
5 66 S U B Animent petits. Voyez Géom é tr ie , T ranscend
an t , D ifférentiel , &c. (O)
Su blim e, en Anatomie , nom de deux mufcles
fléchifieurs des doigts , l’un de la main, & l’autrè au
pié , par oppofition avec un autre cache par chacun
d’eu x, qu’on appelle profond. VoyezPerfore.
Sublime , (Art orat-. Poéfie, Rhetor.) qu’eft-ce que
le fublime ? l’a-t-on défini, dit la Bruyere ? Defpréaux
en a du-moins donne la defcription.
Le fublime, dit-il, eft une certaine force de dif- ’
cours propre à élever & à ravir l’ame , & qui provient
ou de la grandeur de la penfée & de la nobleffe
du fentiment, ou de la magnificence des paroles, ou
du tour harmonieux, v if & anime de l’expréflion, .
c’eft-à-dire , d’une de ces chofes regardées féparé-
ment, ou ce qui fait le parfait fublime de ces trois
chofes jointes enfemble.
Le fublime, félon M. Sylvain (dans un traité fur
cette matière ) , eft un difcours d’un tour extraordinaire
, v if & animé , qui par les plus nobles images,
6 par les plus grands fentimens, éleve l’ame, la ravit,
& lui donne une haute idée d’elle-même.
Le fublime en général, dirai-je en deux mots , eft
tout ce qui nous éleve au - deffus de ce que nous
étions, & qui nous fait fentir en même tems cette
élévation.
Le fublime peint la vérité, mais en un fujet noble :
il la peint toute entière dans fa caufe' & dans fon effet
: il eftl’expreflion ou l’image la plus digne de cette
vérité. C ’eft un extraordinaire merveilleux dans le
difcours, qui frappe, ra v it, tranfporte l’ame, & lui
donne une haute opinion d’elle-même.
Il y a deux fortes de fublime dont nous entretiendrons
le lefteur, le fublime des images, & le fublime
des fentimens. Cen’eft pas que les fentimens ne pré-
fentent auffi en un fens de nobles images , puifqu’ils
ne font fublimes que parce qu’ils expofent aux yeux Famé & le coeur : mais comme le fublime des images
peint feulement un objet fans mouvement, & que
l’autre fublime marque un mouvement du coeur, il a
fallu diftinguer ces deux efpeces par ce qui domine
en chacune. Parlons d’abord du fublime dès images ,
Homere & Virgile en font remplis.
• Le premier en parlant de Neptune, dit
Neptune ainjî marchant dans les vailes campagnes,
Fait trembler fous fes piés & forêts & montagnes.
C’ eft-là une belle image, mais le poëte eft bien
plus admirable , quand il ajoute
L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie :
Pluton fort de fon trône, il pâlit, il s'écrie;
I l a peur que ce dieu dans cet affreux féjour ,
D'un coup de fon trident ne fafte entrer le jour,
Et par le centre ouvert de la terre ébranlée ,
Nc/ufe voir duStyx la rive défolée,
Ne découvre aux vivons cet empire odieux
Abhorré des mortels, & craint même-des dieux.
Quels coups de pinceau ! la terre ébranlée d’un coup
de trident; les rayons du jour prêts à entrer dans fon
centre ;la Vive du S tyx tremblante & dëfolée ; l’empire
des morts abhorré des mortels ! voilà du fublime
, & il feroitbien étonnant qu’à la vue d’un pareil
lpeétacle nous ne fuflions tranfportés hors de nous-
mêmes.
Homere toujours grand dans fes images, nous offre
un autre tableau magnifique.
Thétis dans l’Iliade va prier Jupiter de venger fon
fils qui avoit été outragé par Agamemnon ; touché
des plaintes de la déeffe, Jupiter lui répond : « Ne
» vous inquiétez point, belle Thétis , je comblerai
» votre fils de gloire ; & pour vous en affurer , je
» vais faire un figne de tête, & ce ligne eft le gage
» le plus certain de la foi de mes promeffes v. Il dit,
du mouvement de fa tête immortelle l’Olympe eft:
ébranlé». Voilà fans doute un beau trait de fublime
, & bien propre à exciter notre admiration ; car
tout ce qui paffe notre pouvoir la reveille ; remarquez
encore qu’à cette admiration il fe joint toujours
de l’étonnement, efpece de fentiment qui eft pour
nous d’un grand prix.
N’eft-ce pas encore le fublime des images, quand
le même poëte peint la Difcorde ayant
La tête dans les d eux, & les piés fur la terre.
Il en faut dire autant de l’idée qu’il donne de la vî-
teffe avec laquelle les dieux fe rendent d’un lieu dans
un autre.
Autant qu'un homme a (fis au rivage des mers ,
Voit d'un roc élevé d'ejpace dans les airs ,
Autant des immortels les couriers intrépides
En franchiffent d'un faut.
Quelle idée nous donne-t-il encore du bruit qu’un
dieu fait en combattant?
Le ciel en retentit, & Volympe en trembla.
Virgile va nous fournir un trait de fublime fembla-
ble à ceux d’Homere; le voici : les divinités étant af-
femblées dans l’olympe, le fouverain arbitre de l’univers
parle : tous les dieux fe taifent, la terre tremble,
un profond filence régné au haut des airs, les
vents retiennent leur haleine, la mer calme fes flots,
— Eo dicente Deûm domus alta Jilefdt ;
E t tremefacla folo tellus, filet arduus auher :
Titm çephiri pofuere , premitplacida oequora pontus.
Les peintures que Racine a fait de la grandeur de
D ieu , font fublimes. En voici deux exemples :
J'ai vu l'impie--adoré fur la terre,
Pareil au cèdre i l cachoit dans les deux
. S on front audacieux. '
Ilfembloit à fon gré gouverner le tonnerre
Fouloit aux piés fes ennemis vaincus ,
Je ré ai fait que paffer , il n étoit déjà plus.
Efther, fc. V. a£t. V . Racine^
Les quatre autres vers fuivans, ne font guere
moins fiiblimes.
L'Eternel eftfon nom, le monde eft fon ouvrage,
I l entend les foupirs de l'humble qidon outrage ,
Juge tous les mortels avec £ égalés lois ,
E t du haut de fon trône interroge les Rois.
Un raifonnement, quelque beau qu’il fo it , ne fait
point le fublime , mais il peut y ajouter quelque choie.
On connoit le ferment admirable de Démofthe-
ne ; il avoit confeillé au peuple d’Athènes de faire la
guerre à Philippe de Macédoine, & quelque tems
après il fe donna une bataille où les Athéniens furent
défaits : on fit la p aix, & dans la fuite l’orateur Efchi-
ne reprocha en juftice à Démofthene fes confeils,
& fa conduite dans cette guerre, dont le mauvais fuc-
cès avoit été fi funefte à Ion pays. Ce grand homme,
malgré fa difgra'ce , bien loin defe juftifier de ce reproche
, comme d’un crime , s’en juftifie devant les
Athéniens meme, fur l’exemple de leurs ancêtres
qui avoient combattu pour la liberté de la Grece,
dans les occafions les plus périlleufes ; & il s’écrie
avec une hardieffe héroique : non, Meffieurs , vous
n'ave^poïnt ja illi, j'en jure , &c.
Ce trait, qui eft extrêmement fublime, renferme
un raifonnement invincible; mais ce n’eft pas ce raifonnement
qui en fait la fublimité, c’eft cette foule de
grands objets, la gloire des Athéniens, leur amour
pour la liberté, la valeur de leurs ancêtres, que 1 o-
rateur traite comme des dieux, & la magnanimité de
Démofthene, aufli élevée que toutes ces chofes en-
-femble ; enfin ce qui en, augmente la beauté , c’eft:
qu’on y trouve en petit toutes les perfections du difcours
raffembléeç, la nobleffe des mouvemens, beaucoup
de délicatéffe, de grandes images, de grands
fentimens , des figures hardies & naturelles., une
force de raifonnement : & ce qui eft plus admirable
encore , le coeur de Démofthene élevé au-deffus des
méchans fuccès par une vertu égale à celle de ces
grands hommes par lefquels il jure. Il n’y avoit que
lui au monde qui pût o fer, en prëfence des Athéniens
, juftifier par les combats même où ils avoient
été victorieux, le deffein d’une guerre où ils avoient
été défaits. Parlons à préfent du fublime des fentimens.
Les fentimens font fublimes quand fondés fur une
vraie vertu, ils paroiffent être prefque au-deflits dé
la cpndition humaine , & qu’ils font voir , comme
l’a dit Séneque , dans la foibleffe de l’humanité , la
confiance d’un Dieu ; l’univers tomberoit fur la tête
du jufte, fon ame feroit tranquille dans lè tems même
de fa chute. L’idée de cette tranquillité , comparée
avec le fracas du monde entier qui fe brife , eft
une image fublime, & la tranquillité du jufte eft un
fentiment fublime. Cette efpece de fublime ne fe trouve
point dans l’ode, parce qu’il tient ordinairement
à quelque aCtion , & que dans l’ode il n’y a point
d’aCtion. C ’eft dans le poëme épique & dans le dramatique
qu’il régné principalement. Corneille en eft
rempli.
Dans la Scene IV. du I. aCt. de Médée, cette prin-
cefle parlant à fa confidente, l’affure qu’elle faura
bien venir à bout de fes ennemis, qu’elle compte même
inceffamment s’en venger ; Nérine fa confidente
lui dit :
Perdez l'aveugle efpoir dont vous êtes féduite ,
Pour voir en quel état le fort vous a réduite.
Votre pays vous hait , votre époux e(l fans foi ;
Contre tant d'ennemis que vous refte-t-il ?
A quoi répond Médée , Moi ;
Moi, dis-je, & c'eft affez,
Que Médée eût répondu : mon art & mon courage;
cela feroit très-noble & touchant au grand ; qu’elle
dife Amplement, moi ; voilà du grand ; mais ce n’eft
point encore du fublime. Ce monofillabe annonce-
roit de la maniéré la plus vive & la plus rapide, juf-
qu’où va la grandeur du courage de Médée ; mais
cette Médée eft une méchante femme, dont on a pris
foin de me faire connoître tous les crimes, & les
moyens dont, elle s’ell fervi pour les commettre. Je
ne fuis donc point étonné de fon audace; je la vois
grande , & je m’attendois qu’elle le devoit être ;
.mais quand elle répété : moi, dis-je, & c'eft afft[ ;
ce n’eft plus une réponfe vive & rapide , fruit d’une
paflion aveugle & turbulente ; c’ eft une réponfe v iv
e , & pourtant de fang-froid; c’eft la réflexion, c ’eft
le raifonnement d’une paflion éclairée & tranquille
'.dans fa violence : moi, je ne vois encore que Medée :
moi, dis-je, je ne vois plus que fon courage & la
jouiffance de fon art ; ce qu’il a d’odieux a difparu ;
je commence àdevenir elle-même , je réfléchis avec
.elle, & je conclus avec elle; & c'eft affe[ : voila le
fublime ; c’eft particulièrement ce c'eft affc{, qui rend
fublime toute la réponfe. Je ne doute point un inf-
tantque Médée feule ne doive être fupérieure à tous
fes ennemis ; elle en triomphe aétuellement dans ma
.penfée, & malgré moi, fans m’en apperce voir même,
je partage avec elle le plaifir d’une vengeance aflii-
ree. C ’eft ce que le moi tout feul n’eût peut-être pas
fait. Je fais que M. Defpréaux, fuivi par plufieurs
critiques , femble faire confifter le fublime de la ré-
jjonfe de Medee, dans le feul monofillabe moi ; mais
j ofe etre d un avis contraire.
Vous trouverez un autre trait dufublime des fentimens
dans la VI. feene du III. aft. des Horaces. Une
femme qui avoit aflîfié au combat des trois Horaces ,
contre les trois Curiaces, mais qui n’en avoit point
vu la fin , vient annoncer au vieux Horace pere ,
que deux de fes fils avoient été tués & que le troi-
fieme fe voyant hors d’état de réfifter contre trois
avojt pris la fuite; le pere alors fe montre outré de
la lâcheté de fon fils , fur quoi fa foeur qui étoit là
préfente , dit à fon pere :
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois?
Il répond vivement :
Qu il mourût.
Dans ces deux exemples, Médée & Horace font
tous deux agités de paflion, & il cftimpofîïble qu’ils
expriment ce qu’ils fentent, d’une façon pluspathé*
tique. Le moi qu’emploie Médée , & à qui elle don-
ne une nouvelle force, non-feulement en le répétant
, mais en ajoutant ces deux mots, 6*. c'eft afjez ,
peint au-delà de tou t, la hauteur & la puiflance de
cette enchanterefle. Le fentiment qu’exprime Horace
le pere, a la même forte de beauté; quand par
bonheur un mot, un feul mot peint énergiquement
un fentiment, nous fomme ravis , parce qu’alors le
fentiment a été peint avec la même vîtefle qu’il a été
éprouvé^; & cela eft fi rare, qu’il faut néceflaire-
ment qu on en foit furpris , en même tems qu’on en
eft charmé.
Ne doutons point encore que l’orgueil ne prête de
la beauté aux deux traits de Corneille. Lorfque des
gens animes fe parlent, nous nous mettons machinalement
à leur place : ainfi quand Nérine dit à Médée,
contre tant d’ennemis, que vous refte -t-il? nous-
fommes extafiés d’entendre ce moi fuperbe , & repé- ;
té fuperbement. L’orgueil de Médée éleve le nôtre,
nous luttons no.us-memes, fans nous en appercevoir
contre le fo r t , & lui faifons face comme Médée. Le
qu'il mourût du vieil Horace ; nous enleve : car comme
nous craignons extrêmement la mort, il eft certain
qu’en nous mettant à la place d’Horace, &: nous
trouvant pour un moment animés de la même.grandeur
que lui , nous ne faurions nous empêcher de
nous énorgueillir tacitement d’un courage que nous
n’avions pas le bonheur de connoître encore. Avouons
donc que les impreflions que font fur nous le fublime
4°nt nous venons de parler , nous les devons en partie
à notre orgueil, qui fouvent eft fort fot &,fort
ridicule.
Une épaifle obfcurité. avoit couvert tout-à-coup~
l’armée des Grecs , enforte qu’il ne leur étoit pas
.poflible de combattre ; Ajax qui mouroit d’envie de
donner bataille, ne fachant plus quelle réfolution
prendre , s’écrie a lors, en s’adreflant à Jupit er :
Grand dieu, rens-nous le jour , & tombas contre nous.
C*eft ici afîürément le triomphe de l’orgueil dans
un trait de fublime ; car en goûtant une rodomontade
fi gafeonne, on eft charmé de voir le maître des
dieux défié par un fimple mortel. Nés tous avec un
fond de religion , il arrive que notre fond d’impiété
fe réveille chez nous avec une forte de plaifir ; la rai-
fon vient enfuite condamner un pareil plaifir, mais
félon fa coutume, elle vient trop tard.
Corneille me fournit encore un nouveau trait de
fublimef des fentimens, que je ne puis palier fous fi*-
lence.
Surena , général des armées d’Orode, roi des
.Parthes', avoit rendu des fer-vices fi eflentiels à fon
maître, s’étoit acquis une fi grand©réputation , que
ce prince , pour s’affurer de fa ftdelité, refoud de le
prendre pour gendre. Suréna qui aimoit ailleurs ,.re-
fufe la fille du roi ; & fur ce refus le roi le fait affadi