aiS C O L D V G Ê A N T.
La difficulté étoit de trouver un emplacement convenable. Je voulois
qu’il eût environ 1800 toifes d’élévation ; je defirois que. ce fût un endroit
découvert, où les vents & tous les météores puffent jouer avec
liberté. Il n’auroit pas été difficile de trouver quelque cime couverte de
neige qui réunit à peu-près ces propriétés ; mais il n’étoit pas praticable
de faire fur la neige un établiffement un peu durable , foit à
caufe de l’inftabilité des inftruments qu’on y auroit placés , foit à caufe
du froid & de l'humidité-. Or , il'étoit difficile de trouver dans nos
Alpes, à une 11 grande hauteur, un rocher dépouillé de neige , & tout
à'; la fois acceffible & affez fpacieux -, pour qu’on pût y établir une
efpece de domicile. .
M. E x c h a q u e t , que je confultai fur ce projet, me dit que fur la
route nouvellement découverte , qui conduit de Chamouni à Cour-
mayeur, en paiïànt par le Tacul, je IrouYerois des rochers tels que
je les fouhaitois.
Prépa- §• 2026. M e repofant fur fa parole , dès le printems je fis mes pré-
paratifs pour cette expédition, & dès les premiers jours de juin 1788,
j’allai avec mon fils m’établir à Chamouni, pour» attendre le beau tenis
& le faifir au moment où il parôîtroit. Je portai avec* nfoi deux petites
tentes de toile ; mais je defirois, outre cela, d’avoir une cabane en
pierre. Il mefalloit plufieurs abris ou domiciles féparés , non-feulement
pour nous & nos guides, mais parce que le magnetometre & la bout
foie de variation devoient être éloignés l’un de l’autre pour ne pas influer
fur leurs variations réciproques : j’envoyai donc à l’avance conf-
trùire cette cabane.
De Chs- g. 2027. L o r s q u ’ e l l e fut achevée & que le beau tems parut folide-
Tacul! niement établi nous partîmes de Chamouni. Le premier jour, 2 de
juillet, nous allâmes coucher fous nos tentes, au Tacul ; on appelle
ainfi un fond couvert d e gazon , au bord d’un petit lac, renfermé entre
l’extrémité du glacier des bois & le pied d’un rocher qui; porte, le nom
R E L A T1 O N D U V O Y A G E , Chap. 1. 2 fÿ-
de montagne du Tacul, Le lendemain nous partîmes, de là à 5 heures
& demi.du matin, & nous arrivâmes 'a midi & demi à notre cabane.
J’ai donné à cet endroit le nom du Col du Géant, parce qu’il eft effectivement
à l’entrée du col par lequel on defcend à, Courmayeur , &
parce que la montagne la plus apparente Au voifinage, & qui domine
ce col eft le Géant ; haute cime efcarpée que l’on reconnoit très-bien
des bords de notre lac. Le nom du Tacul qui eft à 6 ou 7 heures de
marche de ces rochers ne pouvoit point du tout leur convenir.
§. 2028. En allant du Tacul au col du Géant, nous ne pûmes point DHTacrf
palier par le glacier de Trélaporte , que nos dévanciers avoient tra-au, co1 ‘lu
verfé l’année précédente; les crevalfes de ce glacier fe trouvoient ou- e*n
vertes & dégarnies de-neige , àu point de le rendre inacceffible : nous
fûmes forcés de fuivre le pied d’une haute cime nommée la Noire ,
en côtoyant des pentes de neige extrêmement rapides & bordées de profondes
crevaffes. Nos guides affuroient que ce paifageeft beaucoup plus
dangereux que celui qu’on avoit fuivi l’année précédente ; mais je ne
fais pas beaucoup de fond fur ces affertions,- foit parce que le danger
prêtent paroît toujours plus grand que celui qui eft palfé, foit parce
qu’ils croyênt flatter les voyageurs en leur difant qu’ils ont échappé à
de grands périls. Mais toujours eft-il vrai que ce paifage- de la Noire
eft réellement dangereux ; & même comme il avoit gelé dans la nuit,
il eût été impoffible de paffer fur ces neiges dures & rapides, 11 la veille,
pendant que la neige étoit attendrie par l’ardeur du foleil, nos gens
n’étoient pas allés y marquer des pas.
■ Nous eûmes enfuite à courir, comme au Mont-Blanc, le danger des
crevaifes cachées fous de minces plateaux de neige. Ces crevaffes deviennent
moins larges & moins fréquentes vers le haut de la montagne;,
& nous nous flattions d’en être à peu-près quittes, lorfque tout-
à-coup nous entendîmes crier : des egrdes^ de$ cordes. On demandoitces
cordes pour retirer :du fond du glacjer Alexis Balmat, l’un des porteurs
de notre bagage , qui nous précédoit d’environ cent pas, & qui avoit mm