7 2 * à I L .
■ Les rois doivent être honorés.
Louis X V . ejl roi.
Donc Louis X V . doit être honoré.
li t que cette propofition, lu loi divine commande, qui
.paroiffoit la principale, n’eft qu'une propofition incidente
à cet argument , à laquelle elle lert de
preuve.
Il faut obferver qu’il y a beaucoup de fyllogifmes
complexes, dont toutes les propolitions paroiffent
négatives , & qui néanmoins font très-bons ; parce
qu’il y en a une qui n’eft négative qu’en apparence,
comme on le peut voir par cet exemple.
Ce qui n'a point de parties ne peut périr parla
dijfolution de fesparties :
Notre ame n’a point de parties:
Donc notre ame ne peut périr par la dijfolution de
fes parties..
Il y a des perfonne9 qui apportent ces fortes de
Jyllogifmes pour montrer que l’on ne doit pas prétendre
que cet axiome de logique , on ne conclut rien de
pares négatives, foit vrai généralement 8c fans diftin-
éHon. Mais ils n’ont pas pris garde que dans le fens,
la mineure de ce fyllogifme 8c autres femblables , eft
affirmative, parce que le moyen , qui eft le fujet de
la majeure, en eft l’attribut. Or le fujet de la majeure
comprend tous ces mots , ce qui n’a point de parties.
D o n c , pour que le moyen terme, qui eft le prédicat
dans la mineure , foit le même que dans le majeure ;
il doit être compofé des mêmes mots, ce qui n'a point
de parties. Ce qui étant, il eft manifefte que pour faire
de la mineure une propofition , il faut y.fous-enten-
dre le verbe ejl, qui fervira à unir le fujet 8c l’attribut
, 8c qui rendra par conféquent cette propofition
affirmative. Il importe peu qu’il y ait une négation
dans une propofition complexe. Elle confervera toujours
fa qualité d’affirmative, pourvu que la négation
ne tombe pas fur le verbe de la propofition principale
, mais fur la complexion, foit du fujet, foit du
prédicat. Ainfi, le fens de la mineure en queftion
' eft : notre ame eft une chofe qui n’a point de parties.
L’auteur de Part de penfer donne une réglé plus générale
, & par-là plus fimple, pour juger tout-d’un-
coup de la bonté ou du vice des fyllogifmes complexes
, fans avoir befoin d’aucune réduction. Cette réglé
eft qu’une des deux prémiffes contienne la con-
çlufion, 8ç que l’autre prouve qu’elle y eft contenue.
Comme la majeure eft prefque toujours plus générale
, on la regarde d’ordinaire comme la propofition
contenante, & la mineure comme applicative.
Pour les fyllogifmes négatifs, comme il n’y a qu’une
propofition négative, & que la négation n’eft proprement
enfermée que dans la négative , il femble
qu’on doive toujours prendre la propofition négative
pour la contenante , & l’affirmative feulement pour
l ’applicative.
Il n’eft pas difficile de montrer que totites les réglés
. tendent à faire voir que la conclufion eft contenue
-dans l’une des premières propofitions, 8c que l’au-
tre le fait voir. Car toutes ces réglés fe réduifent à
. deux principales, qui font le fondement des autres.
..L’une, que nul terme ne peut être plus général dans la
conclufion que dans les prémiffes. Or cela dépend vi-
fiblement de ce principe général, que les prémiffes
■ doivent contenir 'la conclufion. Ce qui ne pourrait pas
£tre, fi le même terme étant dans les prémiffes 8c
dans la conclufion, avoit moins d’étendue dans les
prémiffes que dans la conclufion. Car le moins gé-
' itérai ne contient pas le plus générât L’autre réglé
^générale eft , que le moyen doit être pris au-moins une
'J'ois univerfellement. C e qui dépend encore de ce principe,
que la conclufion doit être contenue dans les pré-
pitffes. Ca r, fuppofons que nous ayons à prouver que
qutlqu'ami de Dieu ejl pauvre fie que nous nous fervions
pour cela de cette propofition, quelque faint ejl pauvre;
je dis qu’on ne verra jamais évidemment que
cette propofition contient la conclufion , que par
une autre propofition, où le moyen qui eft faint foit
pris univerfellement. Car il eft vifible, qu’afîn que
cette propofition, quelque faint eft pauvre, contienne
la conclufion , quelque ami de Dieu ejl pauvre, il faut
' que tout faint foit ami de Dieu. Nulle des prémiffes
ne contiendroit la conclufion, fi le moyen étant pris
particulièrement dans l’une des propofitions, il n’é-
toit pris univerfellement dans l’autre. Lifez le onzième
chapitre de la troifieme partie de l’art de penfer
; & vous y verrez cette réglé appliquée à plu-
fieurs fyllogifmes complexes.
Les fyllogifmes conjon&ifs ne font pas tous ceux
dont les propofitions font conjonttives ou compO-
fées ; mais ceux dont la majeure eft tellement com-
pofée qu’elle enferme toute la conclufion. On peut
les réduire à trois genres , les conditionnels, les dif».
jonftifs 8c les copulatifs.
Les fyllogifmes conditionnels font ceux où la majeure
eft une propofition conditionnelle, qui coitj
tient toutes les conclufions, cojnme
S ’i l y a un D ieu, il U faut aimer :
Or il y a un Dieu :
Donc il le faut aimer.
La majeure a deux parties ; la première s’appelle
l’antécédent; la fécondé le conféquent. C e ,fyllogifme
peut être de deux fortes ; parce que de la même majeure
on peut former deux conclufions.
La première eft,quand ayant affirmé le conféquent
dans la majeure, on affirme l’antécédent dans la mineure
félon cette réglé, enpofant P antécédentyOn pofls
le conféquent.
Si la matière ne peut fe mouvoir d1 elle-même, il faut
que le premier mouvement lui ait été imprimé par.
Dieu.
Or la matière ne peut fe mouvoir d’elle-meme :
I l faut donc que le premier mouvement lui ait été
imprimé par Dieu.
La fécondé forte eft, quand on ôte le conféquent
pour ôter l’antécédent, félon cette réglé, ôtant l»
conféquent, on ôte P antécédent.
S i quelqiiun des élus périt, Dieufe trompe .*
Mais Dieu ne fe trompe point :
Donc aucun des élus ne périt.
Les fyllogifmes disjon&ifs font ceux où la majeure
eft disjon&ive, c’eft-à-dire,partagée en deux membres
ou plus.
La conclufion eft jufte quand on obferve cette réglé
; en niant tous les membres, excepté un feul, ce dernier
ejl affirmé; ou en affirmant un feu l, tous les autres
font niés. Exemple.
Nous fommes au printems, ou en été , ou en autont*.
ne, ou en hiver :
Mais nous ne fommes ni au printems ,• ni en ata-,
tomne , ni en été.
Donc nous fommes en hiver.
Cet argument eft fautif, quand la divifiort dans la
majeure n’eft pas complette : car s’il y manqiioit
une feule partie, la conclufion neferoitpâs jufte,
comme on le peut voir dans e t fyllogifme.
I l faut obéir aux princes en ce qu’ils commandent
contre la loi de Dieu , ou fe révolter contre eux:
Or il ne faut pas leur obéir en ce qui ejl contre la las
de Dieu :
Donc ilfaut fe révolter contre eux.
ou Or il ne faut pas fe révolter contre eux £
S Y L ï)ohc i l faut leur obéir en ce qui eft contre la loi de
Dieu.
Les Jyilogifmes copulatifs ne font que d’une forte,
qui eft quand on prend une propofition copulative
niante, dont enfuite on établit une partie pour ôter
l’autre.
Un homme n'eftpas tout enfenrble ferviteur de Dieu-.
& idolâtre de fon argent :
Or P avare ejl idolâtre de fon argent :
Donc i l n’ejl pas ferviteur de Dieu.
Car cette forte de fyllogifme ne conclut point né-
Ceffairement, quand on ôte une partie pour mettre
l’autre ; comme on peut voir par ce raifonnement tiré
de la même propofition.
Un homme n’ ejl pus tout enfemb le ferviteur de Dieu
& idolâtre de l'argent :
Or les prodigues ne font point idolâtres de l ’argent
;
Donc ils font ferviteurs de Dieu.
Un fyllogifme parfait ne peut avoir moins de trois
propofitions : mais cela n’eft vrai que quand on
conclut abfolument, & non quand on ne le fait que
conditionnellement ; parce qu’alors la feule propofition
conditionnelle peut enfermer une des prémiffes
outre la conclufion, 8c même toutes les deux : prenons
pour exemple ce fyllogifme.
Tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts ejl
raboteux :
Or la lune réfléchit la. lumière de toutes parts,
Donc la lune ejl un corps raboteux.
Pour Conclure conditionnellement -, je n’ai befoin
que de deux propofitions.
Tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts
ejl raboteux :
Donc f l la lune réfléchit la lumière de toutes parts,
c'ejt un corps raboteux.
Je puis même renfermer ce raifonnement en une
feule propofition ; ainfi,
Si tout corps qïti réfléchit la lumière de toutes .parts
eft raboteux , 6* que la liine la réjléchijj'e ainfi ; il
faut avouer que ce n ejl point un corps poli i mais
raboteux.
Toute la différence qu’il y a entre les fyllogifmes
abfolus, 8c ceux dont la condition eft enfermée avec
l’une des prémifles dans une propofition conditionnelle
, eli que les premiers ne peuvent être accordés
tout entiers, que nous ne demeurions d’accord de ce
qu’on- nous vouloit perfuader: au lieu que dans lés ,
derniers, on peut accorder tou t, fans que celui qui
les fait ait encore rien gagné ; parce qu’il lui refte à
prouver, que la condition d’où dépend la conléquen-
ce qu’on lui accorde eft véritable.
Et ainfi ces argumens ne font proprement que des
préparations à une conclufion abfolue: mais ils font
àuffi très-propres à cela ; 8c il faut avouer que ces
maniérés de raifonrier font très-ordinaires 8c très-naturelles
; & qu’elles ont cet avantage , qu’étant plus
éloignées de l’air de l’école, elles en font mieux re^
çues dans le monde.
Le plus grand ufage de ces raifonnemens, eft d’o-
blig er celui à qui on veut perfuader une chofe, de j
reconnoître, i ° . la bonté d’une conféquenee qu’il
peut accorder, fans s’engager encore à rien , parce
qu’on ne luipropofe que continuellement ,& leparée
de la vérité matérielle, pour parler ainfi de ce qu’elle
contient & par-là on le difpofe à recevoir plus facilement
la conclufion abfolue qu’on en tire. Ainfi,
une perfonne m’ayant avoué- que nulle matière ne V
T cm X V .
S Y L pehfe, j’en conclurai, - donc f i Pâme des bêtes penfe il
faut, qu’elle foit diftincle de la matière; & comme il ne
pourra pas me nier cette conclufion conditionnelle
j’en pourrai tirer l’une ou l'autre de ces deux confé-
quences abfoiues : or Pâme des bêtes penfe : donc elle
ejl diflincie de la matière. Ou bien au-coritraire : or
Pâme des bêtes n'efl pas diftincle de la, matière ; donc elle
ne penfe pas.
On voit par-là, qu’il faut quatre propofitions, afin
que ces fortes de raifonnemens foient achevés , 8c
qu’ils établiftènt quelque chofe abfolument. V o y e ? la
logique de Port-Royal.
Il fe préfente ici naturellement une queftion, fa-
voir, fi les réglés des Jyllogifmes, qu’on explique avec
tant d’appareil dans les écoles, font auffi néceffaires
qu’on le dit ordinairement pour découvrir la vérité.
L’opinion de leur inutilité eft îa plus grande de toutes
les héréfies dans l’école ; hors d’elles point de fa-
lut. Quiconque erre dans les réglés, eft un grand
homme ; mais quiconque découvre la vérité d’une
maniéré fimple par la connexion des idées claires &c
diftinétes que nous fournit l’entendement, n’eft qu’un
ignorant. Cependant, fi nous examinons avec un
peu d’attention les aâions de notre efprit, nous dé-1
couvrirons que nous raifonnons mieux & plus clairement
, lorfque nous obfervons feulement la connexion
des preuves , fans réduire nos penfées à une
réglé ou forme de fyllogifme. Nous ferions bien malheureux
, fi cela étoit autrement ; la raifon feroit
alors le partage de cinq ou fix pédans, de qui elle ne
fut jamais connue. Je ne crois pas qu’on s’amufe à
chercher la vérité par \e fyllogifme dans le cabinet
des princes, où les affaires qu’on y décide, font d’af-
fez grande conféquenee pour qu’on doive y employer
tous des moyens néceffaires pour raifonner & conclure
le plus juftement qu’il eft poffible : & fi le fy llogifme
étoit le grand infiniment de la raifon, & le
meilleur moyen pour mettre cette faculté en exercice
, je ne doute pas que les princes n’euffent exigé
que leurs confeillers d’état appriffent à former des
Jyllogifmes dans toutes les efpeces , leur royaume &
four perfonne même, dépendant des affaires dont on
délibéré dans leurs confeils. Je ferojs fort étonné
qu’on voulût me prouver que le reverend pere pro-
fefièur de philôfophie du couvent des eordeliers
grand & fubtil feptifte , fut auffi excellent miniftrl
que le cardinal de Richelieu, ou Mazarin , qui, à
coup sûr, ne formoiént pas un Jyilogif me dans les réglés
auffi-bien que lui. Henri IV. a ,été un des plus
grands princes qu’il y ait eu. Il avoir âiitant de pru-
nence,debon fens & de jufteffe d’efprit,qu’il ayoitde
valeur. Je ne penfe pourtant pas qu’on le fpupçonne
jamais d'avoir fu de fa vie ce quec’étoit qu’un fyllo-
gifme. Nous voyons tous les jours une quantité de
gens , dont les raifonnemens font nets, juftes ôc
précis , & qui n’ont pas la mpindre cbnnoiffance
des réglés de la logique.
M. Loke dit avoir connti un homme y qui : malgré
l’ignorance profonde où il étoit de toutes; les réglés
de fyllogifme, appercevoit d’abord la foibleffe & les
faux raifonnemens d’un long dilcours artificieux 6c
plaufible, auquel d’autres gens exercés à toutes les
fineffes de la logique fe font laiffés attraper.
*< Ges fubtilités, dit Seneque eri parlant des ami-
» mens, ne férvent point à éclaircir leŸ"difficult?s ,
» 8c ne^ peuvent fournir aucune véritable décifion ;
f> l’efprit s’en fert comme ‘d’un jouet' qui l’amufie ,
» niais qui ne lui eft d’aucune utilité ; ê£ là bpnne &
» véritable philôfophie en reçoit lin très-grand dom-
» mage» S’il eft pardonnable dé s’amufef quelquefois
« à de pareilles fadaifés-j c’eft lorfqu’on à dû tems à
» perdre ; cependant elles'font toujours perniciëù-
» fos , car on fe làiffé aifemeht -féduire à leur clin-
Y Ÿ y y i j
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