Pente
rapide &
dangereu-
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En commençant cette montée j ’étois déjà bien eflouflé par la rareté de
l’air ; cependant un moment employé à reprendre haleine de 30 en 3®
pas, mais fans m’affeoir, m’aidoit à refpirer ; & je vins en 40 minutes
à l’entrée de l’avalanche qui étoit tombée la nuit précédente, & que
nous avions entendue de notre tente.
LÀ nous nous arrêtâmes tous pendant quelques moments, dans l’ef-
pérance qu’après avoir bien repofé nos jambes & nos poumons, nous
pourrions traverfer l’avalanche un peu vite & tout d’une haleine, mais
cela fe trouva impoiîîble ; le genre de fatigue qui réfulte de la rareté
de l’air eft abfolument infurmontable ; quand elle eft à fon comble
le péril le plus éminent ne vous feroit pas faire un feul pas de plus!
Mais je raffurois mes guides, en leur difant que cet endroit étoit préci-
fement le moins dangereux, parce que toutes' les neiges caduques des
hauteurs qui dominent, s’en étaient déjà détachées.
A u -d e l à de cette avalanche la pente dcvenoit continuellement plus
rapide, & aboutilToit fur notre gauche à un affreux précipice ; il fallut
franchir une fente alfez large, Si dont le palfage étoit, gêné par un
roc de glace qui forçoit à fe rapprocher du bord de la pente. Les premiers
guides avoient entaillé de pas en pas, avec une hache , la furface
dure de la neige; mais ils avoient fait les pas trop grands; enforte
que pour atteindre l’entaille il falloit faire une enjambée dans laquelle
on courait le rifque de la manquer °liffer irrémifliblement en bas.
Enfuite , vers le haut, la furface gelée fe trouva plus mince; alors elle
fe caffoit fous nos pas, & il fe trouvoit au-deifous huit ou neuf pouces
de neige en farine, qui repofoit fur une fécondé croûte de neige dure ;
on enfonçoit ainfi jufqu’à mi-jambe, après quoi l’on gliffoit du côté
du précipice , contre lequel on n’était retenu que par la croûte fupé-
rieure qui fe trouvoit ainfi chargée d’une grande partie du poids de
nos corps ; & fi elle s’étoit cafféé, on auroit infailliblement gliffé juf-
ques au bas. Mais je ne m’occupqis abfolument point du danger; mon
parti étoit pris, j’étois décidé à aller en avant, tant que mes forces
R O C H E R S E T D É T A I L S , Chap. M i6 j
me le permettraient ; je n’avois d’autre idée que celle d’affermir mes
pas & d’avancer.
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O n dit que quand on pafie au bord d’un précipice, il ne faut point P^caita
le regarder, & cela eft vrai, jufques a un certain point ; mais voici tlons.
fur cet objet le réfultat de ma longue expérience. Avant de s’engager
dans un mauvais pas, il faut commencer par contempler le précipice
& s’en raftàfier pour ainfi dire , jufques à ce qu’il ait épuifé tout fon
effet fur l’imagination, & qu’on puiffe le voir avec une efpece d’indifférence.
Il faut en même tems étudier la marche que l’on tiendra, &
marquer, pour ainfi dire , les pas que l’on doit faire. Enfuite on ne penfe
plus au danger, & l’on ne s’occupe plus que du foin de fuivre la route
que l’on s’eft prefcrite. Mais fi l’on ne peut pas fupporter la vue du précipice
& s’y habituer , il faut renoncer à fon entreprife ; car quand le
ffentier eft étroit, il eft impoffible. de regarder où l’on met le pied
fans voir en même tems le précipice ; & cette vue, fi elle vous prend à
l’improvifte, vous donne des éblouiffemens, & peut être la caufe de
votre perte. Cette réglé de conduite dans les dangers, me paraît applicable
au moral comme au phyfique.
J’employa i là & dans d’autres paflages dangereux, la maniéré de
fé faire aider par fes guides, qui me paraît tout-à-la-fois la plus iûre
pour celui qui l’emploie, & la moins incommode pour ceux qui lui
aident, c eft d’avoir un haton leger, mais folide, de S à 10 pieds de longueur
; deux guides, placés l’un devant vous, l’autre derrière, tiennent
le bâton du côté du précipice, l’un par un bout, l’autre par l’autre ; &
vous vous marchez au milieu avec cette barrière ambulanteffur laquelle
vous vous foutenez au befoin ; cela ne gêne ni ne fatigue les guides en
aucune maniéré , & peut fervir à les foutenir eux-mêmes au cas que l’un
d eux vint à gliffer ou à tomber dans une fente. C’eft dans cette attitude
que M, le Chevalier de M e c h e l m’a repréfenté dans la grande
planche enluminée, qu’il a fait graver de notre caravfne au milieu
des glaces. I f
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