Toute la maison repose sur la base (l’une
vieille tour carrée, bâtie avec les débris de
quelques édifices plus antiques ; des briques romaines
sont semées parci parla dans la muraille.
Cette position si bien exposée devait être
quelque chose dans l’antiquité. Cela est d’autant
plus probable, qu’en creusant autour de la tour
pour quelques travaux de la nouvelle maison,
on y trouva plusieurs tombeaux ou sarcophages,
composés de six grandes dalles de pierre
sans ornements. On découvrit, dans l’un, des
cendres ; dans l’autre, de grands ossements
avec des fioles ou lacrymatoires.
Je fis un pèlerinage jusqu’à l’église de Erithi,
bâtie 600 pieds plus haut que la maison du
prince. Les éristaf du Gouria y ont leurs tombeaux.
J’y admirai quelques fragments de belles
pierres sculptées ; elles appartenaient à une
église plus ancienne, dont les débris ont servi
à reconstruire la nouvelle. Dans ce pays, on ne
voit toujours le nouveau que sur le vieux.
Que ces beaux fragments contrastent avec les
figures de saints qu’on a sculptées sur la porte
de l’église, et qui, pour l’art, ressemblent extrêmement
au fameux Svantovit d’Arcona dans
l’île de Rugen (1) !
La Soubsa, à Tchikotauri, roule aussi parmi
les cailloux granitiques et porphyriques, des
fragments de rochers calcaires dont on fait de
la chaux.
Le 11 octobre, nous quittâmes madame Mar
pour nous diriger sur Koutaïs.
En passant près d’une chaumière, je fus témoin
des cris et de la douleur que témoignent
ces peuples pour leurs morts. Les parents et les
amis ne quittent pas le corps jusqu’à ses funérailles,
et ne cessent de pousser de lugubres
complaintes. Ne t’ai-je pas aimé, lui dit l’un?
Abi ! — ]N’avais-tu pas une bonne maison , lui
dit l’autre ? Ahi ! — Quand est-ce que le boire et
le manger t’ont manqué? Ahi ! — Tes koupçhi—
nés n’étaient-elles pas remplies ? Ahi ! — N’a-
vais-tu pas un bel habit? Ahi! — Comme tu
étais bon ! Ahi ! — Comme tu étais beau ! Ahi !
— Comme tu étais habile! et tout ce monde à
chaque phrase fait un chorus, de plaintes et de
désolation, à l’entendre d’une demi-lieue. Ce
spectacle et ces cris sont effrayants, surtout
pendant la nuit, quand on n’en connaît pas la
cause.
Ce désespoir est coupé de moments de repos ;
chacun cause alors tranquillement, pour recommencer
l’instant d’après avec plus de fureur
son rôle de désolé. Le noir et la bai'be qu’on
laisse croître sont les signes du deuil chez les
hommes.