tation est superbe : le noyer, le chêne, le charme,
le hêtre, de grands érables à petites feuilles, des
figuiers, des peupliers argentés, le lip’hani, le
cerisier, le plaqueminier, croissent à l’envi sauvages
dans cette terre d’une fertilité extraordinaire.
On se croit dans une forêt du Nouveau
Monde. D’énormes ceps de vigne aussi sauvage,
grimpent jusqu’au sommet des plus hauts arbres,
disputant la place au lierre, au houblon, aux
lianes à grappes rouges, aux clématites, à la péri-
ploque grecque, etc., qui entrelacent tous les arbres,
s’élançant de l’un à l’autre et tendant leurs
longs rameaux, comme des filets, dans tous les
sens. Aussi ces forêts sont-elles impraticables, et
s’écarter de l’étroit sentier est impossible : qu’on
juge de la masse de gibier, sangliers, cerfs, chacals
, hyènes même, qui y trouvent un refuge.
Çà et là dans les endroits les plus marécageux,
on cultive quelque peu de riz; on abat d’abord
les arbres, dont les troncs grossièrement ébran-
chés tiennent lieu de pont pour semer, labourer
et récolter.
Nous côtoyâmes jusqu’à Tchaladidi le Phase,
au risque souvent de voir le sentier à héler les
bateaux, amolli par les pluies et par les inondations,
céder sous nos pas, et nous entraîner
avec lui dans la rivière.
Le lendemain, au moyen d’un ordre exprès
qu’on m’avait remis, je rne fis donner pour descendre
le Phase, l’une de ces frêles cayouques
dont se servent les habitants du pays. On comptait
de Tchaladidi (1) à Poti, en suivant toutes
les sinuosités du fleuve, de 21 à 22 verst,
Descendons lentement; nous voguons au milieu
des rives ou débarquèrent Phryxus, Ulysse
et les Argonautes. Après les nombreuses discussions
que ces mythes antiques ont fait
naître, je devrais craindre d’aborder un pareil
sujet si je parvenais cependant à jeter
quelque lumière sur le chaos de suppositions
qui est résulté de toutes ces discussions ! C’est
ce à quoi je réfléchis en descendant gravement
le fleuve au travers des guirlandes de vigne qui
se baignent jusque dans ses ondes. Son cours
dans ses contours nous démasque tantôt la chaîne
brillante du Caucase, et l’Elbrous qui la couronne,
tantôt celle d’Akhallsikhé que déjà les
neiges de septembre ont aussi parée des vêtements
des glaciers.
• A 6 ou 7 verst de Tchaladidi (les grandes tiges
de maïs), nous destinguons d’abord sur la rive
droite du Phase le vieux Poti, en face de l’en-
(1) La nuit du 27 au 28 septembre (9-10 octobre)
nous eûmes une gelée blanche légère à Tchaladidi, au
bord même du Phase ; cette gelée ne se remarqua qu’à
2 ou 3 pieds au dessus de terre, et je ne pus l’apercevoir
sur la vigne et sur les raisins qui couvraient les arbres.
III. 5