commode pour le piéton de passer à pied sec
quand il pleut : mais non pour l’acheteur, qui
vient choisir des marchandises dans le clair
obscur qui se glisse entre les fentes du toit.
Malgré cela, ce bout de bazar ne se désemplit
pas, heureux qui peut passer sans avoir reçu une
douzaine de coups dans les côtés. C’est bien
autre chose quau passage des Panoramas à
Paris.
Distinguez devant chaque boutique ces groupes
d’ombres blanches ensevelies sous les plis
de leur linceul, le vrai tehadra (1) ou voile des
Géorgiennes : vous ne voyez que leurs ïcochi
(pantoufles) et les extrémités de leurs nepJcavi
{large pantalon) : vous devinez, malgré la largeur
de ces masses informes, que ce sont des
femmes géorgiennes et arméniennes qui viennent
marchander des étoffes de soie, du chah, des
bourmettes (étoffe de coton turque), du fil, des
laines, des perles pour broder, etc. Des Géorgiennes,
vous écriez-vous ! Les célèbres Géorgiennes
! et vous vous empressez de venir contempler
ces beautés sous leurs linceuls. Elles ne
feront pas de façon pour vous ; mais pour moi,
vous les verrez se cacher et se détourner, et
cependant rien de plus laid que la plupart de
ces vieilles femmes aux traits flétris, enluminés
( 0 Le petit voile s’appelle litchaki.
de blanc et de rouge. Ne vous étonnez pas! Ce
ne sont pas les jeunes qui viennent faire la tournée
du bazar. Si vous voulez voir de belles
Géorgiennes, il faut aller chez elles.
Si l’on croyait les voyageurs qui ont parlé des
Géorgiennes depuis Chardin jusqu’à il y a vingt
ans, ces femmes n’auraient point été des modèles
de vertu. Au milieu des jugements pour ou contre
que j'ai entendu porter à leur sujet, il me serait
très-difficile d’avoir une opinion, et s’il y a
des femmes légères, il s’en trouve aussi beaucoup
que la chronique n’ose attaquer, et qui sont décentes,
modestes, réservées, et bien loin du défaut
qu’on leur reproche en général.
Mais laissons là ces vertus, vraies ou fausses,
se cacher sous le voile blanc de l’innocence, et
tournons les yeux vers ces figures majestueuses
de prêtres grecs qui se promènent une longue
canne à la main et qui heurtent contre ces Cosaques
ivres. Pour eux, le bon pays que cette
Géorgie où l’on trouve avec tant d’abondance le
vin et l’eau-de-vie ! Voilà les prêtres arméniens
à la longue barbe, au bonnet d’agneau noir plié
en claque au sommet, marque caractéristique
qui les distingue du vulgaire. Les Persans maigres
et basanés, les Turcs aux regards éternellement
flegmatiques, les Grecs, tout se mêlé, se
presse ou cherche à échapper aux secousses des