Enfin on servit le souper, et comme c’était
jour maigre , on apporta pour les chrétiens zélés
, c’est-à-dire pour les deux moines et pour
l’interprète du chef de district, des racines de
céleri, des bottes de ciboules , du poireau, des
paquets de cresson de fontaine, et d’autres herbes
qu’on entassa sur un long banc en faisant à
chacun sa portion. Ce souper d’anachorète ne
réjouissait guère l’interprète David Matchéva-
rian, qui , soit dit entre nous, ne jeûnait que
parce qu’il n’osait faire autrement devant les
moines. On mangeait ces herbes crues avec un
peu de sel, dont chacun avait un petit tas devant
soi : des fèves bouillies à l’eau furent le seul mets
cuit qui assaisonnât ce régal : heureusement que
le vin était en abondance, sans quoi je ne sais
comment on aurait pu supporter toutes ces crudités.
Nous eûmes aussi, le chef du district et
moi, notre tas d’herbes en partage ; mais on eut
soin d’y ajouter quelque chose d ’autre.
J’appris là par l’interprète qu’il croissait dans
les terrains crayeux qui sont au-dessus de Sara-
pana, entre la Kvirila et la Dziroula, un vin
mousseux blanc qui imitait assez bien le champagne.
Le meilleur croît à Tsorikhaouli, dans le
Losiatkhévi, en allant de Sarapana vers Souram.
On m’avait promis de m’en faire venir ; mais Ce
n’était qu’une promesse en l’air. Au reste, on ne
loue pas en général les vins blancs de l’Iinéreth,
on les dit mal-sains , même ceux des quartiers
que je viens de nommer.
Nous retournâmes le lendemain à Satehe-
khéri ; la tempête s’était apaisée ; le paysage
sauvage n’y gagnait pas : une belle matinée du
printemps aurait été préférable pour en jou ir,
lorsqu’une riche végétation cherche à voiler de
son feuillage la nudité de ces roches noires, rongées
par l’écumante Djroudjoula.
Trajet de Satchekhéri à Gori.
Nous partîmes de Satchekhéri le 3o novembre
pour poursuivre notre route vers Gori : nous ne
fîmes ce jour-là qu’une douzaine de verst jusqu’à
Mozvi ou Modsvi, ou nous arrivâmes assez tôt
pour que je pusse visiter son église, bâtie en
calcaire tertiaire coquiller. Je me suis demandé
plusieurs fois ce que signifiaient ces fils de coton
dont on entoure les églises à plusieurs doubles.
J’eus l’extrême plaisir de voir encore une fois,
et pour la dernière, un superbe coucher du soleil
sur les alpes de Ghébi.
Nous passâmes la nuit chez un paysan du
village qui dépendait des princes tsérételli.
Le lendemain, 1er décembre, nous fîmes
fi verst à travers des collines d’argile feuilletée
recouverte de calcaire tertiaire coquiller, forma