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cela m’avoit fait d’abord penfér que peut-être ne diftinguoient-ils pas
cegenre dç pierre, , qu’ils le comprenoient fous la dénomination de
marbre, comme pn faifoit dans l’enfance de la minéralogie, où l’on
donnait le nom de marbre à toutes les pierres capables de recevoir le
poli : mais j’ai enfuite remarqué qu’en parlant de ces grands & fingu-
liers édifices que les anciens Péruviens nommoient tambos ; ils difent que
leurs murailles font d’une efpece de granit. Il eft donc vraifemblable
que fi quelqu’une des hautes montagnes qu’ils gravirent dans le cours
de leurs pénibles travaux avoit été de granit, ils en auraient dit un
mot. En effet, outre les marbres & diverfes pierres qu’ils désignent fans
les nommer, parce qu’ils ne favoient quel nom leur donner ; ils nomment
le cryftal, les ardoifes, les fchiftes, le talc & la pierre à fufih
Q u a n t aux différences qui tiennent au climat, on. avoit lieu de s’y
attendre. On voit qu’au Pérou les neiges éternelles ne commencent
qu a 2434toifes à peu-près à la hauteur du Mont-Blanc, tandis que chez
nous elles delcendent de mille toifes plus bas, & même plus bas encore
dans les montagnes couvertes, comme le Mont-Blanc, degrandes pentes
de neiges perpétuelles. Pour les végétaux, on voit au Pérou des moufles,
des gramens & de petites plantes fleuries à environ 2300 toifes;
tandis qu’au Mont-Blanc on ne voit des fleurs qu’à environ 1800 toifes-
On voit enfuite des arbuftes, dès qu’on eft defcendu au-deffous de 2000
toifes 3 tandis que chez nous on n’en voit gueres qu’à 12 ou 1300-
Enftn,les arbres commencent au Pérou à 1600 toifes, & chez nous
feulement à rooo ou 1050.
C e t t e comparaîfon prouve que c’cft le froid encore plus que la
rareté de Pair qui fixe fur les montagnes les limites de la végétation 3
& l’on verra dans la fuite de ces voyages d’autres preuves de cette
vérité.
R ET OUR D U MONT. B L AN C , &c. Chap. V U . 213
C H A P I T R E VI L
R E T O U R D E L A C IME D U MO N T - B L A N C
A U P R I E U R É D E C H AMO U N I .
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§. 2023. J e quittai ^ quoiqu’avec bien du regret, à 3 heures & § ce
magnifique belvedere. Je vins en trois quarts d’heure au rocher qui
forme l’épaulè à l’Eft de la cime. La defcente de cette pente, dont la
montée avoit été fi pénible, fut facile & agréable; la neige n’étoit m
trop dure ni trop tendre, & comme le mouvement que l’on fait en
defcendant ne comprime point le diaphragme, il ne gêne pointjla ref-
piration, & l’on ne fouffre point de la rareté de l’air. D ’ailleurs ,
comme cette pente eft large , éloignée des précipices, il n’y a rien
qui effraye, ou qui retarde la marche- Mais il n’en fut pas ainfi delà
defcente, qui du haut de l’épaule conduit au plateau fur lequel nous
avions couché. La grande rapidité de cette defcente, l’éclat infoute-
nable du foleil réverbéré par la neige, qui nous donnoit dans les
yeux , & qui faifoit paraître plus terribles les précipices qu’il éclairait
fous nos pieds la rendoient infiniment pénible. D’ailleurs , autant la dureté
de la neige avoit rendu le matin notre marche difficile, autant fa mol-
leffe, produite par l’ardeur du foleil, nous incommodoit le foir ; parce
qu’au-deffous de la furface ramollie on trouvoit toujours un fond dur
& gliffant.
C om m e nous redoutions tous cette defcente, quelques-uns des guides
, pendant que je faifois mes obfervations fur la cime, avoieut cherché
quelqu’autre paffage 3 mais leurs recherches furent inutiles ; il fallut
fuivre en defcendant, la route que nous avions fuivie en montant.
Cependant, grâces aux foins de mes guides, nous la fîmes fans aucun
accident, & cela dans moins d’une heure & un quart.