M O N T - B L A N C ,
m’annoneef fet nouveaux fuccès; il étoit monté le f juillet a la cime
de la montagne avec deux autres guides , Jean-Michel C a c h a t &
Alexis T o u r n ie r . Il pleuvoit quand j’arrivai à Chamouni, & le mauvais
tems dura près de quatre femaines. Mais j’étois décide à attendre
jufques à la fin de la faifon plutôt que de manquer le moment favorable.
I l vint enfin, ce moment fi defiré, & je me mis en marche le premier
août , accompagné d’un domeftique &- de 18 guides ( 1 ) qui
portoient mes inftruments de phyfique & tout l’attirail dont j’avois
befoin. Mon fils aîné defiroit ardemment de m’accompagner ; mais je
craignis qu’il ne fût pas encore aiïèz robufte & allez exercé a des courfes
de ce genre. J’exigeai qu’il y renonçât. Il refta au Prieuré , où il fit
avec beaucoup de foin, des obfervations correfpondantes à celles que
je faifois fur la cime. .
Quoiqu'il y ait à peine deux lieues & un quart en ligne droite a
du Prieuré de Chamouni à la cime du Mont-Blanc, cette courfe a
toujours exigé au moins 18 heures de marche , parce qu il y a de
mauvais pas, des détours & environ 1920 toifes à monter.
P our être parfaitement libre fur le choix des lieux ou je paiferois
les nuits, je fis porter une tente , & le premier foir j ’allai coucher fous
( i ) Voici leurs noms.
Jaques Balmat, dit le Mont-Blanc.
Pierre Balmat? . , ,. . .
? mes guides ordinaires,
Marie Contet j
Jaques Balmat, domeft. de Mde. Couteran.
Jean-Michel Cachat, dit le Géant.
Jean-Baptiße Lombard, dit JoraJJe.
Alexis Toufnier.
Alexis LBàlmat.
Jean-Louis Dévouiffotn
Jean-Michel ->
Michel 1 Dévouaffou, freres.
François t
Pierre J
François Coutet.
.............. Ravanet.
'Pierre-François Favr,et.
Jean-Pierre Cachat.
Jean-Michel Tournier»
R E L A T I O N A B R É G É E , Chap. I I . 143
cette tente au fommet de la montagne de la Côte, qui eft fituée au
midi du Prieuré, & à 779 ' toifes au-deiïus de ce village. Cette journée
eft exempte de peine & de danger ; on monte toujours fur le gazon
ou fur le roc, & l’on "fait aifément la route en cinq oü fix heures.
Mais de là jufques à la cime , ou ne marche plus que fur les glaces
ou fur les neiges.
L a fécondé journée n’eft pas la plus facile. Il faut d’abord traverfer
le glaoier de la Côte pour gagner le pied d’une petite chaîne de rocs
qui font enclavés dans. les neiges du Mont-Blanc. Ce glacier eft difficile
& dangereux. Il eft entrecoupé de crevalfcs larges, profondes &
irrégulières ; & fouvent on ne peut les franchir que fur des ponts de
neige, qui font quelquefois très-minces & fufpendus fur des abîmes.
Un de mes guides faillit à y périr. Il étoit allé la veille avec deux
autres pour reconnoitre le paifage : heureufement ils avoient eu la
précaution de fe lier les uns aux autres avec des cordes ; la neige fe
rompit fous lui au milieu d’une large & profonde crevalfe, & il demeura
fufpendu entre lès deux camarades. Nous pafsâmes tout près
de l’ouverture qui s’étoit formée fous lu i, & je frémis à la vue du
danger qu’il avoit couru. Le paflage de ce glacier eft fi difficile & fi
tortueux , qu’il nous fallut trois heures'pour aller du haut de la Côte
jufques aux premiers rocs de la chaîne iiolee j quoiqu’il n’y aitgueres
plus d’un quart de lieue en ligne droite.
A p r è s avoir atteint ces rocs, on s’en éloigne d’abord pour
monter en ferpentant dans un vallon rempli de neiges , qui va du
Nord au Sud jufques au pied de la* plus haute cime. Ces neiges font
coupées de loin en loin par d’énormes & fuperbes crevaifes. Leur
coupe vive & nette montre les neiges difpofées par couches horizontales
, & chacune de ces couches correfpond à une année. Quelle
que foit la largeur de ces crevaifes, on ne peut nulle part en découvrir
le fond.
M e s guides defiroient que nous palfaffions la nuit auprès de quel