lotir de l’ait Ire étaient rangés les grands appartements.
C’est dans celle-ci que je passe une partie de
ma journée à dessiner, à me promener, à jouir
d’une vue délicieuse et à me reporter sur le passé,
sur les vicissitudes humaines. Je suis seul dans
la salle brillante, abandonnée, du palais du vice-
roi d’Erivan, qui vient de mourir misérablement
dans une écurie en Perse. Après sa malheureuse
campagne contre les Russes, le roi Feth-Ali-
Chah lui ôta tout ce qu’il avait pu sauver de ses
richesses, pour se payer des pertes que l’armée
persane avait faites, et il ne resta rien, absolument
rien au pauvre Houssein-Sardar que le
méchant habit qu’il avait sur le corps : il fut
trop heureux encore de trouver un coin dans
une écurie pour y mourir en paix.
Sa femme Hadgi-Baghioum, fille du prédécesseur
de Houssein, et qui lui avait donné avec
sa main le gouvernement de l’Arménie , s’était
aussi sauvée en Perse lors de l’invasion des
armées russes. Elle est revenue pour jouir de la
grâce de l’empereur, qui rendait les biens confisqués
à ceux qui rentreraient dans le pays.
Arrivée avec six domestiques, au lieu de pouvoir
prendre possession de ses biens immenses,
comme elle était sans enfants, sans parents, elle
s’est vue abandonnée sans protection. On n’a pu
lui refuser sa rentrée immédiate dans une maison
qu’elle fit bâtir elle-même, grande, avec
douze chambres d’enfilade. Mais les officiers
russes qui y étaient en quartier en ont emporté
les portes et les fenêtres, qu’ils y avaient placées,
et cette femme, jadis la première de la ville par
son rang, se trouvait, à lage de 75 ans, dans un
palais ouvert à tous les vents, par des froids de
12 à i 5°sans portes ni fenêtres, sans feu,accroupie
dans un coin où elle tremblait sous quelques
haillons, de froid et de faim. Cinq de ses domestiques
l’avaient quittée; il ne lui était resté qu’un
petit nègre qui alla, il y a quelques jours, mendier
deux oignons et un peu de fromage chez
les voisins pour sa maîtresse qui se mourait
d’inanition, elle qui possédait un des plus grands
jardins d’Erivan.
Mais pendant que la justice était tout occupée
à déterminer ce qui lui appartenait de droit
d’avec ce qui était à son époux Houssein, elle
aurait fort bien pu mourir de faim.
Il faut rendre justice au prince Beboutof, qui
s’était donné toutes les peines pour hâter une dé-*
cision qui ne dépendait pas de lui ; d’ailleurs il
ignorait la position de cette pauvre femme, au
secours de laquelle il s’empressa d’accourir,
quand un hasard lui en eut révélé toute l’horreur.
Hadji-Baghioum était trop fière pour laisser
soupçonner qu’elle était sans feu et sans pain.
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