DE S C R I P T ION
DTÉRIVAN.
Lettre écrite à mesdames B. le 23 février 1834.
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Puis-je être heureux, puis-je jouir de ce qui
se présente de plus intéressant dans mes voyages
sans penser à vous et sans regretter de ne pouvoir
partager mon bonheur avec vous l
Je n’ai pas encore pu, depuis notre séparation
en Crimée, m’habituer à être seul. A moi, si
vous voulez, les soucis et les fatigues du voyage :
mais quand je plane du haut des montagnes du
Gouriel sur le plus magnifique paysage qui soit
sorti de la main du Créateur, quand je vois
étinceler les glaciers autour de mo i, quand*je
me trouve dans ces mêlées bizarres de peuples
et de costumes divers, que j ’ouvre de grands
yeux devant cette multiplicité de scènes variées.
Pourquoi suis-je là seul, pourquoi ne puis-je
vous dire : Prenez votre part de ce plaisir ?
Pourquoi ne puis-je vous voir rire d’une scène
asiatique digne de Teniers, et vous attendiii
devant la sublimité d’un tableau ?
Je suis là à me promener en long et en large
dans la salle des glaces ou salle d audience du
sardar d’Erivan, et je recapitule ce que j ai vu
pendant la journée, palais, harem, mosquées,
caravansérai, lave , montagnes» Que de choses
curieuses ! et je soupire, je pense à vous. Combien
avez-vous perdu! Pourrai-je vous rendre
seulement l’ombre d’une de mes sensations ? Au
moins ferai-je un effort. Je voudrais vous prouver
que mon amitié n’est pas failtive et que ce
n’est pas manque de bonne volonté et d envie
de vous faire plaisir, si je vais vous ennuyer
comme par le passe de mes descriptions, qui
sont peut-être froides et sans sel. Du moins, si
c’est le cas, vous auriez bien dû m’écrire un
petit mot pour me le dire; car voilà ma septième
lettre, depuis mon départ de Crimée, sans que
j’aie pu obtenir un iota sorti de votre plume.
C’est par trop cruel.
Oui, Mesdames, je suis à Erivan. Mais vous
ne savez pas comment j’y suis arrivé; vous ne
savez pas que j’ai presque gelé par les chemins.
Où est, me direz-vous* la possibilité de pouvoir
geler sous le quarantième degré de latitude,
à Erivan? Rien de plus possible cependant', et je
suis certain que j ’ai eu ici un plus bel hiver que
le vôtre dans les plaines de l’Ukraine.