apprend que les archives de Prénefte portoient,qium
homme des plus confidérables de la ville , nommé
Numerius-Suffucius, fut averti par plufieurs fonces
réitérés & menaçans, d’aller entr’ouvrir un rocher
dans un certain lieu; qu’il y alla, brifa ce rocher, &
qu’il en fortit plufieurs forts ; c’étoit de petits morceaux
de bois de rouvre bien taillés & bien polis ,
fur lefquels étoient écrits des prédictions en caraéle-
res antiques ; on mit ces petits morceaux de bois
dans un coffre d’olivier. Pour les confulter , on ouvrait
ce coffre, on faifoit mêler enfemble tous ces
forts, par un enfant, il en tirait un , & c’étoit la ré-
ponfe que l’oracle donnoit aux confultans. Ce coffre
continue Cicéron, eft aujourd’hui religieufement gardé
, à caufe de Jupiter enfant, qui y eft repréienré
avec Junon, tous deux dans le fein de la fortune qui
leur donne la mamelle, & toutes les bonnes meres
y ont une grande dévotion.
Plutarque prétend qu’on tirait plufieurs petits morceaux
de bois du coffre, & que les carafteres gravés
fur chacun étant raffembles compofoient la prophétie
; mais outre que Cicéron dit le contraire , il
paroît clairement par un paffage de Tite-L ive, que
chacun de ces forts contenoit toute la prophétie ;
voici les propres fermes de l’hiftorien, au commencement
du liv. XXII. Faleriis cotlum ftndi vifum relut
magno hiatu quelque patuerit ingens lumen eful/îfe,
fortes fua fponte attenuatas, unamque excidiffe itàfcrip-
tam, Mars telum fuum concutit. » On vit à Faleres
» le ciel fe fendre & s’entrouvrir, & une grande lu-
» miere remplir ce grand vuide. Les forts diminue-
» rent & s’appetifferent d’eux-mêmes ; & il en tom-
» ba un oii etoient écrites cet paroles, Mars prépare
» fes armes.
Les prêtres fe fervirent habilement de ces forts pour
fe procurer du profit & du crédit. Tota res cfl inventa
fillaciis , aut ad quaflum , aut ad fuperflidonem , dit
Cicéron.
Mais que lignifient ces mêmes forts dont parle T i
te-Live , qui diminuèrent & s’appetifferent d’eux-
mêmes , fortes fuâfponte attenuatas ? Peut-être que
ces forts étoient doubles, je veux dire, qu’il y en
avoit de grands & de petits, tous femblables, Sc que
les prêtres faifoient tirer les uns ou les autres, félon
qu’ils vouloient effrayer ou encourager les conful-
tans. Il eft certain qu’en matière de prodiges, on
prenoit à bonne augure les chofes qui paroifl'oient
plus grandes que de coutume ; & au contraire , on
tenoit à mauvais préfage les chofes qui paroifl'oient
plus petites qu’elles ne font naturellement, comme
Saumaife l’a prouvé dans fes commentaires fur So-
lin. Il fuit de-là que les forts appetiffés ,fones exténuâtes
, pronoftiquoient par eux-mêmes un événement
finiftre ; mais j’aime à voir ce que les Phiîofo-
phes penfoient des forts en général, & ce que devinrent
ceux de Prénefte en particulier ; Cicéron m’en
éclaircit lui-même.
Q’ eft-çe à votre avis, que les forts, difoit-il à un
ftoicien ? C ’eft à-peu-près, comme de jouer au nombre,
en haufîant & en fermant les doigts, ou de jouer
aux offelets & aux dez ; en quoi le hafard, ck-peut-
etre une mauvaife fubtilité , peuvent avoir quelque
part, mais où la fagefle & la raifon n’en ont aucune.
Les forts font donc pleins de tromperie , & c’eft une
invention , ou de la fuperftition, ou de l’avidité du
gain. Là divination par les forts eft déformais entièrement
décriée. La beauté &c l’antiquité du temple
de Prénefte a véritablement confervé le nom des
forts de Prenefte, mais parmi le peuple uniquement ;
car y a-t-il quelque magiftrat, quelqu’homme un peu
conîidérable qui y ait le moindre recours ? Par-tout
ailleurs on n’en parle plus, & c’eft ce qui faifoit dire
à Carnéade , qu’il n’avoit jamais vu la fortune plus
fortunée qu’à Prénefte.
•Cependant, il s’ en fallut peu qu’ils ne revinfierft
en crédit du teins de Tibere. Suétone nous apprend*
que cet empereur ayant formé le projet de ruiner
tous les oracles voifins de Rome , ceux d’Antium *
de Ccerès, de Tibur & de Prénefte, en fut détourné
par la majefté de ces derniers , car s’étant fait remettre
le coffre bien formé & bien cacheté , les forts ne
s’y trouvèrent point, mais ce coffre ne fut pas plutôt
repôrté dans le temple de Prénefte , que les forts s’y
trouverent'comme de-coutume.
Il n’eft pas difficile de reconnoître ici l’adrefle des
prêtres, qui voulurent relever le crédit de leur ancien
oracle ; mais fon tems étoit paflé, perfbnne ne
fe rendit fur les lieux pour y avoir recours ; & ce
' qu’il y a de bien fingulier, les forts de Virgile n’ayant
pour eux aucun apparat de religion, emportèrent la
balance , & fuccéderent à ceux de Prénefte. Voye*
Sorts de V irg ile. (D . J .)
SORTS DE VIRGILE , ( Divinat. du Paganif ) fortes
Firgi liants, divination qui confiftoit à ouvrir les
oeuvres de Virgile, & à en tirer, à l’infpeétion de la
page que le hafard offrait, des préfages des événe-
mens futurs.
Le tems ayant infenfiblement donné de l’autorité
aux poéfies de Virgile , les Latins s’accoutumèrent
de même à les confiilter dans les occafions oit il leur
étoit important de connoître la volonté du ciel. L’hif-
toire des empereurs Romains , fur-tout depuis Tra*
jan , en fournit plufieurs exemples. Le premier dont
nous ayons connoiflance eft celui d’Adrien : inquiet
de favoir quels étoient les difpofitions de Trajan à
fon égard , Sc s’il le défigneroit pour fon fucceffeur
à l’empire, il prit l’Enéide de Virgile, l’ouvrit au ha*
fard, 6c y lut ces vers du VI. livre.
Qitis procul illt autem ramis infîgnis olives
Sacra ftrens ! nofco crines incanaque menta
Regis Romani j primus qui legihus urbetn
Fundabit, curibus parvis 6' paupere terra
Miffus in imperium magnum.......
Comme on ne fe rend pas difficile fur les chofes
qui flattent les defirs, quelques legeres convenances
qu’Adrien trouva dans ces vers avec fon cara&ere,
fes inclinations, le goût qu’il avoit pour la philofo-
phie & pour les cérémonies religieufes, le raffure-
rent ; &c fi l’on ajoute foi à Spartien , le fortifièrent
dans l’efpérance qu’il avoit de parvenir à l’empire.
Lampride rapporte qu’Alexandre Severe qui de-
voit pour lors être très-jeune, puifqu’il n’avoit que
treize ans lorfqu’il fut nommé empereur , s’appliquant
avec ardeur à l’étude de la Philofophie & de
la Mufique ; Mammée fa mere lui confeilla de faire
plutôt fon occupation des Arts & des Sciences né-
ceffaires à ceux qui font deftinés à gouverner les
hommes, 6c qu’Alexandre fe conforma d’autant plus
volontiers à cet avis, qu’ayant confulté Virgile fur
le fort qui lui étoit réfervé, il crut y trouver un préfage
affuré de fon élévation à l ’empire dans ces fameux
vers:
Excudent alii fpirantia mollius cera ,
Credo equidtm , &c.
Tu regere imperio populos, Romane , memento;
Hcs tibi erunt artes.
Claude le Gothique voulant favoir quelle ferait la
durée de fon régné, confulta Virgile à l’ouverture
du livre, 6c lut ce vers.
Tertia dum latio regnantem viderit eeflas.
alors il tira la conclufion , qu’il n’avoit au plus que
trois ans à vivre ; l’auteur qui nous a confervé ce
fait, afliire que Claude ne furv.écut en effet que deux
ans à cette efpece de prédiction ; 6c que celles qu’il
crût de même avoir trouvées dans Virgile fur ce qui
devoit arriver à fon frere & à fa poftérité, eurent
aufli leur accompliffement.
On rencontre dans les auteurs plufieurs exemples
de cette efpece ; Bullengerus en a recueilli une partie
dans le traité qu’il a compofé fur ce fujet ; mais-
ceux que l’on vient de rapporter lûfïïfent pour montrer
jùfqu’oit peut aller la fuperftition humaine.(£>.ƒ.)
SO R T S DES s a i n t s , ( Divinat. des .Chrétiens. )
fortes fanclorum, efpece de divination qui vers le
troifieme fiecle s’eft introduite chez les Chrétiens à
l’imitation de celles qu’on nommoit parmi les payens,
fortes homericoe , fortes virgiliante.
Elle confiftoit à ouvrir au hafard les livres facrés,
dans l’efpérance d’y trouver quelques lumières fur le
parti qu’ils avoient à fuivre dans telles 6c telles çir-
conftances ; d’y apprendre, fi le fuccès des événe-
mens qui les intéreffoient, feroit heureux ou malheureux
, 6c ce qu’ils dévoient craindre ou efpérer
du cai actere, de la conduite, & du gouvernement des
perfonnes auxquelles ils étoient fournis.
L’ufage avoit établi deux maniérés de confulter la
volonté de Dieu par Cette voie : la première étoit,
comme on vient de le d ire, d’ouvrir au hafard quelques
livres de l’Ecriture-fainte, après avoir imploré
auparavant le fecours du ciel par des jeûnes, des
prières, & d’autres pratiques religieufes. Dans la
fécondé qui étoit beaucoup plus Ample, on fe con-
fentoit de regarder comme un confeil fur ce qu’on
avoit à faire, ou comme un préfage du bon ou du
mauvais fucces de l’entreprife qu’on méditoit, les
premières paroles du livre de l’Ecriture, qu’on chan-
toit dans le moment où celui qui fe propofoit d’interroger
le ciel par cette maniéré , entrait dans une
eglife. »
Saint Auguftin dans fon épître à Janu'arius, ne paroît
condamner cette pratique qu’au fujet des affaires
mondaines ; cependant il aime encore mieux
qu’on en faffe ufage pouf les chofes de ce fiecle, que
de confulter les démons.
S. Grégoire eveque de Tours , nous a fait connoî-
tre d une maniéré affez particulière les cérémonies
religieufes, avec lefquelles on confultoit les forts des
faints. Les exemples qu’il en donne, & le fien propre,
juftifient que cette pratique étoit fort commune
de fon tems, ôt qu’il ne la defapprouvoit pas.
On en jugera par ce qu’il raconte de lui-même en -
ces termes : « Leudafte comte de Tours, quicher-
» choit à me perdre dans l’efprit de la reine Fréde-
>> gonde , étant venu à Tours avec de mauvais def-
>> feins contre moi ; frappé du danger qui me mena-
» çoit, je me retirai fort trifte dans mon oratoire;
» j’y pris les pfeaumes de David, pour voir fi à leur
» ouverture, je n’y trouverais rien d’oii je puffe ti-
>> rer quelque confolation, & j’en eus une très-gran-
» de de ce verfet, que le hafard me préfenta : IL les fit
» marcher avec efperance & fans crainte, pendant que la
» mer enveloppoit leurs ennemis. En effet, ajoute-t-il,
» Leudafte n’ofa rien entreprendre contre ma per-
» fonne ; car ce comte étant parti de Tours le même
» jour, & la barque fur laquelle il étoit monté ayant
» lait naufrage, il aurait été noyé s’il n’avoit pas fu
» nager ».
Ce qu il rapporte de Meroiiée fils de Chilpéric,
mente de trquver place ic i, parce qu’on y voit quelles
etoient les pratiques de religion auxquelles on
avoit recours pour fe rendre le ciel favorable, avant
que de confulter les forts des faints, & pour mieux
choitler ^6 a ver^® k réponfe qu’on y cherj
'-hilperic fon p ere, fe réfugia dans la bàEli-
” [ ■ i .Martin ; & ne fe fiant — I pv-
* 1 61 <ïlu avoit prédit que le roi mourroil
w e ^ ^ fuccédçrpit 3 il mil
» fiparément fur le tombeau du faint, les livres des
» pfeaumes, des rois, & des évangiles ,-iI veilla toute
| “ près du tombeau, & priafaint Martin de
» Ipt faire connoître ce qui devoit lui arriver, & s’il
» régneroit ou non. Ce prince paffa les trois jours
» lui vans dans le jeûne , les veilles , & les prières ;
»puis s’étant approché du tombeau, il ouvrit d’a-
» bord le livre des rois ; & le premier verfet portoit
» ces mots : Comme vous av*{ abandonné le Seigneur
» votre Dieu, pour%Çürir après des dieux étrangers
» 6 epie vous rieevc{ pas fait ce qui étoit agréable i f i s
»yeux , il vous a livré entre les mains de vos ennemis,
» Les paflages qui s’offrirent à lui dans le livre des
» pfeaumes, & dans celui des évangiles ( paflages
» qu il feroit inutile de rapporter), ne lui annonçant
» de même rien que de funefte , il refta long-tems
» aux pies du tombeau fondant en larmes, & fe re-
»tira en Auftrafie , où il périt malheureufement,'
» trois ans après par les artifices de la reine Fréde-
» gonde, fa belle-mere ».
Dans cet exemple, on voit que c’eft Méroüée qui
fans recourir au miniftere des clercs de faint Martin
de Tours, pofe lui-même les livres faints, & les ouvre.
Dans celui que l’on va citer toujours d’après le
meme auteur, on fait intervenir les clercs del’églife,
qui joignent leurs prières à cellesdu fuppliant; voici
comme le même auteur expofe ce fait.
« Chramne s’etant révolté contre Clotaire I. & f e
» trouvant à D ijon , les clercs de l’églife fe mirent
» en prières pour demander à D ieu, fi le jeune prin-
» ce réufliroit dans fes'deffeins, & s’il parviendrait
» un jour à la couronne, lis confulterent, comme
» dans le fait précédent, trois différens livres de l ’E-
» criture-fainte, avec cette différence, qu’à la place
»> du livre des rois & des pfeaumes, ils joignirent
» ceux du prophète Ifaïe, & les épîtres de faint Paul,
» au livre des Evangiles. A l’ouverture d’Ifaïe, ils
» lurent ces mots : J ’arracherai la haie de ma vigne ,
» & elle fera expofée au pillage ; parce qu'au lieu de
» porter de bons raifins, elle en a produit de mauvais,
» Les paffages des épîtres de faint Paul, & ceux de
» 1 évangile quife prefentoient enfuite, ne parurent
» pas moins menaçans,. & furent regardés comme
» une prédiélion de la mort tragique de ce prince
» infortuné ».
Non-feulement on employoît les forts des faints
pour fe déterminer dans les occafions ordinaires de
la vie , mais même dans les éleétions des évêques ,
lorfqu’il y avoit partage. La vie de faint Aignan fait
fo i, que c’eft de cette maniéré qu’il fut nommé évêque
d’Orléans. Saint Euverte qui occupoit le fiége
de cette ville fur la fin du iv. fiecle, fe trouvant accablé
de vieilleffe, & voulant le défigner pour fon
fucceffeur, le clergé & le peuple s’oppoferent vivement
à ce choix. Saint Euverte prit la parole, & leur
dit : « Si vous voulez un évêque agréable à D ie u ,
» fâchez que vous devez mettre Aignan à ma place».
Mais pour leur faire connoître clairement que telle
etoit la volonté du Seigneur, après que ce prélat eut
indiqué, félon la coutume, un jeûne de trois jours,
il fit mettre d’un côté fur l’autel des billets ( brévia ) ,
& de l’autre, les pfeaumes, les épîtres de faint Paul,
& les évangiles. Ce que l’hiftorien qu’on vient dé
citer , appelle ici brévia, étoient comme je l’ai traduit
, des billets fur chacun defquels on écrivoit le
nom d’un des candidats.
Saint Euverte fit enfuite amener un enfant.qui
n’avoit point encore l’ufage de la parole, & lui commanda
de prendre au hafard un de ces billets ; l’enfant
ayant obéi, il tira, celui qui portoit le nom de
faint Aignan, & fe mit à lire à haute voix : Aignan
efl le pontife que Dieu vous a choifi. Mais faint Euver^
te , continue l’hiftorien, pour fatisfaire tout le monde
, voulut encore interroger les livres faints ; le
B b b i j