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» quant ôc à leurs fauffes & ridicules fubtilités »T
Si le fyllogifme eft néceflàire pour découvrir la
vérité, la plus grandé partie du monde en eft privée.
Pour une perfonne qui a quelque notion des
formes fyllogiftiques , il y en a dix mille qui n’en
ont aucune idée. La moitié des peuples de l’Afie ôc
de l’Afrique n’ont jamais oui parler de logique. Il n’y
avoit pas un feul homme dans l’Amérique, avant
que nous l’euflions découverte , qui lût ce que c’é-
toit qu’un fyUogifmc ; il fe trouvoit pourtant dans
ce continent des gens qui raifonnoient peut-être aufli
fubtilement que des Logiciens. Nous voyons tous
les jours des payfans avoir dans les chofes eflen-
tielles de la vie , fur lefquelles ils ont réfléchi, plus
de bon fens ôc de juftefle que des doûeurs de Sorbonne.
L’homme feroit bien malheureux, fi fans le
fecours des réglés d’Ariftote, il ne pouvoit faire
ufage de fa raifon, ôc que ce préfent du ciel lui devînt
un don inutile.
Dieu n’a pas été fi peu libéral de fes faveurs envers
les hommes, que fe contentant d’en faire des
créatures à depx jambes , il ait laifle à Ariftote le
foin de les rendre créatures raifonnables ; je veux
dire ce petit nombre, qu’il pourroit engager à examiner
de telle maniéré les fondemens du Jyllogifmc,
qu’ils viflent qu’entre plus de 60 maniérés dont trois
propofitions peuvent etre rangées « il n’y en a qu’en-
viron quatorze où l’on puiffe être afliiré que la con-
clufion eft jufte, ôc fur quel fondement la conclu-
fion eft certaine dans ce petit nombre de fyllogifmes
ôc non dans d’autres. Dieu- a eu beaucoup plus de
bonté pour les hommes. Il leur a donné un efprit
capable de raifonner, fans qu’ils aient befoin d’apprendre
les formes des fyllogifmes. Ce n’eft point,
dis-je, par les réglés du fyllogifmc que l’efprit humain
apprend à raifonner. Il a une faculté naturelle
d’appercevoir la convenance ou la difconvenance de
fes idées ; il peut les mettre en ordre fans toutes ces
répétitions embarraffantes. Je ne dis point ceci pour
rabaiflfer en aucune maniéré Ariftote , qu’on peut regarder
comme un des plus grands hommes de l’antiquité,
que peu ont égalé en étendue, en fubtilité,
en pénétration d’efprit, & q u i, en cela même qu’il
a inventé ce petit lÿftème des formes de l’argumentation
, par où l’on peut faire voir que la conclufion
d’un fyUogifmc eft jufte ôc bien fondée, a rendu un
grand fervice aux favans contre ceux qui n’avoiènt
pas honte de nier tout. Il faut convenir que tous les
bons raifonnemens peuvent être réduits à ces formes
fyllogiftiques. Mais cependant je crois pouvoir
dire que ces formes d’argumentation , ne font ni le
feul ni le meilleur moyen de raifonner ; ôc il eft vi-
fible qu’Ariftote trouva lui-même que certaines formes
étoient concluantes, & que d’autres ne l’étoient
pas , non par le moyen des formes mêmes , mais par
la voie originale de la connorflance , c’eft-à-dire ,
par la convenance manifefte des idées. Dites à une
dame que le vent eft fud-oueft, ôc le tems couvert
ôc tourné à la pluie; elle comprendra fans peine
qu’il n’eft pas lur pour elle de fortir , par un tel jour,
légèrement’vêtue après avoir eu la nevre ; elle voit
fort nettement la liaifon de toutes ces chofes, vent
fud-ouejl, nuages , pluie , humidité, prendre du froid,
rechute , danger de mort, fans les lier enfemble par
une chaîne artificielle ôc embarraflante de divers fy llogifmes
, qui ne fervent qu’à retarder l’efprit, qui
fans leur fecours va plus vîte d’une partie à l’autre.
Au refte , ce n’ eft pas feulement dans l’ufage ordinaire
de la fociété civile, que l’on fe paffe très-bien
du burlefque étalage des' fyllogifmes : c?eft encore
dans les écrits des favans ôc dans les matières les plus
dogmatiques. Les mathématiques mêmes & la géométrie
en particulier, qui portent avec elles l’évidence
de la démonisation , ne s’avifent point, de re-
S Y L chercher le fecours du fyllogifmc ; leurs traités n’en
font ni moins folides, ni moins conformes aux réglés
de la plus exaâe logique.
Ainfià l’égard de la plus effentielle des vérités,
je veux dire, l’exiftence de Dieu , tous les fyllogifmes
du monde ne convaincront pas l’efprit plus efficacement
, que cette fuite uniforme & fimple de propofitions.
i° . L’univers a des parties ; z°. ces parties ont de
la fubordination ; 30. cette fubordination eft établie
Ôc confervée par quelque principe d’ordre ; 40. le
principe qui établit ôc qui conferve l’ordre dans toutes
les parties de l’univers , eft une intelligence fupé-
rieure à tout; 5°. cette intelligence fupérieure eft
appellée Dieu.
Par cette fimple fuite ou liaifon d’idées, l’efprit
apperçoit toute la vérité qu’on pourroit découvrir,
par le plus exaêt tiflii de fyllogijmes ; ÔC même on ne
pourra former de fyllogifmes fur fes articles, qu’en
liippofant cette fuite d’idées que l’efprit aura déjà
apperçues. Car un fyllogifmc ne contribue en rien à
montrer ou à fortifier la connexion de deux idées
jointes immédiatement enfemble ; il montre feulement
par la connexion , qui a été déjà découverte
entr’ elles , comment les extrêmes font liés l’un à
l’autre. Cette connexion d’idées ne fe voit que par
la faculté perceptive de l’efprit qui les découvre
jointes enfemble dans une efpece de juxta-pojîtion ;
ôc cela , lorfque les deux idées font jointes enfemble
dans une propofition , fort que cette propofition
conftitue ou/ion la majeure ou la mineure d’un fy llogifmc.
C’eft dans cette vue que quelques-uns ont ingé-
ni eufèment défini le fyUogifmc ; le J'ecret défaire avouer
dans la conclufion ce quon a déjà avoué dans les pré-
mijfes.
On voit plus aifément la connexion de fes idées
lorfqu’on n’ufe point du fyllogifme , qui ne fert qu’à
ralentir la pénétration & la décifion de l’entender
ment. Suppofons que le mot animal, foit uiîe idée
moyenne, ôc qu’on l’emploie pour montrer la connexion
qui fe trouve entre homme ÔC vivant, je d&-
mande fi l’efprit ne voit pas cette liaifon aufli promptement
ôc aufli nettement, lorfque l’idée qui lie ces
deux termes , eft au milieu dans cet argument naturel
,
. homme . . . . animal. . . . vivant, . . .
que dans cet autre plus embarralfé , ’
animal. . . . vivant. . . . homme. . . . animal ?
Ce qui eft la pofition qu’on donne à ces idées dans un
fyllogifme, pour faire voir la connexion qui eft entre
homme ÔC vivant, par l’intervention du mot Animal.
De tout ce que nous avons dit jufqu’ic i , il en ré-
fulte que les réglés des fyllogifmes ne’font pas ; à beaucoup
près, fi néceflaires que fe l ’imagine le vulgaire
des philofophes, pour découvrir la vérité. S’il falloit
attendre à former un raifonnement,qu’on s’appliquât
à obferver les réglés du fyllogifme , quand Ieroit-ce
fait ? Il en feroit comrhe de ceux qui attendroient,
pour danfer un ballet , qu’ils euflent appris par lès
réglés de la méchanique , la maniéré dont il faut remuer
la jambe : l a .vie entière pourroit s’écouler,
fans avoir fait le premier pas du ballet.
Çonnoître Ôc agir , raifonner ou marcher, font
des puiflances qui font en nous fans que. nous nous
en mêlions. Ce font,des préfens de Dieu. L’expe-
rience , l’exercice & nos réflexions , plutôt que les
réglés , nous apprennent à raifonner vrai. Combien
de gens dans l’étude de la logique , qui ont mis tout
leur foin à çonnoître les fecrets ôc la pratique du
fyllogifme, ne jugent pas plus fainement que d autres
hommes , des chofes les plus ordinaires ôc les plus
importantes de la vie ! Il eft donc un autre exercice
plus néceflàire pour découvrir la vérité ; de cet exer;
S Y L cice eft l’attention à la liaifon immédiate qu’a une
ideeavec une autre id ée, pour former une propofition
jufte ôc un jugement exaft : c’eft-là ce qu’on
peut appeller 1 eflèntiel ôc la derniere fin de la logi-
que. Sans cette attention , l’exercice même teijyllo»
gifme pourroit éloigner de là vérité, dégénérant en
fophilme ; au lieu qu’avec cette attention feule, on
peut Admettre à couvert de l’illufion des fophifmes.
Au refte, dans tout ce que je viens de dire, je n’ai
garde de blâmer ceux qui s’aident des réglés fyllogiftiques
pour découvrir la vérité. Il y a des yeux qui
ont befoin de lunettes pour voir clairement ôc dif-
tinclement les objets ; mais ceux qui s’en fervent, ne
doivent pas dire pour cela que perfonne ne peut bien
voir fans lunettes. On aura raifon de juger de ceux
qui en ufent ainfi , qu’ils veulent un peu trop ra-
baifler la nature .en faveur d’un' art auquel ils font
peut-etre redevables. Lorfque la raifon eft ferme ôc
accoutumée à s’exercer, elle voit plus promptement
& plus nettement par la propre pénétration, que
lorfou’elle eft offufquée, retenue & contrainte par
les formes fyllogiftiques. Mais fi l’ufage de cetté efpece
de lunettes a fi fort offufqué la vue d’un logicien
, qu’il ne puifle voir fans leur fecours , les con-
fequences ou les inconfequences d’un raifonnement,
on auroit tort de le blâmer parce qu’il s’en fert. Chacun
connoit mieux qu’aucun autre ce qui convient
le mieux à fa vue ; mais qu’il ne conclue pas de-là,
que tous ceux qui n’emploient pas juftement les mêmes
fecours qu’il trouve lui être néceflaires , font
dans les ténèbres ; quoiqu’à dire le vrai il paroifle
allez plaifant, que la raifon foit attachée à ces mots
barbara, celarent, darii 9ferio, & c , qui tiennent tant
foit peu de la magie , Ôc qui ne font guere d’un plus
grand fecours à l’entendement, qu’ils font doux à
l ’oreille. Il a été fans doute permis à M. de Grave-
lande , de vouloir apprendre aux hommes à parler
& à penfer d’une maniéré jufte ôc précife, par un
certain arrangement de lettres de l’alphabet. Mais il
feroit fort injufte à lui de trouver mauvais qu’on fe
moquât d’une méthode fi extraordinaire. Je penfe ,
dit un critique moderne , que ces préceptes figure-
roient fort bien dans 1 e Bourgeois Gentilhomme ; il
me femble ouir M. Jourdain,ae e 9a o o 9o a o c io
eue 9 e a o .Que cela eft beau ] que cela eft favant î
La façon d’apprendre aux hommes à raifonner eft
bien fublime ôc bien élevée.
Montagne ne fe contente pas de méprifer, ainfi
que Loke , les réglés de l’argumentation ; il prétend
que la logique ordinaire ne fert qu’à former des pé-
dans crotes ôc enfumés. « La plus exprefle marque ,
» dit-il, de la fagefle, c’eft une jouiflance confiante ;
» fon état eft comme des chofes au-defliis de la lune
» toujours ferein. Ces baroco ÔC baralipton qui ren-
» dent leurs fiippots ainfi crottes ôc enfumés, ce n’eft
» pas elle , ils ne la connoiflent que par oui - d ire,
» comme elle fait état de fereiner les tempêtes de
» l’ame Ôc d’apprendre à rire la faim ôc les fievres
» non par épicyles imaginaires, mais par raifons na-
» turelles & probables ». Si Montagne avoit vu les
& le s 00 du profefleur hollandois, fans doute
qu’il en eût dit ce qu’il a dit des baroco & des b ara.
lipton.
Enfin pour terminer ce que j ’ai à dire fur le fyllo-
gifne , je dirai qu’il eft principalement d’ufage dans
lesecoles, où l ’on n’a pas honte de nier la convenance
manifefte des idées, ou bien hors des écoles
a l’egard de ceux q ui, à l’occafion & à l’exemple de
ce que les doéles n’ont pas honte de faire, ont appris
aufli à nier fans pudeur la connexion des idées qu’ils
ne peuvent s’empêcher de voir eux-mêmes. Pour
ceux qui cherchent fincérement la vérité , ils n’ont
aucun befoin de ces formes fyllogiftiques, pour être
forces a reçonnoître la confequence, dont la vérité
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& la juftefle paroiflent bien mieux en mettant les
idees dans un ordre fimple & naturel. De-là vient
que les hommes ne font jamais tes fyllogifmes en eux-
memes lorfqu ils cherchent la vérité ; parce qu’avant
de pouvoir mettre leurs penfées en forme fyllogifti-
que , il faut qu’ils voient la connexion qui eft entre
l idee moyenne & les deux autres idées auxquelles
elle eft appliquée, pour faire voir leur convenance )
ôc lorlqu ils voient une fois ce la, ils voient fi la con-
fequence eft bonne ou mauvaife ; & par conféquent
Jyllogifmc vient trop tard pour l’établir,
On croit, à la vérité , qu’il eft à-propos de con-
noitre leYecrefdu fyUogifmc, pour démêler en quoi
conlifte le vice des raifonnemens captieux, par le squels
on voudroit nous embarrafler & nousfurpren-
dre, & dont la fauffeté fe dérobe fous l’éclat brillant
d une figure de rhétorique, & d’une période harmo-
meufe qui remplit agréablement fefprit. Mais on fe
trompe en cela. Si ces fortes de dilcours vagues Sc
lans liaifon, qui ne font pleins que d’une vaine rhétorique
, împofent quelquefois à des gens qui aiment
la v en te , c’eft que leur imagination étant frappée
par quelques métaphores vives & brillantes ils
négligent d’examiner quelles font les véritables idées
cl ou dépend la conféquence du difeours, ou bien
éblouis de l’éclat de ces figures , ils ont déjà peine
? M,C<ï lV? r C6S ldees- Mais Pour leur faire voir la
foiblefle de ces fortes de raifonnemens, il ne faut
que les depomlfer d’un faux éclat, qui impofe d’abord
à 1 efprit, des idées fuperflues , qui ,vmêlées ôc
confondues avec celles d’où dépend la conféquence
femblent faire voir une connexion où il n’y en a
point ; après quoi il faut placer dans leur ordre naturel
ces idees nues , d’ou dépend la force de l’argumentation
; ôc l’efprit venant à les confidérer en elles-
mêmes dans une telle pofition, voit b ientôt, fans la
fecours d aucun fyllogifme, quelles connexions elles
ont entr elles. Les meilleurs ouvrages que nous
ayons , les plus étendus , les plus clairs, les plus
profonds ôc les mieux raifonnés, ne font point hé-
riffés tejyllogfmes, ils ne font qu’un tifliide propofitions
; tant il eft vrai que l’art tel fyllogifme n’eft
pas le moyen le plus immédiat, le plus fimple ôc le
plus commode.de découvrir Ôc de démontrer la vé-
rite; Ljfei le chap. x j. qui traite de la raifon, liv. IV,
de 1 ejfai fur Centendement humain , où l’inutilité dit
fyllogifme eft approfondie.
S Y L T ou S Y L O T , ( Géog.mod.) petite île du
royaume de Danemarck, fur la côte occidentale du
duché de Slefwick, au nord de l’île Fora, dont elle
eft féparée par le Rode-Tifi, ou canal rouge. Sylt n’a
que 4 milles de longueur, dont la plus grande partie
eft couverte de collines de fable ôc de bruyères. Ses
habitans au nombre d’environ quinze cens, partagés
en quatre paroiffes, vivent de la pêche de la baleine,
qu’ils vont faire du côté de l’Iflande, de.Groënlan-
cfe. Au Spitzberg, Us parlent la langue des anciens
Frifons, ôc confervent leur ancienne maniéré de s’habiller
, particulièrement les femmes qui portent des
robes qui ne tombent que jufqu’aux genoux. (D .J \
SY LVE, voyei Sylve. K J
S y l v e , f. f. (Jeux rom.) en latin Jylva, divertifle-^
ment ôc jeux publics des Romains , qui confiftoient
dans une efpece de chaffe. On conftruifoit une forêt
artificielle dans le cirque avec de grands arbres que
1 on faifoit apporter par les foldats ôc qu’on y replan-
toit ; on y lachoit quantité de bêtes que le peuple
pourfuivoit à la courfe, ôc qu’il falloit prendre vives;
c eft pourquoi on n’y lâchoit point de bêtes féroces,
comme on faifoit au pancarpe, qui étoit un autre
fpe&acje à-peu-près femblable.
_ Plufieurs auteurs prétendent, que c’étoit le même
divertiflement, connu fous deux différens noms. Telle
eft l’opinion de Cafaubon , de Cujas ôc de Fran-
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