La pente du glacier eft fort douce , nos mulets y marchoient avec
tant d’aftbrance, que nos guides nous confeilloient de les monter.
Mais dès que la pente devint plus roide, les mulets chargés commencèrent
à enfoncer, tantôt d’une jambe, tantôt de l’autre, puis des
quatre à la fois & même jniqu’aux fangles ; on voulut elfayer de les
foutenir, mais il fallut y renoncer ; nos guides prirent leurs charges
fur leurs épaules & les portèrent jufqu’au haut du glacier , qui heu-
reufement n’étoit pas bien éloigné. Les mulets délivrés de leurs fardeaux
n’enfonccrent plus mais cependant ils avoient beaucoup de
peine à avancer, ils étoient effouflés , obligés de reprendre haleine
dès qu’ils avoient fait quelques pas. La pente n’étoit pourtant point
très-rapide , & les trois ou quatre heures de marche qu’ils avoient
faite ne pouvoient pas les avoir fatigués, d’autant qu’ils s’étoient repo-
fés la veille & la moitié de l’avant-veille ; mais c’étoit la rareté de l’air
qui les affecloit ; ils éprouvoient toutfe que nous avions éprouvé en
graviffant le Mont-Blanc. Coutet & Cachat, qui m’y avoient accompagné
, étoient frappés de cette reffemblance, ils furent même les premiers
à la faiflr ; la refpiration de ces pauvres animaux étoit extrêmement
pénible, & dans les moments même où ils reprenoient haleine,
on les voyoit haleter avec tant d’angoiffe, qu’ils pouffoient une efpece de
cri plaintif, que je n’avois jamais entendu , même dans les plus grandes
fatigues. 11 eft vrai que jamais je n’avois voyagé avec des mulets à
une auffi grande élévation, & qu’excepté peut-être dans les Cordillères
, il n’y a fûrement fur le refte du globe aucun paifage auflï élevé
qui foit aeceffible à des mulets. Le baromètre, obfervé fur un petit
terre-plein, un peu au-deffus du point le plus élevé du paifage, ne fè
foutint qu’à i g pouces io lignes 5 ; ce qui a donné une élévation de
17; 6 toiles au-deflus de la mer.
Le haut de ce paflàge préfente encore une autre Angularité ; c’eft
un fort ou une redoute formée par une muraille en pierres féches
bien lolidement afliles, avec des meurtrières pour de gros moulquets.
Cetie redoute porte le nom de St. Théodule, nous en avions déjà
F I N D U V 0 Y Â G E ; Chap- VI I I . j g l
vu une autre au-deflus de l’entrée du glacier. Ces deux redoutes ont ^
été conftruités , il y a deux ou trois fiecles par les habitants du Val-
d’Aoft, qui craignoient de ce côté-là une invafion des habitans du Val-
lais. Ce font vrail'emblablement les ouvrages de fortification les plus
élevé s de notre planete. Mais pourquoi faut-il que les hommes n’aient
• érigé dans ces hautes régions un ouvrage auifi durable que pour y
laiifer un monument de leur haine & de leurs paffions deftruftives ?
D’ailleuts, ce fite eft très-beau dans fon genre. Tout le haut du Col,
balayé par les vents, eft dégagé de neiges pendant la belle faifon ; la
hauteur, au levant, fur laquelle nous tendîmes une tente, a autour
d’elle un joli terre-plein orné de touifes de aretia Helvetica & dé
rcmonculus glacialis. Si j’avois connu ce polie d’un accès fi facile, en
eomparaifon du Col du Géant, beaucoup moins éloigné des lieux
habités & qui n’eft que de 27 toifes moins haut , je l’aurois certainement
choifi de préférence pour nos obfervations météorologiques, &
nous y aurions bien moins eu à fouffrir.
O n jouit de là d’une très-belle vue de montagnes ; on voit au levant
une partie de l’enceinte extérieure du Mont-Rofe, qui occupe l’horizon
depuis le Nord-Eft jufqu’à l’Eft-Sud-Eft. On a au midi une magnifique
chaîne de hautes fommités entrecoupées de neiges & de rochers. Cette
chaîne va fe joindre au Mont-Rolè , auprès du paiTage de Weifs-Grat,
do.it j ai parle plus haut, & qui conduit de Macugnaga à Zer-Matt.
Sous nos pieds, au couchant , font les pâturages du Breuil, fermés par
une enceinte à peu-près circulaire de hautes- fommités Mais le plus
bel objet dont ce fite préfente la vue, c’eft la haute & fiere cime du
Munt-Cervin , qui s’élève à une hauteur énorme fous la forme d’un
obélifque triangulaire d’un roc vif &. qui femble taillé au cifeau. Je
me propofe de retourner là une autre année pour obferver de plus
près fe melurcr ce magnifique, rocher. (. 1 ) Mais ce n’eft pas en y
f 1 V J'exécutai ce projet deux aitssrprès.'
au Breuil, & du Breuil an Cól du Mortfc.
G eft le fujet du ieptiëme & dernier voyage
Ceivin ; c’eft-là que je rapporterai la ini*
tte 'Ct. volume. Cottime dans et voyage je
1
néralogie de cette route.
fis pour la fécondé fois la route d'Ayas