
à portée de foulager le peuple 6c d’encourager la nation,
&c.
Réponfes. Il ne s’agit pas ici de fçavoir par quels
moyens on parvient à la remife d’une partie des tributs
: il eft encore moins nécefiaire d’établir qu’en
accordant d’un côté , il faut reprendre d’un autre.
Mais j’examine fi le fouverain, quand il peut 6c qu’il
veut retarder la levée de l’impôt, eft plus en état de
le faire dans la régie, que dans h ferme ; je nie décide
pour l’affirmative. En effet, s’il juge à-propos d’accorder
des modérations en affermant, il faut qu’il
revienne fur un arrangement confonimé, qu’il change
des difpofitions arrêtées, qil’il renonce à la defti-
nation déjà faite de revenus fixes , 6c qu’enfin, il in-
tervertiffe l’ordre qu’il'a voit établi : ce qui exige ainfi
des opérations contraires à celles qui ont été faites
découle naturellement d’une régie qu’on prefl'e ou
qu’on retient conformement aux circonftances.
T roi fume principe de M. de Montejquieu. « Par la re-
» gie, le prince épargne à l’état les profits immenles
» des fermiers qui l’appauvrifl'ent d’une infinité de ma-
»> nieres.
Obfcrvations. Ce que la ferme abforbe en profits ,
la régie le perd en frais; enlorte que ce que l’état dans
le dernier cas gagne d’un côté, il le perd de l’autre.
Qui ne voit un" objet que fous un feul afp eft, n’a pas
tout v u , n’a pas bien vu : il faut l'envifager fous toutes
les faces. On verra que 1 e fermier n’ exigera trop,
que parce qu’il ne fera pas furveillé ; que le régijfeur
ne fera des frais immenfes , que parce qu’il ne fera
point arrêté. Mais l’un ne peut-il pas être excité , ne
peut-on pas contenir l’autre ? C’elt aux hommes d’état
à juger des obftacles & des facilités , des incon-
véniens 6c des avantages qui peuvent j fe trouver
dansl’une& dans l’autre des ces opérations : mais on
ne voit pas les raifons de fe décider en faveur de la
régie auffi promptement, aufii pofitivement, que le
fait l’auteur de Y Efprit des lois.
Réponfes. C’ eft lûrement ne pas tout v o ir , ne pas
bien v o ir , que d’afîurer que la régie perd en frais, ce
que la ferme abforbe en profits. Il a été démontré plus
haut que le régiffcur fait peu de frais, parce qu’il n’a
aucun intérêt au produit que rendent ces frais : à lumières
égales, fon adminiftrationfera donc plus douce
6c moins chere que celle du fermier. Que fera-ce
fi l’on veut comparer ce que coûtent à l’état les profits
de c e lu i- c i, avec le montant des appointemens
de l’autre ? Si c’eft aux hommes d’état qu’il appartient
de décider fur cet o bjet, perfonne n’en conteftera,
je crois, le droit à M. de Montefquieu. Dans cette oc-
eafion il ne falloit que calculer; il le fit, & il prononça.
Quatrième principe de M. de Montefquieu. «■ Par la
» régie, le prince épargne au peuple un fpeftacle de
» fortunes lubires qui l’afflige.
Obfervaùons. C’eft moins le fpeftacle de la fortune
de quelques particuliers qu’il faut épargner au
peuple, que l’appauvriffement des provinces entières.
Ce font moins aufii les fortunes fubites qui frappent
le peuple, qui l’étonnent 6c qui l’affligent, que
les moyens d’y parvenir 6c. les abus que l’on en fait.
Le gouvernement peut en purifier les moyens, 6c
l’on eft puni des abus par le ridicule auquel ils expo-
fent, fouvent même par une chute qui tient moins
du malheur que de l’humiliation. Ce ne font point là
des raifons de louer ou de blâmer ,de rejetter ou d’admettre
la régie ou la ferme. Une intelligence , une in-
duftrie aftive, mais louable & renfermée dans les bornes
de la juftice 6c de l’humanité , peut donner au
fermier des produits honnêtes , quoique confidéra-
bles. La négligence & le defaut d’économie rendent
le régijfeur d’autant plus coupable de l’affoibliffement
de la recette & de l’augmentation de la dépenfe, que
l’on ne peut alors remplir le vuide de l’une, 6c pourvoir
à l’excédent de l’autre , qu’en chargeant le peuple
de nouvelles impofitions ; au lieu que l’enrichif-
lement des fermiers laiffe au moins la reffource de
mettre à contribution leur opulence 6c leur crédit.
Réponfes. Les fortunes exceffives de quelques particuliers
n’attriftent pas par elles-mêmes, ce font les
images qu’elles préfentent avec elles, la difette du
peuple & la dépopulation des provinces, les fonde-
mens fur lefquels elles font élevées , les matériaux
dont elles font conftruites , les moyens qui les con-
fervent & les augmentent ; voilà ce qui porte le dé-
fefpoir dans le coeur des fujets. « La matière des trou-
» blés, dit Bacon, eft dansla mifere publique 6c dans
» le mécontentement univerfel ». Les émigrations,
les terres en friche, le germe de l’état defleché ; telles
font les conféquences de ces richeffes. Elles doivent
donc infpirer l’effroi : le ridicule fuffit-il alors
pour punir des abus aufii violens ? Les riches font-ils
ful'ceptibles d’une punition que tout le monde leur
inflige au loin, mais que perfonne ne leur dénonce ?
Ce maux ne fe trouvent que dans la ferme. M. de Montefquieu
les a confidérés fous le même point de vue
que le roi qui nous gouverne. « Les fortunes immen-
» fes 6c précipitées des gens d’affaires (édit de 1716)
» l’excès de leur luxe 6c de leur fafte, qui femble in-
» fulter à la mifere de nos autres fujets , font par
» avance une preuve de leurs malverfations,& il n’eft
» pas étonnant qu’ils diflipént avec profufion, ce
» qu’ils ont acquis avec injuftice : les richeffes qu’ils
» pofl'edent font les dépouilles de nos provinces, la
» iubftance de nos peuples 6c le patrimoine de l’é-
» tat, &c. » L’auteur de YEfprit des Lois ne s’eft pas,
à beaucoup près, exprimé avec tant de févérité, mais
fes maximes étoient celles de l’édit. A l’égard de
cette reffource qui confifte à mettre les riches à contribution
, il femble qu’elle n’ait été employée juf-
qu’ic i, que pour donner lieu à des gains plus rapides,
6c pour faire paffer dans les mains de quelques-uns,
les débris de la vexation. Pour le crédit, qui eft-ce
qui ignore à quelles conditions onéreufes ils l’ont
procuré?
Cinquième principe de M. de Montefquieu. « Par la
» régie l ’argent levé paffe par peu de mains ; il va
» directement au prince, 6c par conféquent revient
» plus promptement au peuple ».
Obfervations. L ’auteur de YEfprit des lois appuie
tout ce qu’il dit fur la fuppofition que le régijfeur opà.
n’eft que trop communément avare de peines & prodigue
de frais, gagne 6c produit à l ’état autant que
le fermier y qu’un intérêt perfonnel 6c des engagemens
confidérables excitent fans ceffe à fuivre de près la
perception ; mais cette préemption eft-elle bien fondée
? eft-elle bien conforme à la connoiffance que
l ’on a du coeur 6c de l’efprit humain? eft-il bien Vrai
d’ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent
la circulation ? tout ne prouve-t-il pas le
contraire ?
Réponfe. M. de Montefquieu ne fuppofe pas ( ce qui
feroit abfurde relativement à fon axiome) , que le
régijfeur retire- du peuple autant d’argent que le fermier
: il dit Amplement, ce qui eft très-vrai, qu’il
en remet davantage au tréfor royal. Son idée, pour
être entendue, n’avoit pas befoin de cet éclairciffe-
ment. Ce feul moyen paroît d’abord bien efficace
pour moins intercepter la circulation : il n’eft pas
douteux qu’elle eft bien plus vive quand le prince a
l ’argent qu’il eft forcéde répandre promptement juf-
qu’aux extrémités de fon royaume, que lorfque des
fermiers l’enfouiffent dans leurs coffres , Ou le prodiguent
dansla capitale* ■
Sixième principe de M. de Montefquieu. « Par la re-
» gie le prince épargne au peuple une infinité de mau-
» vaifes lois , qu’exige de lui l ’avarice toujours im-*
» portune des fermiers, qui montre un avantage pre-
» lent
» fent pour des reglemens funeftes pourI’avenif.
Obfervaùons. On ne connoît en finances , comme
en d’autres matières, que deux fortes de lois ; les lois
faites , 6c les lois à faire : il faut être exaft à faire
exécuter les unes, il faut être refervé pour accorder
les autres. Ces principes font inconteftables, mais
conviennent-ils à la régie plus qu’à la ferme ? le fermier
va , dit-on , trop loin fur les lois à faire ; mais
le régijjeur ne fe relâche-t-il pas trop fur les lois qui
font faites? on craint que l ’ennemi ne s ’introduife
par la breche, & l ’on ne s ’apperçoit pas que l’on a
laiffé la porte ouverte.
RéponJ'es. Il a déjà été prouvé que l’inéxaftitude à
faire obferver les lois anciennes ne peut, dans aucun
cas , être auffi funefte que l’avarice, qui chaque
jour en obtient de nouvelles. Le fermier abufe également
des unes 6c des autres : il interprète cruellement
celles qui font faites, il en propofe fans ceffe
d’analogues à fon avidité , de façon qu’il corrompt
tout, le paffé 6c le préfent.
Septième principe de M. de Montefquieu. « Comme
» celui qui a l’argent eft toujours le maître de l’autre,
» le traitant fe rend defpotique fur le prince même ;
» il n ’eft pas légiflateur, mais il le force à donner des
» lôis ».
'Obfervaùons. Le prince a tout l ’argent qu’il doit
avoir, quand il fait un bail raifonnable 6c bien entendu.
Il laiffera fans doute aux fermiers qui fe chargent
d ’une fomme confidérable, fixe, indépendante
des événemens par rapport au r o i , un profit proportionné
aux fruits qu’ils doivent équitablement attendre
6c recueillir de leurs frais, de leurs avances, de
leurs rifques 6c de leurs travaux.
Le prétendu defpotifme du fermier n’a point de réalité:
la dénomination du traitant manque de jufteffe;
on s’eft fait illufion fur l’efpece de crédit dont il jouit
effefti vement, il a celui des reffources, 6c le gouvernement
fait en profiter; il ne fera jamais defpotique
quand il fera queftion de faire des lois, mais il re-
connoîtra toujours un maître, quand il s’agira de
venir au fecours de la nation, avec la fortune même
qu’il*aura acquife légitimement:
Réponfes. Peut-on parler des rifques que court le
fermier, 6c des travaux qu’il effuie ? Ne le voit-on
pas au moindre danger folliciterune indemnité ? eft-
ce là fe charger des événemens ? Pour fon travail, il
le remet à des commis, 6c fon opulence eft d’autant
plus fcandaleufe, qu’elle eft le prix de l’oifiveté :
les avances, au moyen de l’intérêt qu’elles lui valent,
font plutôt une charge ruineufe , qu’une reffource
réelle pour l’état.
Je ne vois pas pourquoi la dénomination de traitant
manque de jufteffe ; elle convient à fi es gens qui
traitent avec le roi pour fes revenus. Ce nom n’a pas par
lui-même une acception odieufe ; i l ne la reçoit que
par l’abus que ceux -qui le portent font de leurs
traités.
Une compagnie qui ne prête qu’à un fort intérêt,
qui ne donne d’une main que pour qu’on lui laifl’e la liberté
de faifir de l’autre des droits plus onéreux , qui
répété que les moyens qu’elle fournit, dépendent du
fuccès de fes engagemens, & que ce fuccès tient à
tel ou tel réglement, doit forcer le prince à lui accorder
toutes les lois qu’elle déliré. Elle eft donc bien
loin de la générofité patriotique qu’on s’efforce de
lui attribuer ; elle eft donc defpotique : les expédiens
qu elle fournit, font donc funeftes à ceux qui les reçoivent
, 6c n’ont d’utilité que celle que trouve un
homme obéré, dans la bourle d’un ufurier.
Huitième principe de M. de Montefquieu. « Dans la
» république les revenus de l’état font prefque tou-
» jours en regie ; l’établiffement contraire fut un
» grand vice du gouvernement de Rome. Dans les
* états defpotiques où la régie eft établie , les peu-
Tome XV*
» pies font infiniment plus heureux ; témoins la Per-
» fe & la Chine. Les plus malheureux font ceux où
» le prince donne ^ ferme fes ports de mer 6c fes villes
» de commerce. L’hiftoiredes monarchies eft pleine
» de maux faits par les traitons.
Obfervaùons. Ce feroit un examen fort long, très-
difficile , 6c peut-être affez inutile à faire dans l’efpece
préfente, que de difeuter 6c d’approfondir la queftion
de favoir ce qui convient m ieux, de la ferme ou
de la régie relativement aux différentes fortes de gouvernement.
Il eft certain qu’en tout tems , en tous
lieux , 6c chez toutes les nations , ihfaudra dans l’établiffement
des impofitions , fe tenir ^extrêmement
en referve fur les nouveautés, 6c qu’iffaudra veiller
dans la perception, à ce que tout rentre exaâement
dans le tréfor public , ou , fi l’on v eut, dans celui du
fouverain.
Refte à favoir quel eft le moyen le plus convenable
> de la ferme ou de la régie , de procurer le plus
fûrement 6c le plus doucement le plus d’argent. C’eft
fur quoi l’on pourroit ajouter bien des réflexions à
celles qu’on vient de faire ; 6c c’eft auffi fur quoi les
fentimens peuvent être partagés fans bieffer en aucune
façon la gloire ou les intérêts de l’état ; mais ce
qu’on ne peut faire fans les compromettre, ce feroit
d’imaginer que l’on pût tirer d’une régie tous les avantages
apparens qu’elle préfente , fans la fuivre , 6c
la furveiller avec la plus grande attention : 6c certainement
le même degré d’attention mis en ufage
pour les fermesy auroit la même utilité préfente, fans
compter pour certaines conjonftures, la reffource
toujours prête que l’on trouve, 6c fouvent à peu de
frais , dans l’opulence 6c le crédit des citoyens enrichis.
Reponfes. Il me femble qu’on ne pouvoit mieux
s’y prendre pour débarraffer cette queftion des difficultés
qui à force d’être généralifées , deviendroient
infolubles, que de raffembler des faits 6c d’en tirer
des conféquences. L’expérience eft un guide fur, les
indudions qui en naiffent ne trompent point ; il n’é-
toit point inutile d’y avoir recours : cette méthoda
étoit nécefiaire pour jetter un jour fatisfaifant fur une
matière obfcure.Pour détruire l’opinion deM.deM...
il falloit lui oppofer des réfultats hiftoriques, contraires
à ceux qu’il préfente, nous montrer les revenus
publics affermés dans quelque état que ce fût,
6c ce même état redoutable au-denors, floriffantau-
dedans, 6c ne cherchant d’autre gloire que la félicité
du peuple : il falloit, en combattant un grand homme
, ufer du fcepticifme décent, qui doit être le partage
de ceux qui ne penfent pas comme lui : il falloit,
dans un examen qui tient au bien de fa patrie, procéder
avec l’impartialité d’un citoyen : il falloit que
la prévention fe tût : il falloit enfin fentir que peu de
mots tracés fur un objet, par un génie vigoureux,
étoient le fruit d’une méditation profonde ; qu’ils na
pouvoient être attaqués qu’avec un efprit patriotique
, 6c non pas avec un efprit de finance ; qu’un critique
devoit ufer d’une extrême circonfpe&ion fur la
nature des p reuves, & d’une bonne foi décidée dans
le choix des raifonnemens.
Les défauts que l’on remarque dans la compofition
de cet article , reparoiffent au mot financier, où l ’on
pourfuit encore le refpe&able auteur de Y Efprit des
lois.
« Financier y homme qui manie les finances, c’eft-
» à-dire les deniers du r o i, qui eft dan^les fermes
» de fa majefté, quceflorius oerarii colleclor.
Principe de M. de MontefquieUi « Il y a un lot pour
» chaque profeffion ; le lot de ceux qui lèvent les
» tributs eft la richeffe ; 6c les recompenfes de cess
» richeffes, font les richeffes mêmes. La gloire &
» l’honneur font pour cette nobleffe qui ne connoît,
» qui ne voit, qui ne fènt de vrai bien, que l’honneur
D D d d