pidité, qu’on n’ofa ni l’attaquer ni le fuivre. Averti ,
par fon démon , ou le preflentiment fecret de fa pru- ;
dence, il délivra dans une autre circonftance Alcibiade
& Loches d’un danger dont les fuites devinrent
fun elles à plufieurs. Il ne fe comporta pas avec moins
d’honneur au liege d’Amphipolis.
La corruption avoit gagné toutes les parties de
l’adminiflration des affaires publiques ; les Athéniens
gémiffoient fous la tyrannie ; Socrate ne voyoit à entrer
dans la magiflrature que des périls à courir , fans
aucun bien à faire : mais il fallut facrifier fa répugnance
au voeu de fa tribu, & paroître ail fénat. Il
etoit alors d’un âge affez avancé ; il porta dans ce
nouvel état fa juftice & fa fermeté accoutumées. Les
tyrans ne lui en impoferent point ; il ne celfa de leur
reprocher leurs vexations & leurs crimes ; il brava
leur puilfance : falloit-il fouferire au jugement de
quelque innocent qu’ils avoient condamné , il difoit
je ne fais pas écrire.
Il ne fut pas moins admirable dans fa vie privée ;
jamais homme ne fut né plus fobre ni plus chafle :
ni les chaleurs de l’été , ni les froids rigoureux de
l ’hiver , ne fufpendirent fes exercices. Il n’agiffoit
point fans avoir invoqué le ciel. Il ne nuifit pas même
à fes ennemis. On le trouva toujours prêt à fer-
vir. Il ne s’en tenoit pas au bien, il fe propofoit le
mieux en tout. Perfonne n’eut le jugement des çir-
conftances & des chofes plus sûr &c plus fain. Il n’y
avoit rien dans fa conduite dont il ne pût & ne fe
complût à rendre raifon. Il avoit l’oeil ouvert fur fes
amis ; il les reprenoit parce qu’ils lui étoient chers ;
il les encourageoit à la vertu par fon exemple, par
fes difeours ; & il fut pendant toute fa vie le modèle
d’un homme très-accompli & très-heureux. Si l’emploi
de fes momens nous étoit plus connu , peut-
être nous démontreroit-il mieux qu’aucun raifonne-
ment, que pour notre bonheur dans ce monde, nous
n’avons rien de mieux à faire que de pratiquer la
vertu ; thefe importante qui comprend toute la morale
, & qui n’a point encore été prouvée.
Pour reparer les ravages que la pelle avoit faits , -
les Athéniens permirent aux citoyens de prendre
deux femmes ; il en joignit une fécondé par commi-
fération pour fa mifere, à celle qu’ il s’étoit auparavant
choifie par inclination. L ’une étoit fille d’Arifti-
d e , & s appelloit Mirtus, & l’autre étoit née d’un
citoyen obfcur, & s’appelloit Xantippe. Les humeurs
capricieufes de celle-ci donnèrent un long exercice
à la philofophie de fon époux. Quand je la pris , difoit
Socrate à Antiflhene, je connus qu’il n’y auroit
perfonne avec qui je ne puffe vivre fi je pouvois la
îupporter ; je voulois avoir dans ma maifon quelqu’un
qui me rappellât fans ceffe l’indulgence que je dois à
tous les hommes , & que j’en attens pour moi. Et à
Lamprocle fon fils: Vous vous plaignez de votre me-
re ! & elle vous a conçu, porté dans fon fein, alaité,
foigné, nourri, inflruit, élevé ? A Combien de périls
ne l’avez-vous pas expofée ? combien de chagrins,
de foucis, de foins, de travail, de peines ne lui avez-
vouspas coûté ? . . . Il eft vrai, elle a fait & fouffert &
plus peut-être encore que vous ne dites ; mais elle efl
fidure, fi féroce . . . Lequel des deux, mon fils, vous
paroît le plus difficile à Iupporter, ou de la férocité
d’une bête, ou de la férocité d’une mere? . . ; Celle
d ’une mere . . . . D\me mere ! la vôtre vous a*t-elle
frappé, mordu, déchiré? en avez-vous rien éprouvé
de ce que les bêtes féroces font affez communément ,
aux hommes ? . . . Non; mais elle tient des propos
qu’on ne digéreroit de perfonne, y allât-il de la vie...
J’en conviens ; mais êtes-vous en relié avec elfe ? &
y a-t-il quelqu’un au monde qui vous eût pardonné
les mauvais difeours que vous avez tenus, les avions
mauvaifes, ridicules ou folles que vous ayez commis
fes, & tout ce qu’il a fallu qu’elle endurât d e VOUS la
nuit, le jou r, à chaque inflant depuis que vous êtes
n é , jufqu’à l’âge que vous avez? Qui eft-ce qui Vous
eût loigné dans vos infirmités comme elle ? Qui efl ce
qui eût tremblé pour vos jours comme elle ? Il arrive
a votre mere de parier mal ; mais elle ne met elle-
même aucune valeur à ce qu’elle dit : dans fa colere
même vous avez fon coeur: elle vous fouhaite le bien.
Mon fils, l’injufiice efl de votre côté. Croyez-vous
qu’elle ne fût pas défolée du moindre accident qui
-vous arriveroit ?... Je le crois. . . Qu’elle ne fe réduisît
pas à la mifere pour vous en tirer ?... Je le crois...
Qu’elle ne s’arrachât pas le pain de la bouche pour
vous le donner?... Je le crois . . . Qu’elle nefacrifiât
pas fa vie pour la vôtre ? . . Je le crois . . . Que c’efl
pour vous & non pour elle qu’elle s’adreffe fans celle
aux dieux?... Que c’efl pour moi. . .Et vous la trouvez
dure , féroce, & vous vous en plaignez. A h ,
mon fils, ce n’elt pas votre mere qui efl mauvaife,
c'efl vous ! je vous le répété , l’injuflice efl de votre
cô té. .. Quel homme ! quel citoyen ! quel magiflrat !
quel époux ! quel pere ! Moins Xantippe méritoït
cet apologue, plus il faut admirer Socrate. Ah, Socrate
, je te reffemble peu ; mais du-moins tu me fais
pleurer d’admiration & de joie !
Socrate ne fe croyoit point fur la terre pour lui
feul & pour les liens ; il vouloit être utile à tous, s’il
le pouvoit, mais fur-tout aux jeunes gens, en qui il
efpéroit trouver moins d’obflacles au bien. Il leur
ôtoit leurs préjugés. Il leur -faifoit aimer la vérité. Il
leur infpiroit le gbût de la vertu. Il fréquentoit les
lieux de leurs amufemens. Il alloit les chercher. On
le voyoit fans ceffe au milieu d’eux , dans les rues,
dans les places publiques , dans les jardins , aux
bains, aux gymnafes, à la promenade. Il parloit devant
tout le monde ; s’approchoit & l’écoutoit qui
vouloit. Il faifoit un ufage étonnant de l’ironie & de
l’induélion ; de l’ironie, qui dévoiloit fans effort le ridicule
des opinions ; de l’induftion, qui de queflions
éloignées en queflions éloignées, vous conduifoit
imperceptiblement à l’aveu de la chofe même qu’on
nioit. Ajoutez à cela le charme d’une élocution pure 9
fimple, facile, enjouée ; la fineffe des idées, les grâces
, la légèreté & la délicateffe particulière à fa nation
, une modeflie furprenante, l’attention ferupu-
leufe à ne point offenfer, à ne point avilir, à ne point
humilier, à ne point contrifler. On fe faifoit honneur
à tout moment de fon efprit. « J’imite ma mere, di-
» foit-il , elle n’étoit pas féconde ; mais elle avoit
» l’art de foulager les femmes fécondes, & d’ame-
» ner à la lumière le fruit qu’elles renfermoient dans
» leurs feins ».
Les fophifles n’eurent point un fléau plus redoutable.
Ses jeunes auditeurs fe firent infenfiblement à fa
méthode, & bien-tôt ils exercèrent le talent de l’ironie
& de l’indu&ion d’une maniéré très - incommode
pour les faux orateurs , les mauvais poètes, les prétendus
philofophes , les grands injufles & orgueilleux.
Il n’y eut aucune forte de folie épargnée , ni
celles des prêtres , ni celles des artifles, ni celles des
magiflrats. La chaleur d’une jeuneffe enthoufiafle &
folâtre fufeita des haines de tous côtés à celui qui
l’inflruifoit. Ces haines s’accrurent & fe multiplièrent.
Socrate les méprifa ; peu inquiet d’être hai,
joué , calomnié, pourvu qu’il fut innocent. Cependant
il en devint la viélime. Sa philofophie n’etoit
pas une affaire d’oflentation & de parade, mais de
courage & de pratique. Apollon difoit de lui : « So-
» phocle efl fage, Euripide efl plus fage que Sopho-
» cle ; mais Socrate efl le plus fage de tous les hom-
» mes ». Les fophifles fe vantoient de favoir tout ;
Socrate , de ne favoir qu’une chofe , c’efl qu’il ne fa-
voit rien. Il fe ménageoitainfi l’avantage de les interfo&
er, de les embarraffer & de les confondre dè la
manière la plus sûre & la plus honteufe pour eux;
D ’ailleurs cët homme d’une prudènce& d’une expérience
cOrtfonimée, qui aVoit tant écouté -, tant l i i ,
tant médité, s’étoit aifémeht apperçu que la vérité
èfl comme un fil qui part d’une extrémité des ténèbres
& fe perd de l’autre dans les ténèbres ; & que
dans toute queflion, la lumière s’accroit par degrés
jufqu’à un certain terme placé fur la longueur du fil
délié, au-delà duquel elle s’ affoiblit peu-à-peu & s’éteint.
Le philofophe efl celui qui fait s’arrêter jufle ;
le fophiflé imprudent marche toujours , & s’égare
lui-même & les autres: toute fa diale&ique fe relbut
en incertitudes. C ’efl une leçon que Socrate donnoit
farts ceffe aux fophifles de fon tems , & dont ils rte
profitèrent point. Ils s’éloignoient dë lui mécontèns
fans favoir pourquoi. Ils n’avoiertt qü’à revênir fur la
queflion qu’ils avoient agitée avec lui , & ils fe fe-
rbiënt apperçiis qu’ils s’ètoient laiffés entraîner au-
delà du pointindivifible &c lumineux, terme de notre
foible raifon-.
On l’acçùfa d’impiété & il faut avouer opte fa religion
n’étoit pas celle de fon pays. 11 méprifa les
dieux & iës fupërflitions de la Grece. Il eut en pitié
leurs myfleres. Il s’étôit élevé par la feule force
de fon génie à là cônnoiffanee de l’unité de la divinité
, éc il eut le courage de révéler cette dangereufe
Vérité à feS difciples.
Après avoir placé fon bonheur préfent & à venir
dânà la pratique de la vertu, & la pratique de laver-
tudansTobfervation des lois naturelles & politiques,
rien ne fut capable dë l’en écarter. Les événemens
les plus fâcheux, loin d’étonner fon courage, n’alté-
ferent pas même fa férénitè. Il arracha au liiplice les
dix juges que les tyrans avoient condamnés. Il ne
voulut point fe fauver de la prifon. Il apprit en fou-
riant l’arrêt de fa mort. Sa vie eû pleine de ces
traits.
Il méprifa lés injures-. Le mépris & le pardon de
l’injure qui font des vertus du chrétien, font la vengeance
du philofophe. Il garda la tempérance la plus
rigoureufe , rapportant l ’ufage des chofes que la nature
nous a deftinées à la confervation &c non à la
volupté. Il difoit que moins l’homme a de befoins,
plus fa condition efl voifine de celle des dieux ; il
étoit pauvre ; & jamais fa femme ne put le déterminer
à recevoir les préfens d’Alcibiade & des hommes
puiffans dont il étoit honoré. Il regardoit la juf-
tiee commë la première des vertus. Sa bienfàifance,
femblable; à celle de l’Etre fuprème, étoit fans exception.
Il détefloit la flatterie. Il aimoit la beauté darts
les hommes & dans les femmes, mais il n’en fut point
l’efclave : c’étoit un goût innocent & honnête * qu’A-
riflophane même, ce vil infiniment de fes ennemis j
n’ofa pas lui reprocher. Que penferons-nous de la
Facilité & de la complaifance avec laquelle quelques
hommes parmi les anciens & parmi les modernes
ont reçu & répété contre la pureté de fes moeurs ?
une calomnie que nous rougirions de nommer ; c’efl
qu’eux-mêmes étoient envieux ou corrompus-. Serons
nous étonnés qu’il y ait eû de ces âmes infernales
? Peut-être j fi nous ignorions ce qu’un intérêt
Violent & fecrët infpire , voye^ ce que nous dirons
dë fon démon à Yariicle T h ÉOSOPHEi
<. Socrate ne tint'point école, & n’écrivit point.
Nous në faVons dé fâ doélrine que Ce que fes difei-
ples nous en ont tranfmis. C ’ëfl dans ces foureés qué
nous avons puifé.
Sçhtinièns de Socrate fut là divinité. Il difoit :
Si Dieu à dérobé fa nature à notre' entendëméht,
il à maniféflé fon exiflencë ; fa fageffe, fâ puiffance
& fa bonté dans fés ouvrages.
Il efl l’auteur du monde, ôc le monde efl la complexion
de tout ce qu’il y à de bon & de beau1.
Si nous fentions toute l’harmonie qui régné danà
l’univers , nous ne pourrions jamais regarder lé ha-
fard comme la caitfe de tant d’effets enchaînés partout
, félon les lois de la fageffe la plus furprenanté ';
& pour la plus grande utilité poffible. Si une intelligence
fuprème n’a pas, concouru à la difpofition -, à
la propagation & à la confervation générale d.es êtres-,
& n’y veillé pas fans ceffé, comment arrivè-t-il qu’au>
cun défordrë ne s’introduit dans une machine auffi
compôfée, suffi vafle ?
Dieu préfidè à tout : il voit tout en un inflant ; nôtre
pehfee qui s’élance d’un vol inflantané de la terré
aux deux ; notre oeil qui n’a qu’à s’ouvrir pour ap-
percevoir les corps placés à la plus grande diflànce ;
ne font que de foibles images de la célérité de fort
entendement.
D ’un feul afte il efl préfent à toùh ,
Les lois ne font point des hommes, niais de Dieu;
C’efl lui proprement qui en condamne les infracteurs
, pâr la voix des juges qui ne.font que fes or2-
ganes'. -
Sentimens de Socrate fur les efpriis. Cé philofophé
rempliffoit l’intervalle de l’homme à Dieu d’intelligences
moyennes qu’il regardoit comme les génies
tutélaires des nations : il permettoit qu’on les honorât
: il lés regardoit comme lès auteurs de la divir
nation.
Sentimens de Socrate fur Vame. Il la croyoit préexif-
tante au Corps, & douée de la connoiffance des idées
éternelles. Cetté côhnoiffance qui s’affoupiffoit en
elle par fon union avec le corps, fe réveilloit avec le
tenis, & l’ufage dè la raifon & des fens. Apprendre,
c’étoit fe reffouvenir; mourir, c’étoit retourner à fort
premier état de félicité pour les bons, de châtiment
pour les médians.
Principes dé la Philofophie morale de Socrate. Il
difoit i
Il rt’y a qùhin bien $ c’efl la fciencé ; qü’un mal |
c*efl l’ignorance.
Les richeffes & l’orgueil de là naiffanee font les
foUrcèS principales dès maux.
La fageffe efl la fanté de Partie.
Céliti qui cô'rtnbît le bien & qui fait le mal èfl un
infenfé.
Rien rt’ëfl plus Utile &pîus doux que la pratique dé
la ve^tu.
L’homme fage ne croira point favoir ce qu’il
ighorë.
La jufliee & le bonheur font une même chofe.
Cèlui qui diflinguà le prëmier l’utiie du jufle , fut
un homme déteflable.
La fageffe efl la beauté de l’amë , le vice en efl la
laideur.
La bêaüté du corps annonce là beauté de l’ame.
Il en efl d’une belle vie comme d’un beau tableau*
il faut quë toutes lés bardes en foient belles.
La vie hèüréufe & tranquille efl pour celui qui
peut s’examiner fans honte ; rien ne le trouble , pâr-î
ce qu’il ne fe reproché aucun crime.
Que l’homme s’étudie lui-même , & qù’il fe con-
nôiffe.
Celui qui fe cohnoit échappera à bien des maux *
qui attendent celui qui s’ignore ; il concevra d’abord
qu’il ne fait rien, & il cherchera à s’inflruirëi
Avoir biért cbmmèncé, ce n’eil pas n’avoir rien
fait ; mais c’efl avoir fait peu de chofe.
il n’y a qti’unè fagëffé, là vertu efl urte. .
La meilleure maniéré d’horiorêr les dieux, c’efl
dé fâiré cè qu’ils ordonnent;
Il faut demander au£ dieux eh général cè qui nous
èfl bon ; fpédtfîer quelque chofe darts fa prieré * c efl
pretëndre à Une connoiffârtcé qui leut ëflrefèfVeè;
Il faut àdojér lès dieux de fori pays, ôc régler fbâ
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