ner. On vient auflitôt en apprendre la nouvelle à la
fceur 5c à la maîtreffe de Suréna, qui étoient enfem-
ble, 5c alors la foeur de Suréna éclatant en imprécation
contre le tyran > dit :
Que fais-tu du tonnerre ,
Ciel -, J l tu daignes -voir ce qu'on fait fur la terre ?
E t pour qûi gardes-tu tes carreaux embrafés ,
Si de pareils tyrans n'en font point écrafés ? *
Enfuite s’adreffantàla maîtreffe de Suréna, qùine
paroiffoit pas extrêmement émue * elle lui dit :
Et vous * madame , & vous dont Vamour inutile ,
Dont l'intrépide orgueil paraît encore tranquille *
Vous qui brûlant pour lui fans vous déterminer *
Ne Ü avez tant aimé que pour 1'affajfiner ;
■ Alle^d'un tel vnom , aile£ voir tout l'ouvrage *
En recueillir le fruit, en goûter l'avantage.
Quoi ! vous eaufe\fa njort ,& n avez point de pleurs ?
A quoi répond Eùridice, c ’eft-à-dire la maîtreffe
de Suréna;
Non, je ne pleurepoint, madame > mais je meurs !
Et cette malheureufe princéffë tombe aufli-tôt entre
les bras defes femmes qui l ’emportent mourante. Voilà
fans doute un fublime merveilleux de fentimens, 5c
dans l’aftion d’Euridice* ôc dans fa réponfe; Finir
fes jours en apprenant qu’on perd ce qu’on aime !
être faifi au point de n’avoir pas la force d’en gémir,
6c dire tranquillement qu’on meurt, ce font des traits
qui nous illuftrent bien quand nous ofons nous en
en croire capables !
Je puis à préfent me livrer à des obfervatioris particulières
fùr le fublime ; je crois d’abord qu’il faut
diftinguef, comme a fait M. le Batteux , entre le fu blime
au fentîment, 8c la vivacité du fentimeht : voici
fes preuves* Lefentiment peut être d’une extrême
Vivacité fans être fublime ; la colere qui va jiifqu’à la
fureur, eff dans le plus haut degré de vivacité, 6c cependant
elle n’eft pas fublime. Une grande ame eff
plutôt celle qui voit ce qui affeéle les âmes ordinaires
, 6c qui le fent fans en être trop-émue , que celle
qui fuit aifément l’impreflion des objets. Réguluss’en
retourne paifiblement à Carthage, pour y fouffrir les
plus cruels fupplices, qu’il fait qu’on lui apprête : ce
fentiment eff fublime, fans être v if. Le poëte Horace
fe repréfente la tranquillité de Régulus , dans l ’af-
freufe fituation où il eff : ce fpeftacle le frappe, l ’emporté
* il fait une ode magnifique , fon fentiment eff
v if, mais il n’eft point fublime;
Le fublime des fentimens eft ordinairement tranquille.
Une raifon affermie fur elle-même les guide
dans tous leurs mouvemens. L ’ame fublime n’eft altérée
ni des triomphes de Tibere , ni des difgraces
de Varus. Aria fe donne tranquillement un coup de
poignard, pour donner à fon mari l’exemple d’une
mort héroïque : elle retire le poignard , 6c le lui préfente
i en difant ce mot fublime, Paetus, cela ne fait
point de mal ; pute , non doltt.
On repréfentoit à Horace fils, allant combattre
contre les Curiaees, que peut-être il faudrait le pleurer
, il répond :
Quoi I vous nié pleüreriez mourant pour ma patrie
?
La reine Henriette d’Angleterre, dans un vaiffeati,
au milieu d’un orage furieux, raffûroit ceux qui l’ac-
compagnoieht, en leur difant d’un air tranquille ,
que les reines ne fe noy oient pas.
Curiace allant combattre pour Rome, difoit à Camille
fa maîtreffe§*ijui, pour le retenir, faifoit valoir
fon amour :
Avant que d'être a vous, je fu is à mon pays.
Augufte ayant découvert la conjuration que Cin-
na avoit formée contre fa v ie , 6c l’ayant convaincu*
lui dit :
Soyons amis, Cinna, c'e(l moi qui t'en convie'.
Voilà des fentimens fublimeS : lâ reine étoit au-
deffus de la crainte , Curiace au-deffus de l’amour *
Aùgüfte au-deffus de la Vengeance, & tous trois ils
étoient au-deffus des paflions 8c des vertus communes.
Il en eft de même de plüfieurs autres traits de
fe'ntimeiis Jublïmes.
Ma fécondé remarque roulera fur la différence
qu’il faut mettre entre le ftyle fublime 8c lejublime ;
6c cette remarque fera fort courte, parce qu’on convient
généralement que le ûylejhblime confifte dans
une fuite d’idées nobles exprimées noblement, 8c
que le fublime eft Un trait extraordinaire , merveilleux
, qui enleve, ravit, tranfporte. Le ftyle fublime
veut toutes les figures de l’éloquence , le fublime fe
peut trouver dans un feul mot. Une chofe peut être
décrite dans le ftyle fublime, 6c n’être pourtant pas
fublime , c’eft - à - dire n’avoir rien qui éleve nos
âmes : ce font de grands objets & des fentimens extraordinaires
qui caraftérifent le Jubllma La description
d’un pays petit être faite en ftyle fublime ; mais
Neptune calmant d’un mot les flots irrités, Jupiter
faifant trembler les dieux d’un clin d’oe il, ce n’eft
qu’à de pareilles images qu’il appartient d’étonner
Ôc d’élever l’imagination.
Longin confond quelquefois le fublime avec la
grande éloquence, dont le fond confifte dans l’heu-
reufe audace des penfées, Ôc dans la véhémence 6c
l’enthoufiafme de la paflion. Cicéron m’en fournit
un bel exemple dans fon plaidoyer pour Milon, c’ eft-
à-dire dans le chef-d’oeuvre de l’art oratoire. Se pro-
pofant d’avilir Clodius , il attribue fa mort à la colere
des dieux qui ont enfin vengé leurs temples &
leurs autels profanés par les crimes de cet impie *
mais voyez de quelle maniéré fublime il s’y prend,
c’eft en employant les plus grandes figures de rhétorique
, c’eft: en apoftrophant 5c les autels 5c les
dieux.
« Je vous attefte, dit-il ,8 cvous implore, faintes
» collines d’Albé que Clodius a profanées ; bois ref-
» peftables qu’il a abattus ; facrés autels, lieu de
» notre union, 5c aufli anciens que Rome même ;
» fur les ruines defquelscet impie avoit élevé ces.
» maffes énormes de bâtimens ! Votre religion vio-
» lé e , votre culte aboli, vos myfteres pollués, vos
» dieux outragés ont enfin fait éclater leur pouvoir
» 5c leur vengeance. Et vous , divin Jupiter latial,
» dçnt il avoit fouillé les lacs 5c les bois par tant de
»> crimes 5c d’impuretés , du fommet de votre fainte
» montagne vous avez enfin ouvert les yeux fur ce
» fcélérat pour le punir. C’eft à vous Ôc fous vos
» y e u x , c’eft à vous qu’une lente, mais jufte venJ
» geance a immolé cette vi&ime dont le fang vous
» etoit dû» ! Voilà de ce fublime dont parle Longin
, o u , fi l’on v e u t , voilà un exemple brillant de
îa plus belle éloquence ; mais ce n’eft pas ce que
nous avons appellé fpecialement le fublime ; en le
contemplant ce fublime f nous fommes tranfportés
d’ étonnement : tùm olympi concuffum, inaquales pro-
cellas , fremitum 'maris, & trementes ripas, ac rapta in
terras prcecipiti turbine fulmina , cernimus.
Enfin \ ffublime différé du grand, ôc l’on ne doit
pas les confondre. L’expreflion d’une grandeur extraordinaire
fait le fublime , ôc l’expreflion d’une
grandeur ordinaire fait le grand. Il eft bien vrai que
la grandeur ordinaire du difeours donne beaucoup
de piaifir, 'mais le fublime ne plaît pas Amplement,
il ravit. Ce qui fait le grand dans le difeours, a plu-
fieurs degrés , mais ce qui fait le fublime , n en a
qu’un. M. le Fçbvre a marqué la diftin&ion du grand
. ÔC
te dn fublime dans un difeours plein d’ efprit écrit
en latin , il dit : Magnïtudo abfque Jublimitate ; fubli-
mitas fine magnitudine nunquam erit : ilia quidem mater
eft, & pulchra, & nobilis , & generofa, fed maire
pulchrd ,filia pulchrior.
Quant au fublime des fentimens, une comparaifon
peut illuftrer mon idée. Un roi qui, par une magnificence
bien entendue 5c fans fàftc , fait un noble
ufage de fes richefles , montre de la grandeur dans
cette conduite. S’il étend cette magnificence fur les
perfonnes de mérite , cela eft encore plus grand. S’il
choifit de répandre fes libéralités fur les gens de
mérite malheureux, c’eft un nouveau degré de gran-,
deur 5c de vertu. Mais s’il porte la générofité jufqu’à
fe dépouiller quelquefois fans imprudence , jufqu’à
ne fe réferver que l’efpérance comme Alexandre,
ou iufqu’à regarder comme perdus tous les jours qu’il
a pafîes fans faire du bien ; voilà des mouvemens fu blimes
qui me raviffent 6c me tranfportent, 5c qui
font les feuls dont l’expreflion puiffe faire dans le difeours
le fublime des fentimens.
Cependant comme la différence du grand & du
fublime eft une matière également agréable 5c importante
à traiter, nous croyons devoir la rendre
encore plus fenfible par des exemples. Commençons
par en citer qui ayent rapport au fublime des images,
pour venir enfuite à ceux qui regardent le fublime
des fentimens.
Longin cite pour fublimes ces vers d’Eurypide, où
le foleil parle ainfi à Phaëton.
P rens garde qu'une ardeur trop funefle a ta vie,
Ne t'emporte au-deffus de l'aride. Libie.
La ^jamais d'aucune eau lefillon arrofé,
Ne rafraîchit mon char dans fa courfe embrafé.
, Auffi-tôt devant toi s'offriront fept étoiles ;
Dreffe par-la ta courfe, & fuis le droit chemin.
De fes chevaux ailés, il bat les flancs agiles;
Les courfiérs du foleil à fa voix font dociles,
Ils vont. Le char s'éloigne, & plus prompt qu'un
éclair ,
Pénétré en un moment les Vafies champs de l'air.
Le pere cependant plein d'un trouble funefle,
Le voie rouler de loin fur la plaine célefie
Lui montré encor fa route, & du plus haut des deux
Le fuit autant qu'il peut de la voix & des yeux.
Va par-là , lui dit-il, reviens, détourne , arrête.
Ces vers font pleins d’images, mais ils n’ont point
ce tour extraordinaire qui fait le fublime : c’eft un
beau récit qui nous intéreffe pour le Soleil Ôc pour
Phaeton ; on entre vivement dans "inquiétude d’un
pere qui craint pour la vie de fon fils, mais l’ame
n’eft point tranfportée d’admiration. Voulezrvous du
vrai fublime, j’en trouve dans le paffage du P f exiij.
« La mer vit la puiffance de l’Eternel, Ôc elle s’en-
» fuit. Il jette fes regards, Ôc les nations font difli-
» pées».
Donnons maintenant des exemples de fentimens
grands 5c élevés, je les puife toujours dans Cor-
neille.
Augufte délibéré avec Cinna 5c avec Maxime, s’il
doit quitter l’empire ou le garder. Cinna lui confeille
ce dernier parti ; 6c après avoir dit à ce prince que
de fe défaire de fa puiffance, ce feroit condamner
toutes les avions de fa vie ; il ajoute :
On ne renonce point aux grandeurs légitimes ,
On garde fans remors ce quon acquiert fans cri-
me ,
E t plus le bien qu'on quitte efi noble,grand, exquis,
Plus qui l ofe quitter , le juge mal acquis.
N imprime^ pas , feigneur , cette honteufe marque '
A ces rares vertus qui vous ont fait monarque.
Vous l'êtes jufietnent ; & c'efi fans attentat
Tom X V ,
Qilè vous avez changé Informe de l'état ;
Rome efi deffous vos lois par le droit de la gllefrè
Qui fous les lois de Rome a mis toute la terre.
Vos armes l'ont conquife ,• & tous les conquérant;
Pour être ufurpartir s , ne font pas des tyrans,
Quand ils ont fous leurs lois affervi des provinces,
Gouvernant jufiement, ils s'en font jufles princest
C'efi ce que fit Çéfar ; i l vous faut aujourd'hui
Condamner fa mémoire , ou faire comme lui.
Si le pouvoirfuprlme efi blâmé par Augufle
Céfarfut un tyran, &fon trépas futjufiè ; ’
E t vous devez aux dieux compte de tout le fana
Dont vouS' l'avez vtngépour monter à fon raiig.
N'en craignez point, feigneur, les tnfies deflinees t
U.n pluf puiffant démon veille fur vos années.
On a dix fois fur vous attenté fans effet,
Et qui l'a voulu perdre, au même inflant l'a fait.
D’un autre côté , Maxime qui eft d’un avis contraire
; parle ainfi à Augufte :
Rome efi à vous , feigneur, Vempire efi votre bien.
Chacun en liberté peut difpofer dit lien.
I l le peut, à fon choix, garder ou s'en défaire •
Vvis feul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire ,
Et feriez dwenu, pour avoir tout dompté
Efclave des grandeurs 011 vous êtes monté.
Pofféde(-Us , feigneur , fans qu'elles vous poffedent.
Loin de vous captiver ,Jouffrez qu'elles vous cedeht,
Et faîtes hautement connoître enfin à tous
Que tout ce quelles ont efi au-deffous de vous.
Votre Rome autrefois vous donna la naiffance,
Vous lui voulez donner votre toute-puiffance ; *
Et Cinna vous impute à crime capital,
La libéralité vers le pays natal !
I l appelle remors l'amour de la patrie !
Par la haute vertu, la gloire efi donc flétrie '
Et ce n efi qu un objet digne de.nos mépris
. Si de J es pleins effets l'infamie efi le prix >■
Je veux bien avouer qu'une action f i belle,
Donne à Rome bien plus que vous ne tenez et elle l >
Mais commet-on un crime indigne de pardon
Quqnd la reconnqiffdnce efi au-deffus du don ?
Suivez, fuivez, feigneur, le ciel qui vous infpire.
Votre gloire redouble à mèprifer l'empire
E t vousferezfameux chezla pofiérité,
Moins pour l'avoir acquis , que pour l'avoir quitté.
Le bonheur peut conduire à la grandeur fupréme.
Mais pour y renoncer, il faut la vertu même
E t peu de généreux vont jufqu'à dédaigner
Apres un fctptre acquis, la douceur de remuer.
On ne peut nier que ces deux difeours ne foient
femplis de nobleffe , de grandeur 5c d’éloquence"
mais il n’y a point àt fublime. Les fentimens nobles
qu’ils étalent ne.font que des réflexions de l’efprit
Ôc non pas des mouvemens aâuels du coeur qui
tranfportent l’ame avec l’émotion héroïque iivfu-
blime.
Cependant pour rendre encore plus fenfible k
différence du grand ôc du fublime , j’ailé<nierai deux
exemples , où l’un 5c l’autre fe ;trOuvent enfem-
ble dans le même difeours. La même tragédie de
Cinna me fournira le premier exemple , 5c celle de
Sertorius le fécond.
Dans la tragédie de Cinna, Maxime, qui vouloit
fuir le danger , ayant témoigné'de l’amoùr à Émi-f
l ie , qu’il tâche d’engager à fuir avec lui ; elle lui
parle ainfi :
Quoi, tu m'ofes aimer, & tu nofes mourir! , p
Tu prétends-un peu trop j -niais, quoi, que tuprétendes
R ends-toi digne du-moins de ce que tu demandes,
Ceffe de fuir en lâche un glorieux trépas
Ou de,m'.qffrir un coeur que tu fais voir f i bas,
Tais que je. p or te envie à ta vertu parfaite,
I I C C c c