France que depuis environ 1600. Le premier arrêt
<jui l'urvint à ce fujet, fut pour en défendre l’ufage ,
àifë l’on croyoit pernicieux à la fanté ; ce préjugé fut
promptement détruit par la certitude du contraire,
& le goût pour le tabac s’étendit affez généralement
Ck en très peu de tems dans toute l’Europe ; il eft devenu
depuis un objet important de commerce qui
s ’ eft accru de jour en jour. Cette denrée s’eft vendue
librement en France au moyen d’un droit de 30 fols
qu’elle payait à l’entrée jufqu’en 1674,qu’il en a été
formé un privilege exclulif qui depuis a fubfifté pref-
que fans interruption.
A mefure que le goût de cette denrée prenoit faveur
en France , il s’y établiffoit des plantations, on
la cultivoit même avec fuccès dans plufieurs province
s; mais la difficulté, pour ne pas dire i’impoffibi-
lité , de faire concourir cette liberté avec le foutien
du privilege, fit prendre le parti de fupprimer toutes
plantations dans l’intérieur de l’exteniion du privilege
; on s’eft fervi depuis de feuilles de différens crûs
étrangers en proportion 8c en raifon de qualité des
fabriques auxquelles chacun d’eux s’eft trouvé propre
.L
es matières premières que l’on emploie dans les
manufactures de France,font les feuilles de Virginie,
de la Louifiane , de Flandres, d’Hollande , d’Alface,
.du Palatinat, d’Ukraine, de Pologne 8c de Levant.
Les feuilles de l’Amérique en général, 8c furtout
celles connues fous le nom de l'infpcclion de Virginie,
font celles qui pour le corps 8c la qualité conviennent
le mieux à la fabrique des wfozcj deftinés pour la râpe,
celles d’Hollande entrent avec fuccès dans la composition
des mêmes tabacs y parmi tous ces crûs différens
, les feuilles les plus jaunes , les plus légères 8c
les moins piquantes, font celles qui réuffiffent le
mieux pour les tabacs deftinés à fumer, 8c par cette
raifon celles du Levant 8c celles du Mariland y font
très-propres.
Il feroit difficile de fixer le degré de Supériorité
d ’un crû fur l’autre ; cela dépend entièrement des
tems plus ou moins favorables que la plante a effuyés
pendant fon féjour fur terre, de la préparation qui a
été donnée aux feuilles après la récolte, & des précautions
que l’on a prifes enfuite pour les conferver
& les employer dans leur point de maturité ; de même
il ne peut y avoir de procédé fixe fur la compo-
fition des tabacs; on doit avoir pour principe unique,
lorfque'le goût du confommateur eft connu,d’entretenir
chaque fabrique dans la plus parfaite égalité ;
c’eft à quoi on ne parvient qu’avec une très-grande
connoiffance des matières, une attention Suivie fur
la qualitéaCtuelle, non-feulement du c rû, mais, pour
ainfi dire, de chaque feuille que l’on emploie ; l’expérience
diète enfuite s’il convient de faire des mélanges
, 8c en quelle proportion ils doivent être
faits.
Une manufacture de tabacs n’exige ni des machines
d’une méchanique compliquée, ni des ouvriers d’une
intelligence difficile à rencontrer ; cependant les opérations
en apparence les plus fimples demiandent la
plus finguliere attention ; rien n’eft indifférent depuis
le choix des matières jufqu’à leur perfection.
11 fe fabrique des tabacs fous différentes formes qui
ont chacune leur dénomination particuliere 8c leur
ufage particulier.
Les tabacs en carottes deftinés à être rappés 8c
ceux en rolles propres pour la pipe, font l’objet principal
de la confommation.
On fe contentera donc de faire ici le détail des opérations
néceffaires pour parvenir à former des rôles
8c des carottes, 8c on a cru ne pouvoir donner une
idée plus nette & plus précife de cette manoeùvre,
qu’enfaifantpafferle leCteur, pour ainfi dire, dans
chacun des atteliers qui la çompofent, par le moyen
des Planches placées fuivant l’ordre du travail ; avec
une explication relative à chacune.
Mais pour «.’être point arrêté dans le détail de la’
fabrication , il paroît néceffaire dë le faire précéder
de quelques réflexions , tant fur les bâtimens néceffaires
pour une manufacture &c leur diftribution, que
fur les magafins deftinés à contenir les matières pré-;
•mieres 8c celles qui font fabriquées.
Magafins. L’expôfitiôn eft la première de toutes
les attentions que l’on doit avoir pour placer les ma-
gafins ; le foleil 8c l’humidité font également contraires
à la confervation des tabacs.
Lès magafins deftinés pour les matières premières
doivent être vaftes, & il eri faut de deux efpeces,
l’une pour contenir les feuilles anciennes qui n’ont
plus de fermentation à craindre, 8c l’autre pour les
feuilles plus nouvelles qui devant encore fermenter ,
doivent être fouvent remuées , travaillées & empilées
à différentes hauteurs.
La qualité des matières de chaque envoi eft recoft-
nue à Ion entrée dans la manufaâùre, &c les feuilles
font placées fans cOrifufion dans les magafins qui leué
font propres, afin d’être employées dans leur rang,
lorfqu’elles font parvenues à leur vrai point de maturité;
fans cette précaution, on doit s’attendre à n’éprouver
aucun fuccès dans la fabrication,& àeffuyef
des pertes & des déchets ttès-confidérables.
Il ne faudroit pour les tabacs fabriqués que des magafins
dé peu d’étëndûe, fi lés tabacs pouvoient s’e'X-
p’ofer en venté à la fortie de la main de l’ouvrier ;
mais leur féjour en magafin eft un dernier degré de
préparation très-effènti'él ; ils doivent y effuyer ttné
nouvelle fermentation indifpenfable pour revivifier
les fels dont l’aCtivité s’étoit affoupie dans le cours de
la fabrication ; ces magafins doivent être proportionnés
à la confommation , 8c doivent contenir une
provifion d’avance confidérable.
A l’égard de l’expofition, elle doit être la rnêmé
que pour les matières premières, 8c on doit obfer-
ver de plus d’y ménager des ouvertures en oppofi-
tions droites, afin que l’air puiffe y circuler 8c fe re-
nouveller fansceffe.
Bâtimens & atteliers. Les magafins de toute efpecé
dans une manufacture de tabac devant fupporterdes
poids énormes , il eft bien difficile dé pouvoir les établir
affez folidement fur des planchers ; on do it, autant
qu’il eft poffible ,les placer à rez-de-chauffée ; la
plûpart des atteliers de la fabrique font néceffaire-
niënt dans le même cas , parce que lés uns font remplis
de matières préparées entafiées y 8c les autres dé
machines dont l’effort exige le terrein le plus folide ;
ainfi les bâtimens deftinés à l ’exploitation d’une manufacture
de tabac, doivent occuper une fuperficié
confidérable.
Cependant rien n’eft plus effentiél que de ne pas
excéder la proportion néceffaire à une manutention
facile ; fans cette précaution , on fe mettroit dans lé
cas de multiplier beaucoup la main-d’oe uvre, d’augmenter
la perte 8c le dépériffemérit des matières, &C
de rendre la régie plus difficile 8c moins utile.
Operations de là fabrique. I. opération, Epoulardagei
L’époulurdage eft la première de toutes les opération^
de la fabrique ; élle confifte à féparer les manoques
( on appelle mahoque une poignée de feuilles plus ou
moins forté, fuivant l’ufagé du pays, & liée par la
tête par une feuille cordée ) , à les frotter affez foui»
la main pour démaftiqiier les feuilles, les ouvrir, 8C
les dégager des fables 8c de la pouffiere dont elles
ont pu le charger.
Dans chaque manoque ou botte de feuilles de quelque
crû qu’elles viennent, il s’en trouve dé qualités
différentes; rien de plus effentiel que d’en faire un
triage éxaCt ; c’eft de cette opération qüé dépend le
fuccès d’unç manufacture, il' en rëfuite auffi une très*
grande économie par le bon emploi des matières ; on
ne fauroit avoir un chef trop confommé 8c trop vigilant
pour préfider à cet attelier.
Il faut * pour placer convenablement cet attelier,
une piece claire 8c fpacieufe, dans laquelle on puiffe
pratiquer autant de bailles ou cafés, que l’on admet
de triage dans les feuilles.
Les^ouvriers de cet attelier ônt communément autour
d’eux, un certain nombre de mannes ; le maître-
ouvrier les change lui-même à mefure , les examine
de nouveau, 8c les place dans les cafés fuivant leur
deftination.
Sans cfette précaution, ou les ouvriers jetteroient
les manoques à la main dans les cafés & confonda
ien t fouvent les triages, ou ils les rangeroient par
tas autour d’eux, oîi elles reprendroient une partie
de la pouffiere dont le frottement lésa dépouillées;
MouiUa.dc. La mouillade eft la fécondé opération
de la fabrique, & doit former un attelier féparé, mais
tres-voifin de celui de l’époulardage ; il doit y avoir
meme nombre de cafés, 8c diftribuéescomme celles
de l’époulardage, parce que les feuilles doivent y être
tranfportées dans le même ordre.
Cette operation eft délicate, 8c mérite la plus
grande^attcntiôn ; car toutes les feuilles ne doivent
point etre mouillées indifféremment ; on ne doit
avoir d autre objet que celui de communiquer à celles
qui font trop feches, affez de foupleffe pour paffer
lous les mains des ecoteurs, fans être brifées; toutes
celles qui ont affez d’onCtion par elles-mêmes pour
foutenir cette épreuve , doivent en être exceptées
avec le plus grand foin.
On ne fauroit en général être trop modéré fur la
mouillade des feuilles, ni trop s’appliquer à leur conferver
leur qualité première.& leur fève naturelle.
Une légère humeCtation eft cependant ordinairement
neceffaire dans le cours de la fabrication, & on
en fait ufage dans toutes les fabriques ; chacune a fa
préparation plus ou moins compoiëe; en France, où
on s’attache plus particulièrement au choix des matières
premières , la compofition des faucës eft fim-
ple 8c très-connue ; on fe contente de choifir l’eau la
plus nette 8c la plus favenneufe à laquelle on ajoute
une certaine quantité de fel marin proportionnée à
la qualité des matières.
^ L Ecotage. L’ecotage eft Popération d’enlever la
côte principale depuis le fommet delà feuille jufqu’au
talon, fans offenfer la feuille ; c’eft une opération fort
aifée, 8c qui n’exige que de l’agilité & de la foupleffe
dans les mains de l’ouvrier; on fe fertpar cette raifon
par préférence , de femmes, & encore plus volontiers
d enfans qui dès l’âge de fix ans peuvent y être
employés; ils enlevent la côte plus nette, la pincent
mieux 8c plus vite ; la beauté du tabac dépend beaucoup
de cette operation; la moindre côte qui fe trouve
dans les tabacs fabriqués, les dépare, 8c indifpo-
fe les confommateurs ; ainfi on doit avoir la plus
finguliere attention à n’en point fouffrir dans la maffe
des déchets, & on ne fauroit pour cet effet les examiner
trop fouvent, avant de les livrer aux fileurs.
On doit obferver, que quoique la propreté foit
effentieîle dans tout le cours de la fabrication, 8c
contribue pour beaucoup à la bonne qualité du tabac,
elle eft encore plus indifpenfable dans cet attelier
que dans tout autre ; on conçoit affez combien l’efpe-
ce d’ouvriers que l’on y emploie, eft fufpeCte à cet
égard ,8 c a befoin d’être furveillée.
. On choifit dans le nombre des feuilles qui paffent
journellement en fabrique, les feuilles les plus larges
& les plus fortes, que l’on referve avec foin pour
couvrir les tabacs ; l’écotage de celles-ci forme une ef-
p e c ed attelier à part, qui fuit ordinairement celui
des meurs, cette opération demande plus d’attention
que 1 ecotage ordinaire, parce que les feuilles doivent
être plus exactement écotées fur toute leur longueur
, & que fi elles venoient à être déchirées, elles
ne feroient plus propres à cet ufage : on diftingu*
ces feuilles en fabrique -, par le mot de robes.
Toutes les feuilles propres à faire des robes, font
remifes , lorfqu’elles font écotées , aux pfieUrs.
L’opération du plieiir confifte à faire un p li, ou
rebord du coté de la dentelure de la feuille , afin
qu’elle ait plus de réfiftance j 8c ne déchire pas fous
la main du fileur.
Déchets. Le mot de dechet eft un terme adopté dans
les manufactures, quoique très-contraire à fa fmnifii
cation propre : on appelle ainfi la maffe des feuilles
tnees, écotées , qui doivent fervir à compofer les
tabacs de toutes les qualités;
Ces déchets font tranfportés de nouveau dans ia fat
le de la mouillade ; c’eft alors que l’on travaille aux
mélanges j opération difficile qui ne peut être-conduite
que par des chefs très-expérimentés 8c très-
eonnoiffeurs.
Il ne leur fuffit pas de connoître le cru des feuilles
8c leurs qualités diftinCtives , il y a très-fréquemment
des différences marquées , pour le goût, pour
la fèv e, pour la couleur, dans les feuilles de même
cru & de même récolte;
Ce font ces différences qu’ils doivent étudier poulies
corriger par des mélanges bien entendus ; c’eft le
feul moyen d’entretenir l’égalité dans la fabrication,
d’oii dépendent principalement la réputation 8c l’ac-
croiffement des manufactures;
Lorfque les mélanges font faits, on les mouillé
par couche très-légerement , avec la même faucé
dont on a parlé dans ¥ article de la mouillade, & avec-
les mêmes précautions, c’eft-à-dire uniquement pour
leur donner de la foupleffe , 8c non de l’humidité.
On les laiffe ainfi fermenter quelque tems, jufqu’à
ce qu’elles foient parfaitement reffuyées ; bientôt la
maffe prend le même ton de couleur’, dégoût, 8c de
fraîcheur : alors on peut la livrer aux fileurs.
Attelierde fileurs. Il y a deux maniérés de filer le
tabac, qui font également bonnes , 8c que l’on emploie
indifféremment dans les manufactures ; l’une
s’appelle_/z&r à laftançoife, 8c l ’autre à la hollandoi-
fe ; cette derniere eft la plus généralement en ufage ;
la manufacture de Paris , fur laquelle la Planche qui
répond à cet attelier a été deffinée , eft montée à là
hollandoife.
Il n’y a aucune préférence à donner à l’une ou l’autre
de ces maniérés, pour la beauté ; ni pour la qualité
du tabac ; il n’y a de différence que dans la manoeuvre
, 8c elle eft abfolument imperceptible aux
yeux. La facilité ou la difficulté de trouver des ouvriers
de l’une ou l’autre efpece t décident le choix;
L’opération de filer le tabac à la hollandoife, confifte
à réunir lesfoapes enfembles, par le moyen d’un
rouet, & de les couvrir d’une fécondé robe, qui les
enveloppe exactement.
La foupe eft une portion de tabac filé à la main, dé
la longueur d’environ trois piés, 8c couverte d’une
robe jufqu’à trois ou quatre pouces de chaque extrémité
, ce font les chevelures des bouts que le fileur
doit réunir 8c hanter l’un fur l’autre.
L’habileté du fileur eft de réunir ces foupes de
maniéré que l’endroit de la foudure foit abfolument
imperceptible ; ce qui conftituela beauté du filage eft
que le boudin foit toujours d’une groffeur bien égale ,
qu’il, foit bien ferme, que la couverture en foit liffe
oc bien tendue, 8c par-tout d’une couleur brune &
uniforme.
Le refte de la manoeuvre eft détaillé dans la Planche
, de la maniéré la plus exafte.
Les fileurs font les ouvriers les plus effentiels d’une
manufacture , & les plus difficiles à former ; il
faut pour cette opération des hommes forts 8c net