la plupart des foirées, même des beaux jours. Prefque tous les foirs
vers les f heures, il commençoit à fouiller un vent qui venoit des pentes
couvertes de neige, qui nous dominoient au Nord & à l’Oueft : ce
vent fou vent, accompagné de neige ou de grêle, étoit d’un froid & d’une
incommodités extrêmes. Les habits les plus chauds, les fourrures même
ne pouvoient nous en garantir : nous ne pouvions point allumer du feu
dans nos petites tentes de toile ; & notre miférable cabane, criblée à
jour, ne fe réchauffoit point par le feu de nos petits réchauds ; le charbon
ne brûloit même dans cet air rare, que d’une maniéré languiffante &
à force d’être animé par le foufllet, & fi nous parvenions enfin à réchauffer
nos pieds & le bas de nos jambes, nos Corps demeuroient
toujours glacés par le vent qui traverfoit la cabane. Dans ces moments
nous avions un peu moins de regret de n’être élevés que de 1763 toifes
au-deiïus de la mer ; car plus ha'ut le froid eût été encore plus incommode
: nous nous confolions d’ailleurs en penfant que nous étions là
d’environ 180 toifes plus haut que la cime du Buet, qui paffoit il y a
quelques années pour la fommité acceffible la plus élevée des Alpes.
V e r s les 10 heures du foir le vent fe çalmoit ; ç’étoit l’heure où
je laiffois mon fils fé coucher dans la cabane ; j ’allois alors da'ns.la tente
de la bouffole me blottir dans ma fourrure avec une pierre chaude fous
mes pieds, prendre des notes de ce que j’avois fait dans la journée. Je
fortois par intervalles pour obferver mes inftruments & le ciel, qui
prefque toujours étoit alors de la plus grande pureté. Ces deux heures
de retraite & de contemplation me paroiffoient extrêmement douces ;
j ’allois enfuite me coucher dans la cabane fur mon petit matelas étendu
à terre à côté de celui de mon fils, & j’y trouvois un meilleurfom-
meil que dans mon lit de la plajne.
Belle foi- § • 20; 3. La feizisme et derniere foirée que nous paffâmçs fur le col
fée a belle du Géant fut d’une beauté raviffante. Il fembloit que ces hautes fom-
mités vouloient que nous ne les quittaffions pas fans regret. Le vent
froid qui âvoitrendü la plupart des foirées fi incommodes, ne fouffla
point
R E L A T I O N D V V O Y A G E , Chap. 1. 325
point ce foir là. Les cimes qui nous dominoient & les neiges qui
les féparent fe colorèrent des plus belles nuances de rofe & de carmin ;
tout l’horizon de l’Italie paroiffoit bordé d’une large ceinture pourpre,
& la pleine lune vint s’élever au-deffus de cette ceinture avec la majefté
d’une reine, & teinte du plus beau vermillon. L ’air, autour de nous, avoit
cette pureté & cette l’impidité parfaite, qu’Homere attribue à celui de
l’Olympe ; tandis que les vallées, remplies des vapeurs qui s’y étoient
condenfées, fembloient un féjour d'épaiffes ténebres.
M a is comment peindrai-je la nuit qui fuccéda à cette belle foirée ;
lorfqu’après le crépufcule , la lune brillant feule dans le ciel, verfoit
les flots de fa lumière argentée fur la vafte enceinte des neiges & des
rochers qui entouroient notre cabane! Combien ces neiges & ces glaces
, dont i’afpefl eft infoutenable à la lumière du foleil, formoient un
étonnant & délicieux fpedacle à la douce clarté du flambeau de la
nuit ! Quel magnifique contrafte, ces rocs de granit rembrunis & découpés
avec tant de netteté & de hardieffe formoient au milieu de ces
neiges brillantes ! Quel moment pour la méditation ! De combien de
peines & de privations de femblables moments ne dédommagent-ils
pas ! L’ame s’eleve, les vues de l’efprit femblent s’agrandir, & au milieu
de ce majeitueux filence , on croit entendre la voix de la Nature
& devenir le confident de fes opérations les plus fecretes.
§. 2034. Le lendemain, 19 juillet, comme nous avions achevé les ,®.^!ceate
obfervations & les expériences que nous nous étions propofées, nous inanition,
quittâmes notre ftation & nous defcendîmes à Courmayeur. La première
partie de la defcente que l’on fait fur des rocs incohérents eft
extrêmement pénible , mais fans aucune efpece de danger ; & à cet
égard , elle ne reffemble nullement à l’aiguille du Goûté, à laquelle
on l’a voit comparée. Du pied de ces rocs on entre dans des prairies
au-deffous defquelles on trouve des bois, & enfin des champs cultivés,
par lefquels on arrive à Courmayeur. Toute cette route ne préfente
aucune difficulté. Nous y fouffrimes cependant beaucoup; d’abord de-
Terne ï ! \ , . F f