§. i. Divijion du Sen s littéral. « Le fens littéral 1
» eft donc dé deux fortes. I
i. » Il y a un fens littéral rigoureux ; c’eft le fens
» propre d’un mot, c’eft la lettre prife à la rigueur,
»firiclè. '
a. » La fécondé efpece de fens littéral, c’eft celui
»'que les expreffions figurées dont nous avons parle,
» préfentent naturellement à l’efprit de ceux qui en-
» tendent bien unejangue ; c’eft un fens littéral
» gu-ré : par exemple , quand on dit d’un politique ,
» qu'il féme à - propos la divijion entre fes propres
» ennemis, ferner ne fe doit pas entendre à la rigueur
» félon iefens propre , & de la même maniéré qu’on
» dit femer du blé : mais ce mot ne laiffe pas d’avoir
» un fens littéral, qui eft u a fins figuré qui fe pré-
» fente naturellement à l’efprit. La lettre ne doit pas
» toujours être prife à la rigueur ; elle tue, dit faint
» Paul , II. Cor. iij. 6. On ne doit point exclure
» toute Jignification métaphorique 8c figurée. Il faut
» bien fe garder , dit S. Auguftin , de doclr. chrift.
» l. III. c. v. tom. III. Paris, 1685 , de prendre à
» la lettre une façon de parler figurée ; 8c c’eft à cela
» qu’il faiit appliquer xe paflage de S. Paul, la lettre
y, tue & Üejprit donne la vie. In principio cavendum
» ejl ne figuratam locutionem ad litteram dccipias ; &
» ad hoc enim pertinet quod ait apoflolus , littera oc-
» cidit, fpiritus autem vivificat.
» Il faut s’attacher au fens que les mots excitent
» naturellement dans notre efprit , quand nous ne
» fommes point prévenus 8c que nous fommes dans
» l’état tranquille de la raifon : voilà le véritable fens
» littéral figuré ; c’eft celui-là qu’il faut donner aux
» lois , aux canons, aux textes des coutumes , 8c
» même à l’Ecriture-fainte.
»‘Quand J. C. a dit, Luc. ix. Sa. celui qui met la
» main à la charrue & qui regarde derrière lui, n e f
>> point propre pour le royaume de Dieu , on voit
» bien qu’il n’a pas voulu dire qu’un laboureur qui
» en travaillant tourne quelquefois la tê te , n’eft pas
» propre ponr le ciel ; le vrai fens que ces paroles
» préfentent naturellement à l’efprit, c’eft que ceux
» qui ont commencé à mener une vie chrétienne 8c
» à être les difciples de Jefus-Chrift, ne doivent pas
» changer de conduite ni de do&rine , s’ils veulent
» être fauvés : c’eft donc là un fens littéral figuré. Il
» en eft de même des autres paffages de l’évangile ,
» 011 Jefus - Chrift d it, Mat. v. 3$ , de préfenter la
» joue gauche à celui qui nous a frappé fur la droite ,
* » & , ib. 2 . 3 o. de s’arracher la main ou l’oeil qui
» eft un fujét de fcandale : il faut entendre ces paro-
» les de la même maniéré qu’on entend toutes les
» expreffions métaphoriques 8c figurées ; ce ne feroit
» pas leur donner leur vrai fens, que de les entendre
» félon le fens littéral pris à la rigueur ; elles doi-
» vent être entendues félon la fécondé forte de fens
» littéral, qui réduit toutes ces façons de parler fi-
» gurées à leur jufte valeur, c’eft - à - dire , au fens
» qu’ elles avoient dans l’efprit de celui qui a parlé ,■
» 8c qu’elles excitent dans l’èfprit de ceux qui enten-
» dent la langue où l’expreffion figurée eft autorifée
» par l’ufage. Lorfque nous donnons au blé le nom de
» Cérès, dit Cicéron , de nat. deor. lib. I I I . n°. 4/.
» à lin. xvj. & au vin le nom,de Bacchus , nous nous
» fervons d'une façon de parler ufitée en notre langue ,
» 6* perfonne n eft ajj’eç dépourvu de fens pour prendre
» ces paroles à la rigueur de la lettre. . . .
» Il y a fouvent dans le langage des hommes un
» fens littéral qui eft caché, 8c que les circonftances
» des chofes découvrent : ainfi il arrive fouvent que
» la même propofition a un tel fens dans la bouche
♦ > ou dans les écrits d’un certain homme, 8c qu’elle
» en a un autre darfs les difcours & dans les ouvrages
» d’un autre homme ; mais il ne faut pas légèrement
» donner des fens défavantageux aux paroles de ceux
S E N
» qui ne penfent pas en tout comme nous ; il faut
» que ces fens cachés foient fi facilement développés
» par les circonftances, qu’un homme de bon fens
» qui n’eft pas prévenu ne puiffe pas s’y méprendre.
» Nos préventions nous rendent toujours injuftes , -
» 8c nous font fouvent‘prêter aux autres des fenti-
» mens qu’ils détellent auffi .fincerement que nous
» les dételions.
» Au refte, je viens d’obferver que le fens littéral
»figuré eft celui que les paroles excitent naturelle-
» ment dans l’efprit de ceux qui entendent la langue
» oiil’expreffion figurée eft autorifée par l’ufage : ainfi
» pour bien entendre le véritable fens littéral d’un au?
» teur, ilnefuffit pas d’entendre les mots particuliers
» dontils’eft fervi,il faut encore bien entendre les fa-
» çons de parler ufitées dans le langage de cet; auteur;
» fan$ quo i, ou l’on n’entendra point le paflage , ou
» l’on tombera dans des contre-fins. En françois ,
» donner parole , veut dire promettre ; en latin, verbo-
» dare , lignifie tromper : poenas dure alicui, ne, veut
» pas dirq donner de la peine à quelqu'un, lui faire de la
» peine , il veut dire au contraire , être puni par
» quelqu'un , lui donner la fatisfa&ion qu’il exige de
» nous , lui donner notre fupplice en payement,
» comme on paye une amende. Quand Properce dit
» à Cinthie , dabis mihi perfidà poenas , II. eleg. v. 3 .
» il ne veut pas dire, perfide , vous m'aile% caufer bien
» des tourmens , il lui dit au contraire, qu’il la fera
» repentir de fa perfidie., Perfide , vous me le paye-
»re{ : voilà peut-être ce qui répond le plus exaéte-
» ment au dabis mihi poenas de Properce.
» Il n’eft pas poffible d’entendre le fens littéral de
» l’Ecriture fainte, fi l’on n’a aucune connoifl'ance
» des hébraïfmes 8c dés hellénifmes , c’eft-à-dire', des
» façons de parler de la langue hébraïque ôc de la
» langue grecque. Lorfque les interpretes traduifent
» à la rigueur de la lettre, ils rendent les mots- 8c
» non le véritable feus. De-là vient qu’il y a , par
» exemple, dans les pfeaumes, plufieurs verfets qui
» ne font pas intelligibles en latin. Montes D û , p f
»36 >„ne- veut pas dire des montagnes confaçrées à
» Dieu , mais de hautes montagnes ». Voyeç IDIOTISME
& Superlatif.
» Dans le nouveau Teftament même il y a plufieurs
» paffages qui ne faûroient être entendus, fans la
» connoifl'ance des idiotifmes , c’éft-à-dire , des fa-
» çons de parler des auteurs originaux. Le mot hé-
» breu qui répond au mot latin verbùm , fe prend or-
» dinairement en hébreu pour chofe lignifiée par la
» parole ; c’eft le mot générique qui répond à nego-
» tium ou res des Latins. Tran]tamus ufque Bethleem,
» 6* videamus hocV ERBUM quod factum ejl. Luc ij.
» i5. Paffons jufqu’à Bethléem, 8c voyons ce qui y
» eft arrivé. Ainfi lorfqu’au troifieme v erfet, du cha-
» pitre 8 du Deutéronome , il eft dit ( Deus ) dédit
» tibi cibum manna quod ignorabas tu & patres tui ,
» ut ofienderet tibi quod non in folo pane vivat homo ,
» fed in omni verbo quod ègreditür de ore Dei. Vous
» voyez que in omni verbo lignifie in omni re, c’eft-
» à-dire, de tout ce que Dieu d it, ou veut qui ferve de
» nourriture. C ’ eft dans ce même J'ens que Jefus-
» Chrift a cité ce paflage : le démon lui propofoit de
» changer lès pierres en pain ; il n’eft pas néceflaire
» de faire ce changement, répond Jefus-Chrift , car
» l'homme ne vit pas feulement de pain , il fe nourrit
» encore de tout ce qui plaît a Dieu de lui donner pour
» nourriture , de tout ce que Dieu dit qui ftrvira de
» nourriture. Mat. iv. 4. Voilà le fens littéral ; celui
»qu’on donne communément à ces paroles, n’eft
» qu’un fens moral ». ; /'
§ . a. Divijion du SENS fpirituel. « Le fens fpiri-
» tuel eft auffi de plufieurs fortes. 1. Le s en s moral.
» 2. Le SENS allégorique. 3. Le SENS anagogique,
1. Sen s moral, n Le fens moral eft une interprétation
félon laquelle on tire quelque mllru&iort
»pourles moeurs. On tire un fens moral des hiftoi?
y> res , des fables , &c. Il n’y a rien de fi profane dont
» on ne puiffe tirer des moralités, ni rien de fi lé-
» rieux qu’on ne puiffe tourner en burleflque. Telle
» eft la liaifon que les idées ont les Unes avec les au-
» très : ie moindre rapport réveille une idée de mo-
» ralité dans un homme dont le goût eft tourné du
» côté de la morale ; 8c au contraire celui dont l ’i-
» magination aime le burlefque, trouve du burlef-
» que par-tout.
» Thomas .Walleis , jacobin anglois , fit impri-
» mer vers la fin du xv. fiecle, à l’ufage des prédi-
» cateurs , une explication morale des métamôr-
» phofes d’Ovide. Nous avons le Virgile travefti de
» Scaron. Ovide n’avoit point penfé à la morale que
» "Walleis lui prête , 8c Virgile,u’a jamais eu 1 es idées
» burlefques que Scaron a trouvées dans fon Enéide.
» Il n’en eft pas de même des fables morales ; leurs
» auteurs mêmes nous en découvrent les moralités ;
» elles font tirées du tçxte comme une conféquence
» eft tirée de fon principe.
z. S en s allégorique. » Le fens allégorique fe tire
» d’un difcours, q u i, à le prendre dans fon fens pro-
» p re , fign-ifie toute autre chofe : c’eft une hiftoire
» qui eft l’image d’une autre hiftoire , ou de quel-
» qu’-autre penfee. Voyeç Allégor ie.
» L ’efprit humain a bien de la peine-à demeurer
» indéterminé fur les caufes dont il voit ou dont il
» reflent les effets ; ainfi lorfqu’il ne connoît pas les
» caufès, il en imagine 8c le Voilàfatisfait: Les payens-
» imaginèrent d’abord des .caufes frivoles de la plu-
» part des effets naturels : l’amour fut l’effet d’une
» divinité particulière : Prométhée vola le feu du
» ciel : Cérès inventa le blé , Bacchus le vin,. &c.
» Les recherches exa&es font trop pénibles , & ne
» font pas à la portée de tout le monde. Quoi qu’il
» en fo it , le vulgaire J'uperjlitieux, dit le P. Sanadon,
» poèjies - d'H or. t. 1. pag. 5 04 fut la dupe des vi-
»jionnaires qui inventèrent toutes ces fables.
» Dans la fuite , quand les payens commencèrent
» à fe policer 8c à faire des réflexions fur ces hiftoires.
» fabuleufes', il fe trouva parmi eux des myftiqties,
» qui en enveloppèrent les ablurdités fous le voile des
» allégories 8c des fens figurés, auxquels les premiers
» auteurs de ces fables n’avoient jamais perifé.
» Il y a des pièces allégoriques en profe 8c- en vers :
» les auteurs de ,ces ouvrages ont prétendu qu’on leur
» donnât un fens allégorique ; mais dans les hiftoires,
» 8c dans lets autres ouvrages dans lefquels il ne pa-
» roît pas que l’auteur ait longé à l’allégorie , il eft
» inutile d’y en chercher.il faut que les hiftoires dont
» on tire enfuite les allégories, ayent étécompôfées
» dans la vue de l’allégorie ; autrement les ex-plica-
» tions allégoriques qu’on leur donne ne prouvent
» rien , 8c ne font que des explications arbritraires
» dont il eft libre à chacun de s’amufer comme il lui
» plaît, pourvu qu’on n’en tire pas des conféquen-
» cesdangereufes. ■
» Quelques auteurs , Indiculus hijlorico-chronolo-
» gicus, in fabri thefauro , ont trouve uneimage des'
» révolutions arrivées à la langue latine, dans la fia*
» tue que Nabuchodonofor vit en fonge ; Dan. ij.
» 31. ils trouvent dans ce fonge une allégorie de ce
» qui devoit arriver à la langue latine. -
» Cette ftatue. étoit extraordinairement grande ;
» la langue latine n’étoit-elle pas répandue prefque
» par-tout ?
» La tête de cette ftatue étoit d’or , c’eft le fiécle
» d’or de la langue latine ; c’eft le tems de Térence ,
» de C ^élar^ de Cicéron, de Virgile ; en un mot, c’eft
» le fiecle d’Augufte.
» La poitrine 8c les bras de la ftatue étoient d’af-
» gent ; c’eft le fiecle d’argent de la langue latine j
» c’eft déplus là mort d’Augufte jufqü’à la inôrt de
» l’empereuf Trajân, c’eft-à-dire jufqu’environ cent
» ans après Augufte.
» Le ventre 8c les cuifles de la ftatue êtoierit d'âi-
»rain ; c’eft le fiecle d’airain de la langue latine *
»-qui comprend depuis la mort de Trajan, jufqu’à la
» prife de Rome parles Gôths, en 410. '
» Les jambes de la ftatue étoient de fe r , 8c les piés
» partie de fer' 8c partie de terre ; c’eft le fiecle de fef
» de la langue latine , pendant lequel les différentes
» incurfions des barbares plongèrent les hommes
» dans une extrême ignorance ; à-peine la langue la-*
» tine fe conferva-t-elle dans le langage de l’Eglife*
» Enfin une pierre abattit la ftatue ; c ’eft la langue
» latine qui cefla d’être une langue vivante*
» C ’eft ainfi qu’on rapporte tout aux idées dont ort
» eft préoccupe.
» Les fens allégoriques ont été autrefois fort à la ma»
» de,8c ils le font encore en orient;on en trouvoitpar-*
»toutjufque dans les nombres. Métrodore deLamp»
» faque, au rapport de T atien, avoit tourné Homerê
» tout entier en allégories* Oh aime mieux au jour-*
» d’hui la réalité du fens littéral. Les explications myf-
» ,tiques de l’Ecriture-fainte qui ne font point fixées
» par les apôtres , ni établies clairement par la revé-
» lation , font fujettes à des illufions qui mènent au
» fanatifme. Voye%_ Huet, Origenianor. lib. II. qucefli
» 13. pag. iyi. 8c le livre intitulé, Traité du fens îit-
» téral & du fens myfiique , félon la doctrine des peres«
3. Sen s anagogique.«Le fens anagogique n’eft guère'
» en ufage que lorfqu’il s’agit de difterens fens de l’E-
» criture-fainte. Ce mot anagogique vient du grec
» avaycny» , qui veut dire élévation : «Va , dans la
» compofition des mots, fignifie fouvent au>-dtffus ,
» en-haut, ciyuyi] veut dire conduite ; de dyæ, je con-
» duis: ainfi le J'ens anagogique de l’Ecriture-fainte eft
» un fens myfiique qui eleve l’efprit aux objets célef-
» tes 8c divins de la vie éternelle dont les faints jouif»
» fent dans le ciel. Ütij
» Le fens littéral eft le fondement des autres fens
» de l’Ecriture-fainte. Si les explications qu’on en
» donne ont rapport aux moeurs, c’eft le fens moral»
» Si les explications des paffages de l’ancien Te,fta-
».ment regardent l’Eglife 8c les myfteres de notre re-
» ligion par analogie ou reffemblance, c’eft leJ'ens al»
» legorique ; ainfi le facrifice de l’agneau pafcal, le
» ferpent d’airain élevé dans Iedefert, étoient autant
» de figures du facrifice dé la croix.
» Enfin lorfque ces explications regardent l’Ëglifô
» triomphante 8c la vie des bienheureux dans le ciel,
» c’eft le fens anagogique ; c’eft ainfi que le fabbat des
» Juifs eft regardé comme l’image du repos éternel
» des bienheureux.- Ces différens fens qui ne font
» point le fens littéral, ni le fens moral, s’appellent
» auffi en général Sen s tropologique, c’eft-à-direfens
» figuré. Mais, comme je l’ai déjà remarqué, il-faut
» fuivredansle/^allégorique 8c dans lefens anago»
» giqüe ce que la révélation nous en apprend, 8c s’ap-
» pliquer fur-tout à l’intelligence du J'ens littéral, qui
» eft la réglé infaillible de ce que nous devons croire
» Sc pratiquer pour être fauvés ».
VIII. S en s adapté. C ’eft encore M. du Marfais
qui va nous inftruire, Ib. art. x.
« Quelquefois on fe fert des paroles de l’Ecriture*
» fainte ou de quelque auteur profane , pour en faire
» une application particulière qui convient au. fujet
»idont on veut p a rlerm a is qui n’eft pas le fens.m*
» turel 8c littéral de l’auteur dont on les emprunte ;
» c’eft ce qu’on appelle fenfüs accommodatitius, fens
» adapté.
» Dans les panégyriques des faints & dans les oral*
» fonS funèbres, le texte du difcours eft pris ordinai»
»rément dans le fens dont nôus parlons. M. Fléchier,
» dans fon oraifon funèbre de M. de Turenhe, ap