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Animaux. §. 2017. Nous ne vîmes près de la cime d’autres animaux que deux
papillons ; l’un étoit une petite phalenegrife, qui traverfoit le premier
plateau de neige ; l’autre, un papillon de jour qui me parut être le
myrtil; il traverfoit la derniere pente du Mont-Blanc, environ à 10e
toifes au-deffous de la cime.
J’a i quelquefois été témoin de la maniéré dont ces infectes s’engagent
fur les glaciers. En voltigeant fur les prairies qui les bordent,
ils s’aventurent au-deifus de la neige ou de la glace ; & s’ils perdent la
terre de vue, ils vonttoujours en avant, & nefachant où fe pofer, pour
peu que le vent les foutienne, ils volent jufques fur les fommités les
' plus élevées, où ils tombent enfin de fatigue & meurent fur la neige.
Végétaux. §. soi 8. La plante parfaite, ou à fleurs diftinfles, que j’ai rencontrée
à la plus grande élévation c’eft; le filene acaulis ou carnillet mouffiir
de M. de la Marck ; j’en trouvai une touffe fleurie dans une fente du
rocher, auprès duquel je couchai à mon retour, environ à 1780 toifes
au-deifus de la mer. Mais j’ai vu de petits lichens tuberculés jufques
fur les rochers les plus élevés , & entr’autres le fulpbureus & le ru-
pejlris de Hoffmann. Enumeratio lichenum.
& ^ods^s a0l9- JE ne fais par quel preftige quelques .voyageurs ont pu
les mêmes. cr°ire que nos fens, & en particulier le goût & l’odorat, ne reçoivent
pas fur les montagnes les mêmes impreffions que dans la plaine. Pour
m oi, & tous ceux avec qui j’ai voyagé fur des montagnes de toute
hauteur, jufqu’à la cime du Mont-Blanc, nous n’y avons jamais trouvé
aucune différence, quoique nous en ayons fait expreffément l’épreuve :
le pain, le vin, la viande, les fruits, les liqueurs nous ont toujours
paru avoir exactement leur faveur & leur odeur ordinaire ; & il n’y a
rien dans les principes de la phyfique ni de la phyfiologie qui puiffe
annoncer un réfultat différent.
Son foible. §. 3020. E t fi le fon eft plus fo ib le , c’eft un e ffe t, non de fàffoî-
'O B S E R V A T IONS M É T É O R O L O G IQ U E S , Chap. VI. 207
bliffement de l’organe de l’ouie, mais de la rareté de l’air qui diminue
fon reflort &la force de fes vibrations. Et pour une cime ifolée, il y a
encore de plus, l’abfence des échos & des fons répercutés, par des
objets folides. Ces caufes réunies rendoient effedlivement les fons remarquablement
foibles fur la cime du Mont-Blanc; un coup de pif-
tolet n’y fit pas plus de bruit qu’un petit pétard de la Chine n’en fait
dans une chambre.
§. 2021. Mais de tous nos organes, celui qui eft le plus affeété par Vitefle
la rareté de l’air, c’eft celui de la refpiration. On fait que pour entre- du P0“'8,
tenir la vie, fur-tout celle des animaux à fang chaud, il faut qu’une
quantité déterminée d’air traverfe leurs poumons dans un tems donné.
Si donc l’air qu’ils refpirent eft le double plus rare, il faudra que leurs
infpirations foient le double plus fréquentes, afin que la rareté foit com-
penféé par le volume., Qeft cette accélération forcée de là refpiration qui
eft la caufe de la fatigue & des angoiflès que l’on éprouve à ces grandes
hauteurs. Car en même tems que la refpiration s’accélere, la circulation
s’accélere auffi. Je m’en étois fou vent apperçu fur de hautes cimes, mais
je voùlois en faire une épreuve exaite fur le Mont-Blanc ; & pour que l’action
du mouvement du voyage ne put pas fe confondre avec celle de
la rareté de l’air, je ne fis mon épreuve qu’après que nous fûmes reftés
tranquilles ¿-ou à peu-près tranquilles pendant 4 heures fur la cime
de .la montagne; Alors le pouls de Pierre Balmat fe trouva battre 98
pulfations par minute; celui de Têtu, mon domeftique 112, & le mien
100. A Chamouni,, également après le repos,: les mêmes, dans le même
ordre battirent 4 9 , 60, 7a.
Nous étions donc tous là dans un. état de fievre qui explique, & la
foif qui nous tourmentait, & notre averfion pour le vin, pour les
liqueurs fortes, & même pour toute efpece d’aliment. Il n’y avoit que
l’eau fraîche qui fit du bien & du plaifir; & il fallut, comme je l’ai
d it, du tems & de la peine pour allumer du charbon .qui, fer vit à
fondre de la neige, leul moyen que nous euffions de nous procure!