Excur-
Îion des
guides.
Kocs foudroyés.
i64 m o n t - b l a n c ;
" Il y eut d’abord de longues & férieufes délibérations fur le choix
de l’endroit où l’on placerait la tente , fous laquelle nous deviohs tous
nous réunir pour être à l’abri du froid de la nuit, dont les guides le
formoient une idée lî effrayante. Outre le froid { nous avions à éviter
deux dangers, dont l’un venoit d’en-haut, l’autre d’en-bas : il s’agif-
foit de choifir une place, où nous ne puflîons pas' être atteints par les
avalanches qui pouvoient partir des hauteurs’, & ou il n’y eut pas lieu
de fufpeder quelque crevaffe cachée par . des neiges fuperficklle*. Les
guides frémiffoient, de l’idée que ces neiges chargées du poids de 20
hommes réunis dans un petit efpace, & ramollies par la chaleur de
leurs corps, pouvoient s’affaiffer tout d’un coup & nous engloutir
tous enfemble au milieu de la nuit. Une crevaffe épouvantable que
nous avions côtoyée en montant fur ce même plateau, & qui pouvoit
fe prolonger au-deffous, prouvoit au moins la potiibilite de cette fup-
pofition. Cependant nous trouvâmes, à 150 pas de l’entree du plateau,
une place qui nous parut bien à l’abri de tous ces dangers. Là, on
fe mit à creufer la neige & à tendre la tente au-deffus du creux que
l’on avoit formé. J’ai décrit dans la relation abrégée l’incommodité
que la rareté de l’air faifoit éprouver aux travailleurs.
5- 1983. A p r è s quelques moments de repos, M arte C o u t e t 8c deux
autres, allèrent fur le dôme du Goûté, chercher des pierres couvertes
de bulles vitreufes que j’ai décrites dans le fécond volume, §• n j ? .
Ils en rapportèrent de fort belles , & une entr’autres bien remarquable
, en ce que les bulles parfemées à fa furtace font d’une couleur
analogue à la partie de la pierre correfpondante, noirâtres ou verdâtres
fur la hornblende, & blanchâtres fur le feldfpath; ce qui démontré
bien qu’elles ont été formées par une fuiion fuperficielle du
rocher, & que c’eft par conféquent la foudre qui les a produites. En
effet, quel autre agent aurait pu produire cet effet à la furface d un
rocher ifolé au milieu des neiges ? Les mêmes guides allèrent enfuite
examiner l’état de la pente rapide que nous avions a. gravir le lendemain.
Ils revinrent fatisfaits d’avoir trouvé, comblée par les neiges,
R O C H E R S E T D E TA 1 L S , Ox*p. III. i s s
une crevaffe qui, dans le précédent voyage leur avoit donné aflez de
yeine à traverfer ; mais la pente par laquelle nous devions monter leur
avoit paru bien rapide , & d’une neige bien dure & bien gliffante, 8c
je vis clairement qu’ils doutoient que je puffe y monter.
§. 1984. Sur les montagnes dégagées de neiges, & dont la hauteur , Soirée
n’excede pas 1000 à 1200 toifes , il eft très-agréable d’arriver de bonne ces"ndg«.
heure à fon gîte ; la fraîcheur du foir délaffe des.fatigues de la journée;
on s’affied fur l’hérbe ou fur un rocher,, on s’amufe à obferverles dégradations
de la lumière & les accidents qui accompagnent prefque
toujours le coucher du foleil & le crépufcuîe. Mais dans les montagnes
très-élevées & couvertes de neiges, ces fins de journée font extrêmement
pénibles, on ne fait où fe tenir ; fi l’on refte tranquille on eft
tranii de froid, & la fatigue jointe à la rareté de l’air, vous ôte la
force & le courage de vous échauffer par l’exercice. C’eft. ce que nous
éprouvâmes dans cette ftation, où nous étions arrivés vers les quatre
heures. Nous gelions tous de froid; onattendoit avec une extrême impatience
que la tente fut dreffée ; dès qu’elle le fu t , tout le monde fe
jeta dedans, & bientôt le babil des guides & les naufées de ceux qui
avoient mal au coeur, me forcèrent à en fortir. Je preffai le foupé le
plus qu’il fut poffible. Enfuite on eût beaucoup de peine à s’arranger
de maniéré à entrer tous fous la tente dans une attitude où l’on pût
paffer la nuit; ils me permirent de me coucher dans un angle; mais pour
eux, ils ne purent que s’affeoir fur de la paille, entre les jambes les
uns des autres ; & l’air vicié par la refpiration de *0 perfonnes entaf-
fées dans un fi petit efpace, nous fit palier la mauvaife nuit dont j’ai
parlé.
§. 198V- L e lendemain nous traverfâmes d’abord le fécond plateau Troîfieme
à l’entrée duquel nous avions paffé la nuit; delà nous montâmes au
troifieme, que nous traverfâmes auffi, & nous vînmes en demi - heure l’épaule du
au bas de la grande pente, par laquelle en tirant à l’Eft , on monte
fur le rocher qui forme l’épaule gauche de la cime du Mont-Blanc.