Ï6i M O N T - B L A N C ,
lorfque les guides imaginèrent un moyen fort ingénieux pour nous en
proïnrer. Ils lançoient de groffes pelottes de neige contre des rochers
expofés au foleil, une partie de la neige s’y attachoit, fe fondoit contre
le rocher rechauffé, & nous recueillions l’eau qui venoit goutte à goutte
diftiller à fon pied. Ils fe relayoient pour lancer de la neige, & il s’établit
en peu de moments une fontaine qui nous fournit autant d’eau
que nous pouvions en defirer.
C i rocher, de même que celui qui eft plus au Midi & le dernier
de cette chaîne ifolée, eft comme les autres, compofé de roches primitives
fchifteufes, mélangées de quartz, de hornblende & defeld-
ipath , avec des noeuds, les uns de quartz pur , les autres d’une roche
granitoïde. Celui qui eft le plus élevé préfente des veines; les unes
noires de hornblende à peu-près pure ; les autres blanches de feldfpath;
mais un oxide de fer qui vient de la hornblende décompofée,
donne à tous ces rochers un afpeft jaunâtre. Les couches de ces fchiftes
font encore fltuées fuivant la loi du §. 6 7 7 , mais elles font prefque
verticales.
C e rocher ifole, au milieu des neiges, étoit pour mes guides un lieu
de délices, une isle de Calypfo; ils ne pouvoient pas fe réfoudre à le
quitter & vouloient abfolument y pailer la nuit. Ô11 a vu-dans la relation
abrégée combien j’eus de peine à les déterminer à partir.
plateau de D elà, en | f minutes de montée , nous atteignîmes le preneige.
mier grand plateau de neige qui fe préiente fur cette route. La pente
de ce plateau eft bien encore de 10 à 12 degrés , mais c’étoit une
pjaine en comparaifon des pentes que nous avions gravies. A notre
gauche étoit l’aiguille du Midi , qui commençoit à s'abaiffer fenli-
bîement ; à notre droite, le dôme du Goûté, où domine la hornblende
en decompofition. La fommité de ce dôme, coupée prefqu’à
pic de notre côté , couverte d’une voûte de neige , demi - circulaire ,
comme l’arche d’un pont, & couronnée par une fuite dç ces énormes
rochers et détails, cuP. m jgj
blocs de neige déformé cubique que j’ai nommés feracs, préfentoit le
plus fingulier & le plus magnifique fpeflacle. Devant nous étoit lu
cime du Mont-Blanc, le but de notre voyage, encore prodigieuiè-
ment élevée à nos yeux ; à fa gauche , les rocs que nous nommons
fes efcaliers, & de fuperbes coupures de neiges vives qui , éclairées par
le foleil, paroiffoient d’un éclat & d’une vivacité finguliere.
§. 1981. Nous mîmes 20 minutes à traverfer ce plateau; &cetetni Séracs vus
nous parut bien long, parce que depuis le dernier voyage de Jaques P^s*
B almàt , il avoit été balayé dans toute fa largeur, par deux énormes
avalanches de feracs, détachées du dôme du Goûté nous fûmes obligés
de paffer au travers de ces avalanches avec la crainte d’en effuÿer
de nouvelles, j ’eus cependant du pla.iilr à obferver ces feracs que l’on a
rarement occafion de voir d’auffi près. J’enhiefurai qui avoient plus de 1 s
pieds en tous feus; le fond, ou la partie qui avoit été contigue au roc ,
étoit une glace à petites bulles, translucide, blanche, dure, plus compacte
que celle des glaciers ordinaires. ( 1 ) La face oppofée, qui avoit été
originairement la face fupérieure, étoit encore de la neige , quoiqu’un,
peu durcie ; & on voyoit dans le même bloc toutes les nuances entre
ces deux extrêmes. Nous nous étonnions que plufieurs de ces blocs
fuffent venus jufques là fans fe déformer, & même qu’ils y fuffent
venus ; car le dôme d u ‘Goûté, d’où ils s’étoient détachés, eft fort
éloigné, & la pente qui conduit à fon pied n’eft point rapide : fans
douta qu’ils avoient gliffé le matin fur la neige durcie & glacée par
le fro,id de la nuit ; & que leur viteffe initiale avoit été très-grande.
§. 19S2. Da ce plateau nous montâmes pendant près d’une heure ,SecoB(i i' i / « , , , „ plateau où
par une pente de 34 degres, & nous atteignîmes ainfi le fécond plateau l’on paire
où nous devions paffer la nuit. 13 fronde
nuit
( 1 ) La vue de cette glace fi blanche ,
fl «Semblante à de la neige, me prouve
que j’avois bien pu me tromper, lorfque du
haut du Crémones, §. 940, j’avois cru
pouvoir affirmer que les calotte« qui recouvrent
le Mont-Blanc & les fotnmités
voifmes , font en entier de neige & nen
poine de glace.
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