La barre elle-même qui sépare la mer du lac,
quoique couverte de bois, n’est pas davantage
à l’abri des inondations. La partie qui borde la
mer n’est qu’un sol amphibie, théâtre du combat
des dieux de la mer et de ceux de la terre ; car
les hautes vagues passant par-dessus, inondent
toute la barre, et versent une masse d’eau énorme
jusque dans le lac. Le sol inondé devient d’une
fétidité épouvantable, les eaux salées se corrompant
dans les bas-fonds ; les eaux du lac se corrompent
aussi par le mélange, et ne sont potables
ni pour les hommes ni pour les bêtes. Par la stagnation,
elles se couvrent d’une si grande multitude
de chara et de lemna, qu’elles ne présentent
qu’une plaine verdâtre.
Cependant il vaut la peine de faire une excursion
sur ce lac , ne serait-ce que pour jouir de
l’effet singulier de ce premier plan quand on a
en perspective tout le Gouria, les montagnes
lointaines d’Adjara et le commencement de la
longue chaîne déjà neigeuse qui court deBatoum
vers Trébizonde.
Pour en revenir au fort ou castel romain de
Phasis, j’ajouterai que vis-à-vis de ce fort dans
le Phase s’étend une longue île sur laquelle on
suppose qu’était le temple deCybèle dont Chardin
a vu les ruines et qu’Arrien dit qu’on voyait
à gauche en remontant le Phase; il n’y a nulle
trace, maintenant de ce monument. Sur la terre
ferme, de l’autre côté du Phase, près de la tuilerie
actuelle, on remarque aussi sur le sol
quelques traces d’anciennes habitations : peut-
être est-ce l’emplacement d’une partie de l’Em-
porium, ou de l’un de ces camps que les Romains
et les Lazes construisirent à plusieures reprises
pendant leurs guerres contre Khosroës. Au reste
il est impossible de pouvoir faire quelques recherches
pour le moment avec succès sur les
bords du fleuve qui ne sont couverts que d’immenses
forêts impénétrables, où les lianes, la
vigne, la clématite, les ronces, etc., forment
des fourrés où jamais l’homme ne met le pied.
D’ailleurs quand les eaux sont hautes tout le pays
est inondé et chaque année les eaux bourbeuses
du Phase déposent plus ou moins de limon qui
a déjà depuis longtemps enterré les villes de bois
et de briques (i).
La forteresse actuelle de Poti est à 3 verst du
castel, du côté de la mer, sur le même delta.
Murât, généralissime des armées du sultan
Amurat III, fit construire la forteresse dè Poti
en 1578, du temps de la guerre des Turcs et
des Persans. En 1640, elle fut prise et rasée par
l ’armée d’Iméreth, grossie des princes de Gouria
et de Mingrélie. On emporta à Koutaïs à5 ca-
(1) Phasis même n’a jamais été entouré que d’une muraille
de bois et d’un fossé. Agathias, 1. 3 , p. 96—-97.