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peu de mal - aife , une légère difpoiition'au mal de coeur. Mais
lorfque je prenois de la peine , ou que je fixois mon attention
pendant quelques moments de fuite, & fur-tout lorfqu’en me baillant
je comprimois ma poitrine , ■ il falloit me repofer & haleter pendant
deux ou trois minutes. Mes guides éprouvois des fenfations analogues.
Ils n’avaient aucun appétit ; & à la vérité nos vivres, qui s’étoient
tous gelés en route, n’étoient pas' bien propres à l’exciter ; ils ne fe
foucioient pas même du vin & de l’eau-de-vie..En effet, ils avoient
éprouvé que les liqueurs fortes augmentent -cette indifpofition , fans
doute , en accélérant encore la vîteife de la circulation. Il n’y »voit
que l’eau fraîche qui fit du bien & du plaifir, & il fallut du tems &
de la peine pour allumer du feu, fans lequel nous ne pouyions point
en avoir.
Js reftai cependant fur la cime jufqu’à ; heures & demie, & quoique
je ne perdiife pas un feul moment, je ne pus faire dans ces 4
heures & demie toutes les expériences que j’ai fréquemment achevées
en moins de j heures au bord de la mer. Je fis cependant avec foin
celles qui étaient les plus efleHtielles.
J e defeendis beaucoup plus aifément que j e ne Pavois efpéré. Comme
le mouvement que l’on fait en defeendant ne comprime point le diaphragme
, il ne gêne pas la refpiration, & l’on n’eft point obligé de
reprendre haleine. La defeente du rocher au premier plateau, était
cependant bien pénible par la rapidité , & le foleil éçlairoit fi vivement
les précipices que nous avions fous nos pieds, qu’il falloit avoir la tête
bonne pour n’en être pas effrayé. Je vins coucher encore fur la neige à
200 toifes plus bas que la nuit précédente. Ce fut là que j’achevai de
me convaincre que c’étoit bien la rareté de Pair qui nous incommo-
doit fur la cime; car fi c’eût été la fatigue, nousaurions été beaucoup
plus malades, après cette longue & pénible defeente; & au contraire,
nous foupâmès de bon appétit, & ;e fis mes obfervations fans aucun
fentiment de mal-aife. Je crois même que la hauteur où commence
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cette indifpofition eft parfaitement tranchée pour chaque individu. Je
fuis très-bien jufqu’à 1900 toifes au-deftus de la mer, mais je commence
à être -incommodé lorfque je m’élève davantage. -
L e lendemain, nous trouvâmes le glacier de la Côte changé par la
chaleur de ces deux jours, & plus difficile encore à traverfer qu’il 11e
Pétoit en montant. Nous fûmes obligés de defeendre une pente de
neige, inclinée de 50 degrés, pour éviter une crevaife qui s’étoit ouverte
pendant notre voyage. Enfin, à 9 heures & demie nous abordâmes
à la montagne de la Côte, très-contents de nous retrouver fur
un terrein que nous ne craignions pas de voir s’enfoncer fous nos pieds.
Je rencontrai là M. Bourrit , qui vouloit engager quelques-uns de
mes guides à remonter fur le champ avec lui ; mais ils fe trouvèrent
trop fatigués, & voulurent aller fe repofer à Chamouni. Nous defeen-
dimes tous enfemble gaiement au Prieuré, où nous arrivâmes pour
dîner. J’eus un grand plaifir à le* ramener-tous fains & faufs, avec leurs
yeux & leur vifage dans le meilleur état. Les crêpes noirs dont je m’é-
tois pourvu & dont nou6 nous étions enveloppé le vifage, nous avoient
parfaitement préfervés ; au lieu que nos prédéceifeurs étaient revenus
prefqu’aveugles, & avec le vifage brûlé & gercé jufqu’au fang par la
reverbération des neiges.