— 254 ---
embarrassée, sous son voile qu’elle a peine à
soulever pour se montrer à toute cette foule
d’hommes empressés pour la Yoir ; c’est la
femme du tzarévitz et prétendant Alexandre,
qui se trouve fort étonnée de paraître dans cette
bruyante assemblée, elle qui avait vécu jusqu’alors
si retirée.
Le prince Alexandre ^ fils de George, dernier
roi de Géorgie, et petit-fils d’Héraclius II, n’avait
jamais voulu reconnaître la domination russe
comme légitime sur la Géorgie , malgré le
testament de son aïeul. Retiré tantôt chez les
Persans, tantôt chez les Turcs, suivant que les
uns ou les autres étaient en guerre contre les
Russes, il excitait le plus qu’il pouvait les ennemis
de la Russie à lui reconquérir son royaume.
La cour de Russie lui promettait pension, protection,
s’il voulait rester tranquille; il n’en tint
point compte.
Pendant qu’il était à Erivan, il épousa la fille
de Mélikh Saat, chef des Arméniens du Sardariat
d’Erivan. Après la conquête de l’Arménie et pendant
la guerre de Turquie de 1829 à i 83o, dans
laquelle il se mêla aussi, sa femme et son fils
étaient restés à Erivan chez ses parents. Après la
guerre, il les redemanda au gouvernement. Le
feld maréchal prince Paszkévitz, qui ne voyait
pas ce qu’un tzarévitz et une tzarine vaudraient
de profit de plus à la Russie, ordonna qu’011 les
lui renvoyât.
Mais la femme d’Alexandre soit timidité, soit
crainte d’un voyage, si jeune encore, soit peut-
être aussi que l’instabilité de la fortune d’Alexandre
retardât leur réunion, fit si bien, que
le feld maréchal quitta le gouvernement sans
qu’elle fut partie. D’ailleurs, il est fort probable
que son père et sa mère étaient pour beaucoup
dans ces retards ; ils avaient tant de peine à se
séparer de leur fille.
Sur ces entrefaites, le baron Rosen est nommé
général-gouverneur du Caucase ; un an se passe,
nouvelle sommation de la part du prétendant
qu’on ait à lui renvoyer sa femme qu’on croyait
partie depuis longtemps. Le baron s’informe et
apprend qu’ellé est effectivement à Erivan. Le
baron qui n’avait pas la plénipotence du feld
maréchal' et qui ne pouvait pas dire : allez-vous-
en , nous ne vous craignons pas, se trouve dans
un grand embarras. Il en écrit de suite à Saint-
Pétersbourg pour savoir que faire ? On lui répond
: Vous avez la tzarine et l’héritier présomptif
de la couronne de Géorgie entre les
mains et v q u s voulez les renvoyer aux Turcs!
qu’on les expédie au plus vite à St-Pétersbourg.’
Le fait était vrai : l’enfant était l’héritier véritable
et direct de la couronne de Géorgie; ordre
aussitôt fut donné au général prince Béboutof,