement des oifeaux, c’eft le murmure
des' fontaines qui ont produit cet état, qui ne
l’auroit pas affurément été par des objets effrayans,
ou par des cris tumultueux ; on convient fans peine
de ce que j’avance par rapport à la v eille, mais on
ne s’en apperçoit pas aufli diftin&ement à l’égard de,s
fonges , quoique la chofe ne foit ni moins certaine,
ni moins néceffaire ; car fi les fonges ne font pas des
. chaînes d’aâes d’imagination, 6c que les chaînes doivent
, pour ainfi dire, être toutes accrochées à un
point fixe d’où elles dépendent, c’eft-à-dire à une
fenfation, j’en conclus que tout fonge commence par
une fenfation 6c fe continue par une- fuite d’a&es
d’imagination, toutes les impreflions fenfiblés qui
étoient fans effet à l’entrée de la nuit deviennent efficaces
, finon pour réveiller, au-moins pour ébranler,
6c le premier ébranlement qui a une force déterminée
eft le principe d’un fonge. Le fonge a toujours
fon analogie avec la nature de cet ébranlement ; eft-
c e , par exemple, un rayon de lumière qui s’infinuant
entre nos paupières a affeété l’oe il, notre fonge fui-
vant fera relatif à des objets vifibles, lumineux ? eft-
ce un fon qui a frappé nos oreilles ? Si c’eft un fon
doux, mélodieux, une férénade placée fous nos fenêtres
, nous rêverons en conformité, 6c les charmes
de l’harmonie auront part à notre fonge ; eft-ce, au.
contraire un fon perçant & lugubre ? les voleurs , le
carnage , 6c d’autres fcènes tragiques s’offriront à
nous ; ainfi la nature de la fenfation , mere du fonge,
en déterminera l’efpece ; 6c quoique cette fenfation
foit d’une foibleffe qui ne permette point à l’ame de
l’apperçevoir comme dans la v eille, fon efficacité
phyfique n’en eft pas moins réelle ; tel ébranlement
extérieur répond à tel ébranlement intérieur, non à
un autre, 6c cet ébranlement intérieur une fois donné
, détermine la fuite de tous les autres.
Ce n’eft pas, au refte, que tout cela ne foit modifié
par l’état aêhiel de l’ame , par fes idées familières
, par fes aérions, les impreflions les plus récentes
qu’elle a reçues étant les plus aifées à fe fenouvelier :
de-là vient la conformité fréquente que 1 es fonges ont
avec ce qui s’eft paffé le jour précédenjf ,, mais toutes,
les modifications n’empêchent pas qïie le fonge ne
parte toujours d’une fenfation, 6c que l’efpece de
cette fenfation ne détermine celle du fonge.
Par fenfation je n’entends pas les feules impreflions
qui viennent des objets du dehors ; il fe paffe outre
cela mille chofes dans notre propre corps , qui font
aufli dans la claffe des fenfations, & qui par conféquent
produifent le même effet. Je me fuis couché
avec la faim 6c la fo if, le fommeil a été plus fo r t , il
eft v ra i, mais les inquiétudes de la faim 6c de la foif
luttent contre lui ; 6c fi elles ne le détruifent pas,
elles produifent du moins des fonges, où il fera quef-
tion d’alimens folides 6c liquides , 6c où nous croirons
fatisfaire à des befôins qui renaîtront à notre réveil;
une fimple particule d’air qui fe promènera dans
I notre corps produira diverfes fortes d’ébranlemens
qui ferviront de principes 6c de modification à nos
fonges : combien de fois une fluxion, une colique ,ou
telle autre affeérion incommode ne naiffent-elles pas
pendant notre fommeil, jufqu’à ce que leur force le
cliflïpe enfin ? Leur naiflance 6c leur progrès font
prelque toujours accompagnés d’états de l’ame ou de
fonge qui y répondent.
Le degré de clarté auquel parviennent les aftes d’imagination
, qui conftituent les fonges', nous en procure
la connoiffance ; il y a un degré déterminé a lequel
ils commencent à être perceptibles , comme
dans les objets de la vue 6c de l’ouïe, il y a un terme
fixe d’où nous commençons à voir & à entendre ; ce
degré exiftant une fois , nous commençons à fonger,
c ’eft-a-dire à appercevoir nos fonges ; & à mefure que
de nouveaux degrés de clarté furviennent, les fonges
font plus marqués ; 6c comme ces degrés peuvent
hauffer 6c baiffer plufieurs fois pendant le cours d’un
même fonge , de-là viennent ces inégalités , ces ef-
peces d’obfcurité qui éclipfent prefque une partie
d’un fonge, tandis que les autres confervent leur netteté
; ces nuances varient à l’infini. Les fonges peuvent
être détruits de deux maniérés, ou lorfque nous
rentrons dans l’état du profond fommeil, ou par notre
reveil : le reveil c’eft le retour des fenfations ;
dès que les fenfations claires 6c perceptibles renaif-
fent, les fonges font obligés de prendre la fuite : ainfi
toute notre vie eft partagée entre deux états effen-
tiellemeni différens l’un de l’autre , dont l’un eft la
vérité &c la réalité, tandis que l’autre n’eft que men-
fon^e 6c illufion; cependant fi la durée des fonges
égaloit celle de la nuit, & qu’ils fuffent toujours
d’une clarté fenfible , on pourroit être en doute laquelle
de ces deux fenfations eft la plus effentielle à ‘
notre bonheur , 6c mettre en queftion qui feroit le
plus heureux , ou le fultan plongé tous le jour dans
les délices de fon ferrai!, & tourmenté la nuit par des
rêves affreux, ou le plus miférable de fes efclaves
qui, accablé de travail 6c de coups pendant la journée
, pafferoit des nuits raviffantes en fonges. A la
rigueur, le beau titre de réel ne convient guere mieux
aux plaifirs dont tant de gens s’occupent pendant
leurs veilles , qu’à ceux que 1 es fonges peuvent procurer.
Cependant l’état de la veille fe diftingue de celui du
fommeil, parce que dans le premier, rien n’arrive
fans caufe ou raifon fuffifante.
Les événemens font liés entre eux d’une maniéré
naturelle & intelligible , au lieu que dans les fonges ,
tout eft découfu, fans ordre, fans vérité pendant la
veille un homme ne fe trouvera pas tout-d’un-coup
flans une chambre, s’il n’eft venu par quelqu’un des
chemins qui y conduifent: je ne ferai pas tranfporté
de Londres à Paris, fi je ne fais le voyage ; des personnes
abfentes ou même mortes ne s’offriront point
u l’improvifte à ma vue ; tandis que tout cela, 6c même
des chofes étranges , contraires à toutes les lois
de l’ordre & de la nature,fe produifent dans les fonc’eft
donc là le critérium que nous avons pour
fliftinguer ces deux états ; 6c de la certitude même
de ce critérium vient un double embarras, où l’on
femble quelquefois fe trouver d’un côté pendant la
veille, s’il fe préfente à nous quelque chofe d’extraordinaire
, & q u i , au premier coup d’oe il, foit
inconcevable ; on fe demande à foi-même, eft-ce que
Ie r®v(e - fe tâte, pour s’affurer qu’on eft bien
eveille ; de l’autre, quand un fonge eft bien net, bien
ne , & qu’il n’a raflemblé que des chofes bien pofli-
*a nature de celles qu’on éprouvé étant bien
eveiüe; on eft quelquefois en fufpens, quand le fonge
elt fini, l u i - la réalité ; on auroit du penchant à croire
que les chofes fe font effectivement paffées ainfi; c’eft
le tort de notre ame, tant qu’elle eft embarraffée des
organes du corps", de ne pouvoir pas démêler exac-
B m H m de ies opérations : mais comme le développement
de nos organes r " ' , , -----■ inivouuas aa. JfLadiltl pUatllilfer d’un
fonge perpétuel 6c fouverainemçnt confus, à
rniparti de fonges6c de vérités, il fautefperer que
notre mort nous élevera à un état où la fuite de nos
idees continuellement claire 6c perceptible ne fera
plus entrecoupée d aucun fommeil, ni même d’aucun
fonge : ces réflexions font tirées d’un tjfai fur Us fin-,
ges , par M. Formey.
Songe v énérien, (Médec.) maladie que Coelius
Aurelianus appelle en grec ompoyovâç. Hippocrate dit
aufli o v tip p itavoir des fonges vénériens.Ce n’eft point
une maladie, dit Coelius Aurelianus, ni le fymptome
d une maladie, mais l’effet des impreflions de l’imagination
, qui agiffent durant le fommeil. Cet état
vient ou de beaucoup de tempérament , de l’ufage
des plaifirs de l’amour , ou au contraire d’une conti-
tinence outree. Il demande différens traitemens félon
fes caufes. Chez les uns il faut détourner l’imagination
des plaifirde l’amour, &c la fixer fur d’autres
| objets. Les anciens faifoient coucher les perfonnes
! fujet tes à l’oneirogonie dans un lit dur, lui preferi-
: voient des remedes rafraîchiffans , des alimens in-
craffans, des boiffons froides 6c aftringentes, le bain
froid , 6c lui appliquoient fur la région des lombes
des éponges trempées dans de l’oxicrat. Quelques-
uns ordonnoient au malade de fe coucher avec la
veffie pleine, afin qu’étant de tems-en-tems éveillé,
il perdit les impreflions des plaifirs de l’amour qui
agiffent dans le fommeil ; mais cette méthode feroit
plus nuifible qu’utile, parce qu’une trop longue rétention
d’urine peut devenir la caufe d’une maladie,
pire que celle qu’il s’agit de guérir. (D . ƒ.)
Songe , {Critique facrée.') il eft parlé dans l’Ecriture
de fonges naturels & furnaturels ; mais Moïfe
defend également de confulter ceux qui fe méloient
d’expliquer les fonges naturels, Lévit. x ix .zC . 6c les
furnaturels, Deuter. xiij. /. C ’ëtoit à Dieu & aux
prophètes que dévoient s’adreffer ceux qui faifoient
des fonges pour en recevoir l’interprétation. Le grand
prêtre revêtu de l’éphod, avoit aufli ce beau privilège.
On lit plufieurs exemples de fonges furnatiirels dans
l’Ecriture ; le commencement de l’évangile de faint
Matthieu en fournit feuldeüx exemples:l’ange du Seigneur
qui apparut à Jofeph en fonge, & l’avis donné
aux mages enJ'onge , de ne pas retourner vers Hé-
rode.
Les Orientaux faifoient beaucoup d’attention aux
fonges ; & ils avoient des philofophes qui fe van-
toient de les expliquer ; c’étoit un art nommé des
Grecs onéirocriûque. Ces philofophes d’Orient ne
prétendoient point deviner la fignification des fonges
par quelque infpiration, comme on le voit dans
l’hiftoire de Daniel. Nabuchodonofor preffant les
mages des Chaldéens de lui dire le fonge qu’il avoit
eu , & qii’il feignoit avoir oublié , iis lui répondirent
qu’il n’y a que les dieux qui le favent, 6c qu’aucun
homme ne pourroit le dire ; parce que les dieux ne fe
communiquent pas aux hommes, D aniel, if. n. Les
mages ne prétendoient donc point être infpirés.Leur
fciénce n’étoit qu’un art qu’ils étudioient, 6c par lequel
ils fe perfuadoient pouvoir expliquer les fonges.
Mais Daniel expliqua le fonge de Nabuchodonofor
par infpiration ; ce qui fit dire au prince, que l’efprit
des faints dieux étoit en lui.
Il ne faut pourtant pas déguifer au fujet du fonge
de Nabuchodonofor, qu’il y a une contradiction apparente
dans le ch. iv. v. y. & 8. & le ch. ij. v 5 . &
iz. du livre qui porte le nom de Daniel. On rapporte,
au ch. iv. l’édit de Nabuchodonofor, par lequel il dé-,,
fend de blafphémer le Dieu des juifs. 11 y fait le récit
de ce qui s’étoit paflé à l’occafion du fonge qu’il,
avoit eu. Il déclare qu’ayant récité ce J'onge aux phi-.
lofophes ou mages de Chaldée, aucun d’eux n’avoit
pu le lui expliquer, 6c que l’ayant enfuite récité à