Départ
du fecosd
jour. Paf-
fag« du
glacier.
15S M 0 N T - B L A N S ,
même gaiement fon aventure: malgré cela fon récit répandit une teinte
fombre fur les phyfionomies ; les plus braves en plaifanterènt, mais
les autres parurent trouver ces plaifanteries un peu froides. Cependant
perfonne ne parla de s’en retourner , & au contraire, chacun
s’occupa à chercher un abri pour palier la nuit ; les uns regagnèrent
mon ancien gîte, §• 1969 , où ils efpéroient d’être plus chaudement;
d’autres fe nichèrent entre des blocs | de granit, pour moi je couchai
fous ma tente avec mon domeftique & deux ou trois de mes anciens
guides.
§. 157 j. Le lendemain, 2 d’août, malgré le grand intérêt que nous
avions tous à partir de bon matin , il s’éleva tant de difficultés entre
les guides fur la répartition & l’arrangement de leurs charges, qut
nous ne fûmes en pleine marche qu’à 6 heures & demie. Chacun redoutait
de fe charger, moins encore par la crainte de la fatigue, que
dans celle d’enfoncer la neige par fon poids, & de tomber ainfi dans
une crevaffe.
Nous entrâmes fur le glacier, vis-à-vis des blocs de granit, à l’abri
âefquels nous avions dormi ; l’entrée en eft très-facile, mais bientôt
après l’on s’engage dans un labyrinthe de rochers de glace féparés
par de larges crevatl'es ; ici, entièrement ouvertes ; là , comblées en tout
ou en partie par des neiges, qui fouvent forment des efpeces d’arches,
évidées par-deflous, &qui cependant font quelquefois les feules
reffources que l’on ait pour traverfer ces crevaffes ; ailleurs, c’eft une
arrête tranchante de glace , qui fert de pont pour les traverfer. Dans
quelques endroits où les crevaifes font abfolument, vuides, on eft
réduit à defeendre julques au fond, & à remonter enfuite le mur
oppofé par des efcaliers taillés avec la hache dans la glace vive. Mais
nulle part on n’atteint, ni ne voit même le roc ; le fond eft toujours
neige ou glace ; & il y a des moments où après être defeendu dans
ces abîmes, entourés de murs de glace prefque verticaux, on ne peut
pas fe figurer par où l’on en fortira. Cependant tant qu’on marche fur
R O C H E R S E T D É T A I L S , Ckaf. 1 1 1 . 0
la glace viv e, quelqu’étroites que foîent les arrêtes, quelque rapides
que foîent les pentes, ces intrépides Chamouniards , dont la tête & le
i pied font également fermes, ne paroiilent ni effrayés, ni inquiets ;
ils caufent, rient, fe défient les uns les autres; mais quaud on paiïe
i fur ces voûtes minces fufpendues au-deffus des abîmes, on les voit
marcher dans le plus profond fiience ; les trois premiers liés cnfemble
par des cordes à 5 ou 6 pieds de diftance l’un de l’autre ; les autres fe
tenant deux à deux par leurs bâtons, les yeux fixés fur leurs pieds ,
B chacun s’efforçant de pofer exactement & légèrement le pied dans la
trace de celui qui le précédé. Ce fut fur-tout quand nous eûmes vu
la place où M a r i e C u o t it s’étoit enfoneé, que ce genre de crainte
augmenta; la neige avoit manqué tout-à-coup fous fes pa s, en formant
autour de lui un vuide de 6 à 7 pieds de diametre & avoit découvert
un abime dont 011 n’appercevoit ni le fond ni les bords ; & cela
dans un endroit où aucun figne extérieur n’indiquoit la moindre appa.
rence de danger. Auffi, lorfqu’après avoir franchi quelqu’une de ces
neiges fufpefles, la caravanne fe retrouvoit fur un rocher de glace
vive, l’expreffion de la jo ie& d e la férénité éclairciffoit toutes lesphy-
iionomies ; le babil & les jaétances recomuiençoient : puis on tenoit
confeil fur la route qu’il falloit fuivre, & raffuré par le fuccès, on
s’expofoit avec plus de confiance à de nouveaux dangers. Nous mîmes
ainfi près de trois heures à traverfer ce redoutable glacier, quoiqu’il
ait à peine un quart de lieue de largeur. Dès-lors nous ne marchâmes
plus que fur des neiges, fouvent très-difficiles, par la rapidité de leurs
pentes, & quelquefois dangereufes lorfque ces pentes aboutiffent à des
précipices : mais, où du moins l’on ne craint d’autre danger que celui
que l’on v o it , & où l’on ne rifque pas d’être englouti , fans que la
force ni l’adrefie puffent être d’aucun fecours.
§. 1974. En fortant du glacier, on eft obligé de gravir une de ces
pentes de neige extrêmement rapides, après quoi l’on vient paffer au
pied du rocher le plus bas & le plus feptentrional d’une petite chaîne
de rochers, ifolés au milieu des glaces du Mont-Blanc.