quelques chose de si grave, de si mélancolique,
que l’on n’aurait jamais pu croire des sons pareils
sortis du coeur d’un IÇourde.
Les airs caucasiens et surtout lesghis leur ressemblent
par leur simplicité et par l’harmonie.
Il est de ces mélodies lesghiennes qu’on n’oublie
jamais une fois qu’on les a entendues.
M. Kourganof était tout feu, tout musique et
comme inspiré; son oeil noir étincelait; son corps
exprimait par des gestes, son visage par des traits,
l’impression musicale profonde qu’il éprouvait :
il était acteur et musicien à la fois , comme le
neveu de Rameau. 11 était profondément pénétré
et ses yeux se portaient tour à tour de nous
Sur ses collaborateurs qu’il cherchait à encourager,
qu’il applaudissait.
Quand l’un d’eux avait fini un air ou une
chanson , c’était pendant quelques minutes
commme un entr’acte : les balalaïkas et le tambourin
jouaient machinalement comme un long
prélude : tout à coup l’un d’entre eux qui se
sentait inspiré, criait par les tons les plus élevés
et les plus soutenus que puisse produire la voix
humaine une espèce de défi, M. Kourganof l’acceptait
sur le même ton ; le nouvel air était
adopté, et le mode d’intonation et les visages
changeaient suivant la nouvelle mélodie.
Nous passâmes ainsi trois heures sans nous
lasser à écouter ce concert bizarre, dans ce coin
reculé où les trois grands empires russe, persan
et turc viennent presque se toucher*
Nous partîmes de Koulpé le 4 2 mars pour
continuer notre voyage* J’avais tant dit au
général combien je désirais visiter ce qui était
accessible de l’Ararat pour la saison, qu’il voulut
m’y mener lui-même* En venant à Koulpé, nous
avions traversé la plaine à gauche de l’Araxe ; en
retournant à l’e s t, nous devions parcourir la
moitié qui est sur la rive droite*
Il faisait une de ces pluies douces d’avril quand
nous passâmes de la vallée de Koulpé dans celle
de Tchintchavat, qui est tout entière dans la
marne rouge et bleue : elle est arrosée par Je
Tchintchavat-tchai. Les pentes sont en grande
partie couvertes par des cailloux roulés de lave,
qui forment quelquefois de grands amas.
Après avoir descendu l’espace de 2 à 3 verst le
long de la Tchintchavat-tchai, on remonte sur
une coulée de lave qui se nivelle sous forme
dé plaine élevée de 2 à 3oo pieds au-dessus du
niveau de l’Araxe. Cette coulée uniforme recouvre
l’argile feuilletée qui pourrait bien être un
tuf de cendres volcaniques, et encaisse, depuis
l’embouchure de la Tchintchavat-tchai jusqu’à
un verst et demi au-delà de Karakala, Mraxe
en lui présentant deux rives bordées de rocs à
pic dont les débris encombrent la rive.