hâtâmes de quitter l’évêque qui me donna sa bénédiction
du haut de sa galerie. On me fit descendis
la plaine qu’arrose l’Abacha, qui au-
dessus du monastère tombe en cascade du haut
d’une corniche de calcaire crayeux, et produit
l’un des paysages les plus pittoresques des alentours.
A 6 verst de Martvili, nous traversâmes à gué
l’Abacha ; un trajet de 6 autres verst npus mena
sur les rives de la Tékhouri, là où elle quitte
les dernières ramifications des montagnes pour
entrer dans la grande plaine du Phase. Qui reconnaîtrait
dans les murs en ruines, couverts de
lierre et de figuiers, que baigne la rivière, dans
ce silence et dans cette désolation, l’antique capitale
du royaume des Lazes, l’Archéopolis de
Procope, l’Aea de Circé et des Argonautes ? Nous
trouvons, pour entrer dans cette enceinte vénérable
que soutiennent de vieilles tours dont le
sein s’est ouvert, une grande porte cintrée où
la pierre et la brique se dessinent sous les pariétaires.
D’énormes platanes, des plaqueminiers,
des noyers chargés de guirlandes de vigne, de
hautes herbes masquent les débris que cherchent
mes y e u x avides. J’evoque 1 ombre de Circc, de
Médée:. . . et si je ne me trompe c’est Béjan
Dadian, neveu du prince, qui s’avance vers nous,
pour recevoir dans sa frêle demeure de bois les
hôtes qui lui arrivent ; il l’a bâtie au milieu de ces
vastes ruines qui ont bravé tant de siècles, à peu
près comme les Arabes du désert dressent leurs
tentes sous les portiques de Palmyre ; comme
les Kourdes étendent les leurs le long des murs
renversés de Tigranocerte.
Quand Ulysse abordant le palais de marbre
de Circé, là peut-être où je vois s’élever l’asile
que nous destine Béjan, les nymphes de la déesse
le reçurent sur des sièges couverts de voiles de
lin et sur des tapis de pourpre ; elles dressèrent
pour lui une table d’argent sur laquelle elleS déposèrent
des corbeilles d’o r , des coupes brillantes
, des urnes d’un vin exquis, odorant (î).
Béjan n’avait rien hérité de Circé; ses bancs
étaient de bois , et la terre son tapis ; ses coupes
étaient une corne recourbée, et une planche sur
quatre pieds remplaça la table d’argent, le vin seul
n’avait pas subi de métamorphose ; il fit tuer un
mouton en notre honneur; mais tout ce qu’il
nous offrit, il nous le donna de si bon coeur que
nous oubliâmes que d’autres avaient été plus élégamment
servis que nous : je me livrai à la joie
que j ’éprouvais d’être enfin sur cette terre sacrée.
Mais je parle du palais de Circé, comme si
tout le monde devait croire sur ma parole que
Nakolakévi est bien Aea. Tant des personnes
( i ) Homère, Odyssée, ch. X , v. 347.