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mes se tenant à part à demi-voilées, remplissent
le fond de l’église derrière les hommes et sortent
les premières, baissant les regards.
C’est avec tin sentiment qui touche le coeur
que l’on se trouve si loin de sa patrie, au milieu
d’une société d’hommes qui sympathisent au
moins par quelques points avec vous et qui vous
traitent de frères.
Un soir, le général me mena dans le logement
où M. Kourganof s’était retiré en nous cédant le
sien. Si vous aimez la musique, me dit-il, venez
écouter notre hôte qui en joue avec passion. Je
fus si étonné du talent de cet homme sur lé balalaïka
ou guitare , et je lui témoignai tant de
plaisir qu’il m’invita pour le lendemain à un concert
de sa façon.
Jamais je n’ai vu quelqu’un de plus passionné
pour la musique que ce bon M. Kourganof. C’e—
tait un artiste distingué avec sa simple balalaïka. Il
avait réuni pour nous faire honneur un petit orchestre
de trois musiciens qu’il dirigeait en grand
maître; et accroupis sur un tapis auprès du feu,
dans sa chambre souterraine, nous ne perdîmes
pas une note pendant qu’il exécutait les airs persans,
turcs, géorgiens, les plus difficiles, avec
une habileté et une dextérité incroyables. Rien
de plus ingrat que son instrument, et cependant
il nous enchanta, et je me réfère, outre mon jugement,
à celui de M. Sialski, violon distingue,
qui était avec nous et qui ne pouvait trop exprimer
sa surprise.
M. Kourganof nous donna des échantillons de
toutes les espèces de chants des peuples voisins,
surtout des Persans. Ces peuples ont un singulier
goût musical : point d’harmonie proprement
dite, le musicien saute d’une mesure à l’autre de
la manière la plus burlesque et la plus inattendue.
La voix naturelle est contrefaite par des
intonations chevrotantes; poinJ de rythme en
général, et cependant cette mélodie si difficile à
retenir, M. Kourganof et ses accompagnants
l’exécutaient parfaitement.
Un seul air'persan me fit plaisir par son harmonie
lente et grave, par son type de mélancolie;
les musiciens russes l’ont appris et le
jouent souvent.
Les airs turcs diffèrent peu des airs persans
pour le genre ; il en est de même des chants des
Géorgiens qui semblent avoir imité leurs voisins.
Mais quand M. Kourganof vint à nous jouer
quelques airs kourdes et caucasiens, nous nous
aperçûmes à l’instant que nous étions sur une
terre étrangère. Je n’oublierai point l’effet que
produisirent sur moi les premiers : il y avait de
l’harmonie, du rythme, mais en même temps